Intervention de Nathalie Carrasco

Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 9h45
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Nathalie Carrasco, chimiste, enseignante-chercheuse au laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales :

Je vais essayer d'apporter un complément à ce qui a déjà été dit ainsi qu'un témoignage. Sur la partie formation et déconstruction des stéréotypes, un certain nombre de femmes et de jeunes filles identifient tout de même qu'elles aiment les sciences et qu'elles ont envie de faire carrière dans ce domaine, ce qui était mon cas.

Je souhaite apporter un témoignage sur une autre difficulté qui a été pointée dans le rapport : celle qui se produit au moment du passage très délicat entre les études, où les jeunes femmes réussissent très bien en sciences si elles l'ont choisi, et le monde professionnel. Il est difficile de s'approprier une carrière. Il existe beaucoup de freins mentaux : on se dit et on entend que dans une carrière scientifique, il faut « tout donner » et que c'est difficilement incompatible avec sa vie personnelle. Je voulais m'inscrire en faux à ce sujet dans le sens où j'ai une carrière scientifique a priori réussie ou en tout cas dans laquelle je me plais beaucoup et je m'y épanouis sans avoir renoncé à toute vie privée. Je suis aujourd'hui responsable d'une équipe paritaire d'une dizaine de personnes. Il y a les principes, certes, mais du point de vue de l'efficacité, avoir une équipe paritaire et la plus mixte possible est vraiment générateur de synergies, de créativité et d'efficacité du point de vue de la recherche. C'est quelque chose à quoi je tiens et que je cherche à construire au quotidien.

Je viens d'une discipline – les sciences de l'univers – dans laquelle il y a traditionnellement peu de femmes ; mais les choses évoluent. Nous voyons qu'en thèse, nous avons une population de plus en plus paritaire, c'est très encourageant. Il existe cependant une vraie difficulté – je pense que c'est également le cas dans le secteur privé pour l'ingénierie – au moment du passage à la vie professionnelle, avec, dans le monde de la recherche, une étape assez difficile qui est l'étape de la précarité après la thèse, l'étape du post-doctorat où l'on nous encourage – et c'est très bien – à aller vers des expériences variées très enrichissantes, et le maître mot pour cela est de partir à l'étranger. Or lorsqu'on arrive à une situation de post-doctorat, on a une petite trentaine d'années et c'est une phase de la vie assez critique, une phase importante où l'on se construit professionnellement mais aussi personnellement en couple ou éventuellement en fondant une famille. Ça a été mon cas : j'ai eu ma fille en dernière année de thèse et je me suis entendu dire qu'il fallait que je parte à l'étranger. Dans mon cas particulier, c'était absolument impossible, mon mari venait d'obtenir un CDI, il n'était pas question de partir à ce moment-là. Et pourtant tous les « grands pontes », tous des hommes d'une soixantaine d'années, m'expliquaient qu'il n'y avait pas d'autre solution. J'ai donc dû trouver la solution par moi-même. J'ai pris mon bâton de pèlerin et je suis allée sonner à différentes portes ; j'ai trouvé une équipe exceptionnelle en France, pas très loin, qui me permettait de continuer mes travaux de recherche tout en changeant de thématique pour me permettre une ouverture scientifique et suivre ainsi un parcours original. Mais si l'on pouvait accompagner et aider les jeunes femmes dans ces démarches, ce serait beaucoup mieux. Finalement, j'ai pu continuer et ce parcours a abouti de manière très positive puisque je suis devenue professeure d'université, responsable d'une équipe avec une activité internationale reconnue, responsable d'un projet européen. C'est un métier qui me convient très bien. J'aimerais cependant insister pour qu'on réfléchisse à la manière de mieux accompagner les jeunes femmes qui arrivent en thèse afin de ne pas se priver de leurs talents et qu'elles puissent nous rejoindre en recherche ou dans le secteur privé pour s'épanouir et apporter leurs compétences dans le domaine scientifique.

Mon premier message est ainsi que les métiers de la recherche scientifique sont tout à fait compatibles avec la vie personnelle et professionnelle, j'en suis un exemple parmi tant d'autres.

Ceci m'amène à rebondir sur un autre message, qui concerne le développement du télétravail, dont j'ai peu entendu parler alors que c'est un dispositif qui peut aider énormément à la gestion de l'équilibre compliqué entre vie personnelle et familiale, avec beaucoup d'outils, notamment de visioconférence et de téléconférence, qui nous permettent, en tant que chercheurs, de collaborer avec nos collègues internationaux – on ne se rencontre pas régulièrement de manière physique mais on communique beaucoup à distance. Ces nouveaux outils technologiques sont aujourd'hui très performants et s'appliquent à nos activités, pour nos équipes et nos collaborateurs proches. Pour mon époux comme pour moi, c'est une solution très pratique qui nous permet de rester disponibles vis-à-vis des équipes, de tenir par exemple une éventuelle réunion tardive alors qu'il y a vingt ans, il fallait avoir une nounou qui se débrouillait pour aller chercher les enfants. Grâce à ces outils numériques, nous arrivons tant bien que mal à être présents pour nos enfants et en même temps à assurer un investissement dans le monde professionnel que l'on trouve satisfaisant et épanouissant.

Je vous remercie encore pour cette invitation, pour tout le travail qui a été fait et pour toutes ces pistes qui nous aident à essayer d'amener plus de femmes vers les sciences pour plus d'égalité et aussi plus d'efficacité.

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