Intervention de Élise Fajgeles

Réunion du mercredi 11 juillet 2018 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlise Fajgeles, rapporteure :

La première lecture du projet de loi qui nous est soumis a permis à chacun, quelle que soit sa sensibilité politique, tant en commission qu'en séance publique, de s'exprimer. Nous avons passé plusieurs heures à étudier de très nombreux amendements, ce qui a permis à notre assemblée de parvenir à l'équilibre nécessaire pour aborder ces questions migratoires.

En effet, notre assemblée a su travailler, comme nous l'a encore rappelé le Président de la République lors du Congrès à Versailles, sans émotion et sans colère mais en conciliant humanité et responsabilité pour atteindre les objectifs affichés de ce texte : nous doter de procédures efficaces pour garantir effectivement notre droit d'asile, pour améliorer l'intégration des étrangers sur notre territoire et pour faire respecter notre état de droit grâce à des procédures de reconduite plus opérantes.

En première lecture, notre assemblée avait enrichi le projet de loi de plusieurs avancées importantes : généralisation des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) pour garantir un meilleur pré-accueil avant même l'enregistrement de la demande d'asile comme cela nous avait été demandé par de nombreuses associations ; augmentation des garanties accordées aux demandeurs d'asile tout au long du traitement de leur demande ; redéfinition du séquençage de la rétention administrative ; meilleure prise en compte de la situation des personnes vulnérables à l'occasion de non-admissions à la frontière terrestre ; renforcement du rôle du juge judiciaire dans la sanction des étrangers délinquants ou criminels par la peine d'interdiction de territoire français (ITF) ; limitation du périmètre du délit d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier, dit « délit de solidarité » ; travail à six mois des demandeurs d'asile, ce qui était une recommandation importante du rapport d'Aurélien Taché pour permettre que l'intégration par le travail, gage d'émancipation, puisse se faire le plus tôt possible ; amélioration de la situation des femmes victimes de violences conjugales et des femmes dont l'ordonnance de protection a expiré ; travail sur des aspects ponctuels de la situation des mineurs non accompagnés, les réformes de fond étant renvoyées au travail effectué par la ministre des solidarités et de la santé.

Tous ces sujets ont fait l'objet d'importantes modifications de la part du Sénat : les CAES ont été rendus expérimentaux ; le séquençage de la rétention a été entièrement réécrit ; le travail à six mois a été supprimé ; un fichier national biométrique des faux mineurs non accompagnés et des vrais majeurs a été créé ; la peine d'ITF a été encore étendue et même rendue obligatoire dans certaines situations.

En outre, le Sénat a adopté plusieurs dispositions qui remettent clairement en question l'équilibre du texte. Il a ainsi introduit un article 1er A qui prévoit, outre un débat annuel au Parlement sur la politique migratoire, un vote sur le nombre d'étrangers admis au séjour, par catégories, pour les trois années à venir. Il a supprimé l'article 1er, relatif à la délivrance de titres pluriannuels aux apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire, qui constituaient pourtant des avancées importantes car ils permettaient une sécurisation des personnes protégées et une simplification administrative. Il a durci les conditions de réunification et de regroupement familial, dont l'évidente humanité avait pourtant permis de recueillir l'assentiment d'une large majorité. Il est revenu sur les dispositions de la proposition de loi « Dublin » alors que leur modification avait fait l'objet, en première lecture, d'un très large consensus sur nos bancs. Il a supprimé l'aide médicale d'État (AME) au profit d'une aide médicale d'urgence réservée à un nombre de pathologies très réduit. Il a introduit un article qui plafonne la durée de rétention des mineurs à cinq jours, qui aurait pour conséquence de beaucoup augmenter la durée réelle que passent les mineurs en rétention. Il a supprimé l'aménagement du délit de solidarité tel que nous l'avions proposé, en allant à l'encontre du principe de fraternité qui, depuis, a été consacré par le Conseil constitutionnel.

C'est pourquoi, et bien que nous ayons travaillé dans un esprit d'ouverture avec la présidente de la commission des Lois et avec nos homologues du Sénat, il n'a pas été possible de trouver un accord en CMP, la semaine dernière. Je vais donc vous proposer plusieurs amendements qui visent à rétablir la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, tout en conservant quelques points, introduits par le Sénat.

Il ne s'agit pas pour nous, en nouvelle lecture, de refaire le débat que nous avons très largement eu en première lecture. Nous voulons confirmer les options que nous avons retenues, en les complétant, quand cela est souhaitable, de quelques avancées de nos collègues sénateurs, qui ne remettent pas en cause l'équilibre général du texte.

Depuis la première lecture, il est apparu encore plus évident que ce texte n'a pas vocation à régler, à lui seul et de façon définitive, tous les sujets posés. J'en veux pour preuve le dernier sommet européen qui a mis en exergue la nécessité de trouver des solutions européennes à l'immense défi migratoire que nous connaissons.

Aussi avons-nous la responsabilité de tenir un langage de vérité face à des réalités humaines différentes qui, si elles peuvent toutes nous toucher, justifient des réponses différentes. Nous avons la responsabilité de ne pas jouer avec les peurs ni de les attiser, de ne pas céder à la facilité démagogique. C'est à cela que s'attache ce texte : trouver des solutions efficaces pour des situations complexes et distinctes, assumer une ligne de crête entre notre devoir d'hospitalité et le respect de l'État de droit pour garantir notre cohésion nationale.

Je nous sais à la hauteur de cette exigence et je nous encourage à mener nos débats dans cet état d'esprit.

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