Selon le principe du « chaînage vertueux » inscrit dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), nous préparons aujourd'hui le débat d'orientation des finances publiques, qui s'intercale entre le « printemps de l'évaluation » et la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2019.
Il est éclairé par deux rapports prévus par la LOLF. D'une part, le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui nous livre un diagnostic, présenté par M. Didier Migaud, la semaine dernière en commission. D'autre part, le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques, qui permet au Gouvernement de préciser ses grandes orientations pour les prochains budgets et ses objectifs de finances publiques.
Ces deux rapports sont traditionnellement complétés par celui du rapporteur général de la commission des finances que je vous présente aujourd'hui. Le débat d'orientation des finances publiques aura ainsi été préparé sur la base d'un diagnostic objectif, d'orientations actualisées et d'une analyse parlementaire.
Le débat d'orientation des finances publiques permet de poser un certain nombre de questions et il permet surtout à chaque groupe de faire valoir son point de vue sur la politique budgétaire à suivre.
Les objectifs de finances publiques présentés par le Gouvernement dans le cadre de ce débat doivent être replacés dans le contexte des engagements européens de la France.
Trois grandes catégories de normes chiffrées s'imposent à notre pays en matière de finances publiques : la norme relative au déficit public et à la dette publique, qui prévoit que le premier doit être inférieur à 3 % du PIB et la seconde à 60 % du PIB, la norme relative à l'équilibre des comptes, qui impose un déficit structurel inférieur à 0,5 % du PIB, et la norme relative à l'ajustement structurel minimal qui doit être supérieur à 0,5 % du PIB.
Le 22 juin dernier, le Conseil de l'Union européenne a officiellement pris acte de la clôture de la procédure de déficit excessif ouverte à l'encontre de la France. Le déficit public a en effet été mesuré à 2,6 % du PIB par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) au lieu de 2,9 % prévu par la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022. Il s'agit du déficit public le plus bas enregistré depuis 2007. La France était le dernier État de la zone euro avec l'Espagne à faire l'objet d'une procédure de déficit excessif. La sortie de la procédure constituait un engagement fort du Gouvernement et de notre majorité parlementaire pour l'année 2017. Cet engagement a été respecté : au-delà des appréciations diverses et variées, je crois que chacun s'en félicitera.
Le présent débat se déroule donc dans un contexte favorable d'amélioration de la conjoncture, stimulée par une politique volontariste de redressement de nos comptes publics.
En 2017, la croissance du PIB en volume s'est élevée à 2,2 % au lieu de 1,5 % prévu en loi de finances initiale. Il s'agit du meilleur taux de croissance enregistré depuis 2011. La prévision de croissance pour l'année 2018 est fixée à 2 %, soit une prévision encore « atteignable », pour reprendre la sémantique de la Cour des comptes. L'INSEE prévoit cependant, dans sa dernière note de conjoncture, un ralentissement de la croissance à 1,7 %, ce qui resterait encore un taux assez élevé par rapport à ce que nous avons connu ces six dernières années.
Le scénario macroéconomique proposé par le Gouvernement est inchangé par rapport au programme de stabilité, mais il reste plus favorable que celui de la loi de programmation. Il faut en effet comparer le document que le Gouvernement nous a transmis à ces deux bases de référence que sont la LPFP, promulguée en janvier dernier, et le programme de stabilité, présenté par la suite, au mois d'avril. Nous pourrons sûrement améliorer ces procédures dans le cadre d'une réforme de la LOLF, afin d'éviter les actualisations trop fréquentes ou de limiter le nombre de bases de référence. Cela donnerait une plus grande lisibilité des orientations en matière de finances publiques.
La loi de programmation pour la période 2018-2022 avait été bâtie sur une hypothèse de croissance annuelle de 1,7 % du PIB pour les années 2018 à 2021, puis de 1,8 % en 2022. Dans le programme de stabilité, le Gouvernement avait pris acte d'une accélération de la croissance pour 2018 et 2019, respectivement à 2 % et 1,9 %. Les prévisions pour les années 2020 et 2021 étaient stables à 1,7 %, et, de façon prudente, l'hypothèse de croissance pour 2022 avait été légèrement abaissée à 1,7 %. Ce dernier scénario a été repris par le Gouvernement, qui a actualisé la trajectoire des finances publiques dans son rapport préparatoire au débat d'orientation.
La précédente trajectoire des finances publiques résultait du programme de stabilité transmis en avril à la Commission européenne, trajectoire qui actualisait celle figurant dans la LPFP 2018-2022.
Les objectifs principaux pour le quinquennat n'ont pas changé : retour progressif à l'équilibre budgétaire, baisse des prélèvements obligatoires d'environ un point de PIB et des dépenses publiques d'environ trois points de PIB, et désendettement. Ces objectifs sont, pour la plupart, légèrement plus ambitieux que ceux prévus dans la LPFP 2018-2022. Ils tiennent compte en cela de l'amélioration plus rapide que prévu de la conjoncture constatée en 2017.
Selon le rapport du Gouvernement, les comptes publics seraient à l'équilibre à la fin du quinquennat, alors que la LPFP 2018-2022 prévoyait un léger déficit de 0,3 % du PIB.
La réduction du déficit structurel serait cependant légèrement moins importante que prévu initialement, d'environ 0,2 % du PIB. Cela s'explique par la décision de supprimer totalement la taxe d'habitation sur les résidences principales. Cette suppression doit intervenir avant la fin du quinquennat selon le rapport.
Pour la même raison, la trajectoire actualisée des finances publiques est très légèrement dégradée par rapport à celle qui avait été présentée lors de la transmission du programme de stabilité à la Commission européenne, en avril dernier. Alors qu'un excédent budgétaire était prévu pour la fin du quinquennat, le Gouvernement fixe désormais une cible d'équilibre budgétaire.
Concernant l'exercice 2018, le débat d'orientation des finances publiques permet de constater qu'il n'existe pas de risques importants de dérapage. Ce point mérite à mon sens d'être fortement souligné. Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes a considéré que la prévision de déficit est atteignable, compte tenu d'un « risque de dépassement modéré ».
La conjoncture économique apparaît toujours favorable, et la prévision de recettes est plausible, tenant compte d'importantes mesures de baisse des prélèvements obligatoires, pour environ 11 milliards d'euros, dont 3,2 milliards au titre de la première étape de la suppression de la taxe d'habitation. Les objectifs de modération de la dépense sont crédibles et le désendettement public devrait se concrétiser pour la première fois depuis dix ans.
Bien évidemment, l'atteinte de ces objectifs nécessitera la poursuite du sérieux budgétaire jusqu'à la fin de la gestion, et le maintien de conditions macroéconomiques clémentes. Toutefois, il n'y a pas de mauvaises surprises, comme nous avions pu en constater par exemple l'an dernier. Le renforcement de la sincérité budgétaire en loi de finances initiale pour 2018 nous permet d'être plus sereins pour la fin de cet exercice que nous ne l'étions précédemment.
S'agissant de l'exercice 2019 et du prochain projet de loi de finances, le déficit public sera dû, à hauteur d'environ un point de PIB, à une mesure ponctuelle et temporaire : la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement pérenne de cotisations sociales patronales. Cela étant précisé, la cible de déficit pour 2019 est désormais fixée à 2,3 % du PIB, en amélioration de 0,6 point par rapport à la LPFP 2018-2019, et de 0,1 point par rapport au programme de stabilité.
L'ajustement structurel correspond à l'évolution du solde structurel. À ce stade, le Gouvernement prévoit un ajustement structurel de 0,3 point de PIB, le déficit structurel devant passer de 2,1 % à 1,8 %.
Le niveau prévu d'ajustement structurel est certes inférieur à la réduction minimale de 0,5 point de PIB résultant du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance, mais il est conforme à celui qui a été communiqué à la Commission européenne dans le cadre du programme de stabilité. Il est même légèrement supérieur à celui figurant dans la LPFP 2018-2022.
S'agissant des recettes, trois points doivent être signalés pour le prochain projet de loi de finances. La contemporanéité du prélèvement de l'impôt sur le revenu devrait rendre légèrement plus aléatoire la prévision de son rendement. La Cour des comptes a estimé que l'incertitude de la prévision s'élevait à 2 milliards d'euros environ, à la hausse ou à la baisse. Il faut évidemment noter la bascule du CICE en baisse pérenne de cotisations sociales. Enfin il convient d'être attentif au programme de réduction du nombre de taxes à faible rendement, à hauteur de 200 millions d'euros.
Selon le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques, le Gouvernement a prévu d'intensifier l'effort de maîtrise de la dépense publique avec un taux de croissance en volume, hors crédits d'impôt, passant de 0,7 % en 2018, à 0,4 % en 2019. À mon sens, le Gouvernement devra préciser les mesures précises concrètes d'économies sur les missions du budget général de l'État, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2019.
En 2019, le désendettement public se poursuivrait à un rythme de 0,3 point de PIB par rapport à 2018, s'établissant à 96 points de PIB, soit un niveau inférieur de 1,1 point à l'anticipation de la LPFP 2018-2022.
Enfin, concernant la période 2020-2022, le premier enjeu concerne le contexte macroéconomique. Lors de son audition par notre commission, le Premier président de la Cour des comptes a insisté sur le risque d'un ralentissement de la croissance au cours du quinquennat. L'hypothèse de croissance du Gouvernement est continûment supérieure à la croissance potentielle. Il faut garder à l'esprit cette fragilité du scénario macroéconomique du Gouvernement.
D'autres grands enjeux de finances publiques porteront sur la période 2020-2022, au premier rang desquels la réforme de la fiscalité locale, qui devrait faire l'objet d'une refonte globale en particulier en raison de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui représente environ 20 milliards d'euros et un tiers des ressources fiscales du bloc communal, ce qui n'est pas négligeable. Un projet de loi spécifique devrait ainsi être déposé « au premier semestre de l'année 2019 », selon le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques.
Je rappelle que la loi de finances pour 2018 a supprimé la taxe d'habitation sur les résidences principales pour 80 % des foyers, de façon progressive d'ici à 2020. Le coût de la mesure est estimé à 3,2 milliards d'euros pour 2018, 7 milliards pour 2019, et 10,1 milliards pour 2020. Ce coût était intégré dans la trajectoire de finances publiques figurant dans la LPFP 2018-2022, et dans le programme de stabilité transmis en avril dernier à la Commission européenne.
La suppression totale de la taxe d'habitation pour les 20 % des foyers restants a été annoncée par le Président de la République et figure dans le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques du Gouvernement. Son coût supplémentaire en année pleine, estimé à 10,5 milliards, n'a pas été intégré dans les trajectoires de finances publiques de la LPFP 2018-2022 et du programme de stabilité.
Selon les renseignements que j'ai pu recueillir auprès du Gouvernement, la suppression pour les 20 % restants débutera en 2020 et se fera de manière progressive. Elle pèsera sur le déficit pour 0,2 point de PIB en moyenne entre 2020 et 2022, et elle permettra de diminuer le ratio de prélèvements obligatoires de 0,2 point de PIB en 2022.
Néanmoins, ces évolutions ne seront précisées et arbitrées qu'ultérieurement, dans le cadre de cette refonte d'ensemble de la fiscalité locale, qui fera l'objet de la loi spécifique annoncée pour 2019.
La taxe d'habitation subsistera pour les résidences secondaires pour environ 2,5 milliards.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris des engagements forts en matière de réduction de la dépense publique. Le ratio par rapport au PIB devrait baisser de quatre points entre 2017 et 2022. Concrètement, cela signifierait une évolution historiquement basse de la dépense publique en volume entre 2020 et 2022, qui serait quasiment nulle en fin de période. Celle-ci résultera notamment de la mise en oeuvre de mesures issues du programme « Action publique 2022 ». Le Gouvernement indique dans son rapport qu'il annoncera « plusieurs réformes structurantes dans les semaines à venir ». Le ratio de dépenses publiques se réduirait fortement pour s'établir à 51 % en 2022.
En conséquence, le désendettement public devrait s'accélérer, avec une diminution du ratio de dette publique de cinq points par rapport au PIB. C'est une trajectoire plus ambitieuse que celle prévue en LPFP 2018-2022. Le ratio repasserait en dessous de 90 % du PIB en 2022.
Enfin, deux éléments devront être précisés par le Gouvernement. Il s'agit de la reprise de la dette de SNCF Réseau à hauteur de 35 milliards d'euros, dont 25 milliards en 2020, et 10 milliards en 2022. Devant notre commission, le directeur général de l'INSEE a déclaré qu'un reclassement de SNCF Réseau était actuellement à l'étude, la faisant passer de la catégorie des « sociétés non financières » à la catégorie des « administrations publiques ». Cela aurait une incidence sur le traitement en comptabilité nationale de la reprise de la dette. Le Gouvernement attend donc la décision du comptable national pour inclure cette opération dans la trajectoire. Je remarque que le Gouvernement a été plus transparent au sujet de la reprise de la dette de SNCF Réseau par rapport au programme de stabilité ; disons avec humilité que la mobilisation de notre commission n'y est sans doute pas totalement étrangère.
Sur ce sujet, il conviendra d'assurer un pilotage au plus près de la dette, car cette dernière peut malheureusement continuer à enfler. Je veux insister sur un paradoxe : si SNCF Réseau devait entrer dans la catégorie administration publique, cela signifierait que les recettes de péage baissent par rapport à la production, en raison d'une politique tarifaire plus attractive pour les nouveaux entrants dont le nombre resterait limité, ou d'une baisse de trains en circulation. Il est nécessaire de préciser les choses, car tout cela peut paraître assez contre-intuitif. En tout état de cause, le suivi de la dette doit être permanent et une plus grande transparence doit être assurée : la commission des finances devra particulièrement y veiller dans les années qui viennent.
Il faudra également que le Gouvernement précise la trajectoire des effectifs de la fonction publique durant le quinquennat. Les objectifs sont connus : une réduction de 50 000 postes dans la fonction publique de l'État, et une réduction de 70 000 postes au sein de la fonction publique territoriale. Toutefois, le Gouvernement doit détailler les réorganisations qui seront mises en place au sein de l'État et, par conséquent, les ministères qui porteront les réductions d'effectifs.
Vous le comprenez, le débat d'orientation est un point d'étape utile, qui nous permet à la fois de savoir où nous en sommes, et d'identifier les défis qui restent à relever. Il permettra d'avoir un échange avec le Gouvernement pour obtenir des précisions et des éclairages sur certains points précis de nos finances publiques.