Nous sommes nous aussi préoccupés par les « effets cocktail ». Pour le scientifique que je suis, cela reste un champ de recherche à explorer. On découvre que A+B est différent de B+C mais que tout dépend de la dose de A et de la dose de B, des individus, de l'environnement, des conditions d'utilisation du produit elles-mêmes. Personne n'est encore au point et c'est une perspective d'amélioration des connaissances.
Dans la logique de prévention qui est la nôtre, de promotion de la santé et d'éducation, nous pouvons dire qu'il y a tout intérêt à ce que les consommateurs aillent de plus en plus vers des produits simples, ce qui suppose qu'ils limitent la part des produits transformés dans leur alimentation. Dans l'optique de réduire les risques, nous insistons sur certaines populations fragiles et vulnérables, comme les jeunes enfants ou les femmes enceintes.
À la demande du ministère de la santé, nous avons beaucoup oeuvré avec les scientifiques à l'élaboration du Nutri-Score, qui a reposé sur un travail multidisciplinaire de grande qualité, salué internationalement. Le Nutri-Score est en train de s'imposer et nous sommes bien évidemment tous favorables à ce qu'il s'étende. Nous avions été attentifs à la proposition de votre collègue Olivier Véran de le faire figurer obligatoirement dans les publicités. La question est de savoir si on l'impose ou si on laisse les entreprises se l'approprier, ce qu'elles font de plus en plus. À la fin de 2017, vingt marques l'utilisaient ; au début de l'année 2018, quarante et aujourd'hui plus de soixante-dix : on sent qu'il y a presque un phénomène d'émulation entre fabricants et c'est ce que nous recherchons.
Le Nutri-Score ne prend pas tous les paramètres nutritionnels en considération. Pour avoir discuté avec des Brésiliens, qui sont confrontés à des enjeux majeurs d'éducation à la santé, des Chiliens et des Australiens, je sais que personne n'a la solution idéale. Il faudrait prendre en compte le degré de transformation, le nombre de composants et d'additifs, le taux de graisse, de sucre ou de sel. Mais jusqu'à quel point ? Les Australiens ont pris en compte tellement d'éléments que les emballages de produits alimentaires étaient recouverts d'informations. Peut-être devrons-nous nous tourner vers des solutions innovantes comme les flash-codes. Il nous faut réfléchir à un dispositif qui améliore l'information des citoyens sans les noyer sous un flot de données.
Pour ce qui est de la prévention, nous misons sur l'éducation. Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait un champ un peu déserté alors même qu'il assure la meilleure efficacité, je veux parler des actions en direction des enfants âgés de cinq à douze ans. C'est à cette période que les comportements se structurent et que les arguments rationnels ont le plus de portée. Nous le voyons bien avec la sécurité routière, la lutte contre le tabagisme et contre les addictions. Les adolescents se méfient ensuite des diktats des adultes.
Le partenariat avec l'Éducation nationale nous paraît une très bonne chose. Des élèves eux-mêmes seront appelés à devenir des ambassadeurs de santé : ils s'investiront dans l'apprentissage des bons comportements, d'une alimentation saine, d'une activité physique régulière. Nous disposons aussi un levier considérable qui n'a pas d'équivalent dans les autres pays, à notre connaissance, avec les 49 000 étudiants en santé – infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens, dentistes, médecins. Dès octobre 2018, ils seront chaque année envoyés durant soixante demi-journées pour mener des actions de promotion de la santé en direction des populations défavorisées et des établissements scolaires en zones d'éducation prioritaire. Ce sera un changement d'approche considérable que des jeunes puissent s'adresser à d'autres jeunes et qu'un dialogue se crée autour des bons comportements. L'alimentation, l'activité physique et la lutte contre les addictions seront les grandes priorités de cette action. Nous espérons qu'il en résultera un changement profond.