D'abord, votre état de santé – cela peut vous paraître étrange de l'entendre d'un médecin – dépend finalement peu de votre médecin ! La France est sans doute l'un des pays qui en a pris le plus tardivement conscience. Votre état de santé dépend énormément de votre environnement entendu au sens large : conditions de travail, conditions de transport, stress, alimentation, activité physique, éducation, etc. Tout ce que vous avez appris à l'école, ce que vos parents vous ont transmis, votre mode de vie, va considérablement influencer votre état de santé. Évidemment, l'alimentation est un facteur-clé – on le voit en cas de dénutrition, surpoids, obésité, mauvaise alimentation, alimentation déséquilibrée. Mais il faut aussi reconnaître que les maladies cardiovasculaires et les cancers sont des pathologies dont les causes sont multiples. Malheureusement, les choses ne sont pas très simples, sauf peut-être les relations entre sel et hypertension, puis entre hypertension et AVC. Voilà pourquoi, par exemple, il est assez complexe d'identifier une relation causale unique entre une alimentation ultra-transformée et des cancers.
Des travaux très sophistiqués sont menés. Il est relativement simple d'observer l'état de santé de la population – c'est l'épidémiologie. On observe les personnes suivies pour un diabète de type 2, des cancers, des maladies cardiovasculaires, des dyslipidémies ou de l'hypertension artérielle. Mais ensuite, la relation entre l'exposition d'individus et la survenue de pathologies est beaucoup plus complexe à établir parce que cela nécessite de constituer des cohortes, et d'éliminer les facteurs de confusion. Ainsi, même les scientifiques, comme Serge Hercberg et ses équipes, que vous avez auditionnés, font preuve d'une grande prudence, même dans leurs publications. Ils observent, sur les cohortes prospectives, une augmentation des cancers, mais cela reste de l'observation épidémiologique, et la relation de causalité est toujours très compliquée à déterminer. Il faudrait pouvoir comparer les mêmes personnes, exposées ou non exposées, etc. Vous imaginez la complexité du dispositif. Cela fait partie des difficultés que nous avons à avancer, même si les enjeux de recherche sont fondamentaux.
Les mêmes équipes ont écrit, à partir de la cohorte NutriNet Santé, sur les liens entre l'alimentation ultra-transformée et les troubles gastro-intestinaux.
En France, la prévention des cancers est un enjeu clé quand on sait que chez nous, 40 % des cancers – ce qui est tout de même considérable – sont évitables. Ainsi, 142 000 cas de cancer auraient pu être évités chaque année. Les grandes causes de cancer, très nettement devant les autres, sont évidemment le tabac – 70 000 cas de cancers – et l'alcool.
Mais derrière, il y a l'alimentation déséquilibrée, conclusion à laquelle est parvenu le CIRC. J'ajoute qu'alimentation déséquilibrée et surpoids ou obésité sont finalement des facteurs de risque proches.
Alimentation et surpoids sont liés. Mais le surpoids est également lié à l'activité. A-t-on une activité suffisante ? On sait aussi que le surpoids et l'obésité interviennent sur l'équilibre endocrinien.
Nous restons évidemment très attentifs aux publications. C'est notre rôle. Nous sommes très attentifs à ce que la recherche avance et surtout, à ce qu'elle avance de façon scientifique, en étant extrêmement rigoureuse dans son analyse. Nous ne faisons pas de conclusions hâtives, tout en suivant de près l'évolution des connaissances scientifiques. C'est comme cela que nous avançons. Dès qu'on parle d'évolution des connaissances scientifiques – vous avez encore vu la polémique sur les études récentes – nous nous assurons de la qualité des études, du fait que les résultats ne sont pas biaisés, et de l'absence de conflits d'intérêts. Même chez les scientifiques, il peut y avoir des conflits d'intérêts. Nous devons donc être attentifs aux conclusions des experts, mais également rigoureux dans l'analyse.