Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du mardi 10 juillet 2018 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, si j'ai bien compris, nous avons jusqu'à vingt et une heures quarante-cinq ? (Sourires.) Le sujet mérite qu'on lui consacre du temps, c'est donc moi qui vous remercie. Car il s'agit d'enjeux cruciaux, sur lesquels le Gouvernement aurait tort de se priver d'un supplément de propositions.

L'objectif, vous le savez, est de réduire à zéro l'artificialisation des sols et la perte de biodiversité, et de résoudre l'équation de l'eau dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux, où l'eau tombe au mauvais moment, lorsqu'on n'en pas besoin, et ne tombe plus lorsqu'on en a besoin. Il faudrait une grande prétention pour penser que l'on réglera ces problèmes par un simple plan. Nous allons avancer, mais il importe d'évaluer constamment les mesures mises en oeuvre.

Vous le disiez, madame la présidente, nous avons publié la semaine dernière, avec le Premier ministre, un plan de grande envergure. Nous devons procéder avec beaucoup d'humilité, mais aussi beaucoup de détermination.

Il est d'ailleurs important que ce plan pour la biodiversité soit présenté de manière interministérielle. Car le temps est révolu où l'on pensait pouvoir traiter ces sujets de manière cloisonnée. De tels sujets sociétaux requièrent une approche systémique. Et même si les propositions et les contributions de mes collègues du Gouvernement ont témoigné d'ambitions parfois différentes, nous les ferons converger dans cette dynamique.

Si l'annonce de ce plan a donné un nouveau signal de mobilisation, la France ne l'a pas attendu pour se préoccuper de la biodiversité. Une loi a été votée, une stratégie adoptée. Mais force est de constater que, pour l'instant, il en va de la lutte contre l'érosion de la biodiversité comme de celle contre le changement climatique : nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. La France possède, avec ses territoires ultramarins, environ 10 % de la biodiversité mondiale. Si nous voulons qu'elle puisse assumer, à l'international, un leadership comparable à celui qu'elle exerce en matière climatique, elle doit accomplir des progrès importants. Nous devons mettre nos actes en adéquation avec nos objectifs.

Le lancement de ce plan a en tout cas permis de sortir de l'ombre un sujet qui, soulignons-le, est indissociable de l'enjeu climatique. Car – j'ai déjà eu l'occasion de le dire – l'un et l'autre se conditionnent réciproquement. Nous gagnerons ou nous perdrons sur les deux. Nous optimiserons nos chances de rétablir les équilibres climatiques si nous associons cette action à la défense des écosystèmes. Or, restaurer et entretenir les écosystèmes, c'est bien la principale manière de protéger la biodiversité.

Nous aurons de nombreuses occasions de démontrer l'importance de ces enjeux, mais, pour que la France soit crédible et que l'on ne nous oppose pas qu'il faut écouter avant de donner des leçons – ce qui n'est certes pas notre vocation, même si nous souhaitons attirer l'attention sur les problèmes qui nous tiennent à coeur –, nous devons rattraper nos retards dans de nombreux domaines.

Vous le savez, nous devons garder à l'esprit l'objectif décisif que représente la COP 15 sur la biodiversité, qui se tiendra en Chine en 2020. Je souhaiterais qu'elle permette d'engranger une moisson d'engagements nationaux aussi importante que celle de la COP 21 sur le climat de Paris. Mais cela suppose d'accroître notre mobilisation, notamment dans le domaine diplomatique.

En France même, plusieurs événements nous permettront d'attirer l'attention des responsables du monde : le G7 sera accueilli l'an prochain à Biarritz, et le Président de la République a accepté que la biodiversité soit parmi les thèmes prioritaires de ce sommet. Nous accueillerons également l'an prochain une séance plénière de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) – puis, en 2020, juste avant la COP 15, nous accueillerons le plus grand événement international autour de la nature : le congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Tous ces événements constituent des occasions de faire partager nos convictions. Nous mobiliserons notre réseau diplomatique, comme nous l'avons fait pour le climat, car la France a une contribution importante à apporter à la défense de la biodiversité. Si beaucoup de choses sont à faire chez nous, nous devons nous efforcer de rallier à cette cause les autres pays du monde, dans la même dynamique, la même ambition, la même exigence.

Sur la situation de la biodiversité, je ne vous ferai pas l'injure de rappeler les chiffres. Ils sont suffisamment démonstratifs – tellement démonstratifs, parfois, que l'on finit par en douter : lorsque l'on dit que, d'ici la fin du siècle, 40 % ou 50 % des espèces vivantes pourraient avoir définitivement disparu, ou être engagées dans un processus irréversible d'extinction, cela laisse songeur. Mais lorsque l'on sait que plus de 40 % ou 50 % des terres émergées ont été dégradées, lorsque l'on voit les millions de tonnes de plastique que l'on déverse dans les océans, lorsque l'on sait que plus de 60 % des zones humides indispensables à la biodiversité ont été détruites, et qu'à chaque minute c'est l'équivalent, en superficie forestière, de quinze ou vingt terrains de football qui est détruit, et que tout cela se combine, on voit bien que l'on est dans une dynamique de destruction massive.

On peut évidemment ignorer ces faits, mais la réalité nous rattrapera. Comme je le disais tout à l'heure en séance, j'ai une conviction profonde : il en est de la diversité biologique comme de celle de l'humanité. Seule la diversité est féconde, et l'uniformité est stérile. Mais je parle devant des convaincus.

En tout cas, nous ne partons pas de rien. La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a permis un certain nombre d'avancées importantes et a fait évoluer les lignes du débat. Il faut rendre hommage à cette première étape, qui a apporté une forme de maturité au déploiement d'une politique ambitieuse dans les territoires. Mais l'objectif de ce plan est maintenant de combattre les pressions qui pèsent sur la nature, et surtout de changer d'échelle, c'est-à-dire de multiplier les actions.

Beaucoup croient encore que le sujet est loin des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. Je pense que c'est une erreur, car il est étroitement lié à des questions de qualité de vie, des questions de santé, d'alimentation, de bien-être, d'économie. Et à notre rapport à la beauté du monde, qui n'a pas de prix. Combien de temps nous sépare encore du jour où nous ne pourrons plus nous régénérer au spectacle de la beauté de la nature ? J'ai demandé il y a quelques jours à des économistes s'ils pouvaient fixer le prix du chant des oiseaux. Peut-on en quantifier la valeur ? À toutes ces choses qui sont au coeur de nos préoccupations les plus fondamentales, nos concitoyens sont très attachés.

La preuve en a été apportée par la consultation du public conduite en amont du plan « biodiversité ». Je pense que vous avez des éléments de comparaison ; pour moi, on m'a expliqué que ses résultats étaient assez significatifs, puisque nous avons reçu 25 000 contributions et que 90 000 personnes ont voté en l'espace de trois semaines. Parmi toutes les consultations que nous avons organisées depuis un peu plus d'un an, je crois que c'est un record.

J'en profite d'ailleurs pour remercier celles et ceux qui se sont mobilisés. Certains sont ici, mais je pense aussi au comité national pour la biodiversité. Je rends également hommage aux organisations non gouvernementales (ONG), non seulement parce que je n'oublie pas d'où je viens, mais surtout parce que, pour défendre l'enjeu crucial de la biodiversité, elles ont souvent, si vous me passez l'expression, ramé en solitaires. Mais nous allons maintenant rallier des soutiens en dehors du périmètre des initiés. Les entreprises commencent à s'intéresser au sujet, et c'est une très bonne chose. Nous en parlerons probablement tout à l'heure.

Je remercie également les parlementaires, qui sont nombreux à s'être impliqués. Et puis nos rapporteurs : merci de ces travaux très nourris, sur la biodiversité comme sur l'eau. J'espère que vous retrouverez certaines des nombreuses recommandations de vos rapports dans le plan « biodiversité », ou dans les préconisations résultant des réflexions au long cours des Assises de l'eau.

Il en va de ce plan comme de tous les plans : il faut se garder de penser qu'il constitue l'alpha et l'oméga d'une politique. C'est un socle. J'ai dressé récemment le bilan du plan « climat » : certaines choses vont bien, d'autres non. L'important est de ne pas en rester là, mais de progresser, au fur et à mesure, en tenant compte des critiques constructives pour amplifier les réussites et corriger les insuffisances.

C'est pour cela que nous avons besoin de vous, besoin de votre fonction de contrôle pour suivre la mise en oeuvre de la loi, et besoin de votre exigence pour que le projet de loi de finances pour 2019 soit à la hauteur de l'ambition. Je sais bien que l'argent ne fait pas tout, mais un minimum de moyens est indispensable. La biodiversité ne doit pas être le parent pauvre de nos engagements financiers.

Je ne détaillerai pas ici les 90 mesures du plan, nous n'en avons pas le temps, mais je m'attacherai à deux sujets en particulier.

Le premier, décisif pour le cycle de l'eau et la biodiversité, c'est la lutte contre le fléau que représente l'artificialisation des sols. Tout le monde connaît le chiffre, mais je le rappelle pour donner un ordre de grandeur : l'équivalent d'un département disparaît tous les dix ans sous le béton, ou sous une autre forme d'artificialisation. Le sujet est complexe, car ce n'est évidemment pas toujours pour de mauvaises raisons que l'on change la nature des sols, mais la gourmandise est parfois excessive et la consommation déraisonnable.

Pourquoi le plan ne fixe-t-il pas la date à laquelle nous devrons avoir réduit à zéro l'artificialisation non compensée ? Parce que cela aurait été une facilité médiatique. Je suis incapable aujourd'hui de vous dire quelle peut être l'échéance raisonnable. Nous ne remettons pas en cause l'objectif, bien entendu, mais il nécessite de nombreuses expérimentations de désartificialisation. C'est pourquoi nous nous donnons un an pour fixer une date qui ne soit pas uniquement une vue de l'esprit destinée à provoquer un effet d'annonce.

Ce plan nous dote d'un outil qui nous permettra d'abord de publier chaque année l'état des lieux de l'artificialisation, territoire par territoire. Il est important d'observer dans chacun la dynamique d'artificialisation, de manière à identifier – pardon de le dire – les bons et les mauvais élèves, ceux qui font des efforts et ceux qui en font moins. Nous verrons ainsi où se posent de vraies difficultés.

Nous nous donnons aussi une année pour travailler avec vous, avec les élus, avec les aménageurs et avec les ONG, avant de fixer l'échéance de réduction à zéro de l'artificialisation non compensée, à laquelle nous nous tiendrons. Nous déterminerons conjointement les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif.

Ce travail se nourrira bien entendu de vos réflexions. Je pense par exemple à la question des parkings : dans la droite ligne de l'article 86 de la loi pour la reconquête de la biodiversité et pour faire suite, notamment, à votre recommandation, nous irons plus loin en imposant que tout nouveau parking soit perméable, afin de favoriser l'infiltration des eaux dans le sol. Vous en connaissez les vertus, notamment pour lutter contre les inondations.

Second sujet essentiel pour la biodiversité : notre pays doit adapter sa gestion de l'eau au défi climatique. C'est pourquoi nous organisons, vous le savez, des Assises de l'eau. De leurs deux séquences, la première, en passe de s'achever, était consacrée au petit cycle, la seconde, qui commencera, si je ne me trompe, à l'issue de la trêve estivale, portera sur le grand cycle.

Il est toujours utile de rappeler que l'eau est un bien commun, et que nous devons faire évoluer la gestion des réseaux et réfléchir à la question du stockage, mais aussi à la protection des écosystèmes face à la raréfaction de cette ressource.

Les plans de bassin d'adaptation aux changements climatiques qui sont en cours d'élaboration dans les territoires apporteront évidemment des éléments précieux à ces réflexions. D'abord parce qu'il s'agit d'un travail essentiel, conduit au plus près des territoires et tenant compte des ressources qui y sont disponibles, de l'impact du changement climatique, et des innovations dans les différents secteurs d'activité. Or, on constate qu'il n'y a pas, en la matière, de solution toute faite, et qu'il faut du sur-mesure, à l'échelle du bassin et des sous-bassins. Tous les bassins n'étant pas soumis au même stress, il faut établir chaque plan en fonction des situations et des caractéristiques de chaque territoire. Il faut ensuite identifier les mesures les plus pertinentes, au meilleur endroit, sur les secteurs prioritaires. C'est pourquoi la seconde séquence des Assises se déroulera surtout dans les territoires.

Vos travaux, mesdames et messieurs les rapporteurs, ouvrent un certain nombre de pistes qui alimenteront ces réflexions. Je pense par exemple à une réutilisation facilitée des eaux usées. C'est un point très important. Nous nous orientons, dans tous les domaines, vers une économie de plus en plus circulaire. Cette évolution s'impose particulièrement pour l'usage de l'eau. Entre son encadrement jusqu'ici très rigide et notre volonté d'évolution, nous saurons trouver un juste milieu.

J'étais l'autre jour à Bonifacio – je sais que j'en parle devant l'un des députés de Corse – où l'on pratique une solution empreinte de bon sens : les eaux usées y sont récupérées, notamment pour irriguer un golf. Qui nierait qu'irriguer un golf avec de l'eau potable semble une pratique d'une autre époque ?

Je pense aussi à la maîtrise des rejets urbains en temps de pluie, au développement des économies d'eau ou encore à l'évolution de certaines pratiques agricoles. Car une approche intrinsèque s'impose : il est important d'aider les agriculteurs à faire face au stress hydrique, bien entendu, mais sans nous précipiter sur des remèdes trop faciles. Au prétexte qu'il tombe de l'eau quand on n'en a pas besoin et qu'il n'en tombe pas quand on en a besoin, on prône ce que l'on appelle des retenues collinaires, voire la construction de quelques barrages. Sans y être opposé par principe, je pense que nous devons nous interroger, selon une approche globale, sur l'ensemble du cycle et sur la pertinence de certaines pratiques agricoles très consommatrices d'eau.

Tout cela sera étudié dès la rentrée, puisque nous avons prévu de lancer la seconde séquence des Assises de l'eau en septembre, pour aboutir à de premières propositions en novembre et normalement à une conclusion en décembre. La méthode de concertation est en cours d'élaboration. Il va de soi que vous serez associés à ces travaux.

En matière d'eau aussi, la question des moyens est importante. Vous savez que les agences de l'eau préparent actuellement la maquette de leur 11e programme. Avec plus de 12 milliards d'euros sur six ans, il sera d'une ampleur intermédiaire par rapport au neuvième et au dixième programme.

Je sais que nous devons respecter des contraintes budgétaires. Croyez-moi, je n'y suis pas réfractaire, même si je me trouve parfois confronté, de ce fait, à des injonctions contradictoires. Cela nécessite de définir des priorités. J'ai ainsi fait part de mon cadrage, en octobre dernier, aux agences de l'eau. Il est également prévu que nous tenions compte des recommandations contenues dans le rapport conjoint du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et de l'Inspection générale des finances (IGF).

Le 11e programme des agences de l'eau accroît leur effort financier en faveur du grand cycle de l'eau. La nécessité de parvenir à un équilibre a ainsi conduit à faire le choix d'actions préventives plutôt que curatives, à réduire les aides aux mesures qui traitent les conséquences ou qui répondent à des obligations réglementaires, pour augmenter celles qui permettent de lutter contre les pollutions diffuses, celles qui incitent à un changement durable de pratiques, et celles qui contribuent à la restauration des écosystèmes.

Je vais maintenant tâcher, dans la mesure de mes connaissances, et avec l'aide de toute mon équipe, de répondre à vos questions, de vous faire partager notre analyse et de prendre en considération les vôtres. Je ne doute pas que ces débats soient pour nous très éclairants. Il faut, en matière de biodiversité, se garder de la prétention à détenir le monopole des solutions. Cela n'a jamais été notre état d'esprit.

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