Intervention de élisabeth Ayrault

Réunion du mercredi 27 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

élisabeth Ayrault :

Concernant les missions d'intérêt général, la prolongation des concessions de la CNR passe par le maintien de ce modèle redistributif atypique ; ces missions ont donc fait partie de nos discussions avec l'État. Nous projetons de poursuivre dans les thèmes d'intérêt général relatifs à l'environnement, à l'énergie et à la navigation auxquels nous avons ajouté l'ancrage territorial, qui concerne notamment le financement de l'itinéraire cyclable ViaRhôna. Nous avons ajouté un thème portant sur l'agriculture, car sa présence au sein des missions d'intérêt général me paraît essentielle.

Par ailleurs, dans les prévisions établies en vue de la prolongation de la concession de la CNR, nous avons précisé les volumes financiers devant être consacrés aux missions d'intérêt général.

Ces missions sont organisées en plans quinquennaux définis avec les services de l'État et le conseil de surveillance de la CNR. Je ne suis donc pas en mesure de communiquer aujourd'hui la liste des actions devant être conduites, puisqu'elles seront soumises à l'approbation de nos interlocuteurs.

Je puis néanmoins confirmer qu'avec l'Agence de l'eau nous poursuivrons le travail important de réhabilitation des lônes, bras morts du Rhône. Ce travail fait l'admiration de bien de nos partenaires étrangers, car c'est une façon de recréer la biodiversité et de rendre à ce fleuve son passé. Je précise que ces lônes ont été coupées du Rhône dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, dans le but de creuser un chenal de navigation plus naturel en créant des sortes d'épis le long du fleuve, ce qui n'est donc pas lié aux aménagements récents.

Nous travaillons donc à la reconquête du Rhône, qu'en quelque sorte nous décorsetons.

En réponse à M. Antoine Herth, je dirai que la navigation mérite toute notre attention, les infrastructures sont en parfait état et ne nécessitent aucun investissement supplémentaire, le transport sur le Rhône pourrait être multiplié par quatre sans dépenser un seul euro de plus. La question est donc surtout de réfléchir à la promotion de ce mode de transport plutôt que d'investir dans les infrastructures.

S'agissant de l'ancrage territorial, il est essentiel pour les territoires, qui sont très concernés par la reconquête des berges du fleuve. Ainsi finançons-nous sur plusieurs tronçons tous les réaménagements du Rhône, car pendant des décennies, les riverains se sont tournés vers l'intérieur des terres en ignorant leur fleuve.

Aujourd'hui, chacun veut reconquérir le Rhône ; et je mets à profit cette occasion pour partager avec vous cette citation : « Que seraient les villes sans leurs fleuves ? » Sans eux, elles seraient orphelines ; c'est pourquoi nous souhaitons contribuer à ce que les villes, villages et territoires se réapproprient le fleuve.

Les hydroliennes fluviales constituent en effet une première mondiale, financée à 50 % par l'ADEME. Il ne s'agit plus d'avoir une ou deux hydroliennes, mais d'en raccorder trente-neuf, qui vont constituer une ferme. Il faudra tester le positionnement de ces hydroliennes, leurs interactions, l'évacuation de l'énergie. Ces tests n'ont pas pour objet d'installer d'autres hydroliennes sur le Rhône, car je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de lieux qui permettent de le faire, mais plutôt de contribuer à la création d'une filière industrielle française – Hydroquest et CMN sont deux entités françaises – afin d'exporter vers les pays qui n'ont pas de réseau de distribution d'électricité aussi développé que le nôtre. Cela permettrait une alimentation des villages par des fermes d'hydroliennes fluviales en autoconsommation, sans raccordement au réseau, particulièrement en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Nous pensons acquérir une compétence et l'exporter, et accompagner ces deux entreprises françaises, et d'autres, à l'international.

La question sur la Garonne soulève une réflexion sur le changement climatique. Il y a trois ans, la CNR a été à l'origine de la création de l'association « Initiatives pour l'avenir des grands fleuves » (IAGF), afin de partager les expériences autour des fleuves du monde entier. Nous ne sommes pas les seuls à avoir de bonnes expériences, d'autres en ont aussi, certains ont des expériences négatives, et nous souhaitions réfléchir avec ceux qui représentent les fleuves de plusieurs pays, ainsi que des spécialistes des poissons ou des religions, car j'ai coutume de dire qu'un fleuve est un être vivant, porteur de beaucoup de légendes, et qui a, dans beaucoup de pays, un aspect presque mystique. Pour respecter ces fleuves, il faut les appréhender dans leur totalité, et c'est l'intérêt de la CNR. C'est aussi une façon pour nous d'exporter notre façon d'exploiter un fleuve de façon intégrée, et de ne pas le morceler.

À la demande du préfet, nous organisons en octobre une session à Toulouse et à Bordeaux avec tous ces experts, qui vont réfléchir à un thème qui concerne l'ensemble des fleuves : l'eau face au changement climatique et la difficulté que nous aurons à gérer les usages si, comme nos grands prévisionnistes le disent, il y a moins d'eau dans les fleuves.

Nous avons donc bien imaginé que dans les années à venir, le Rhône aura moins d'eau. Nous disposons de quatre études menées par des organismes extérieurs extrêmement compétents, et elles s'accordent sur un point : il y aura moins d'eau dans le Rhône à l'horizon 2050, et beaucoup moins à la fin du siècle. Ces études ne s'entendent pas sur le pourcentage de baisse, puisque leurs estimations oscillent entre moins 10 % et moins 40 %. L'année dernière, nous avons eu moins 27 % d'eau dans le Rhône.

Sur cette question du stress hydrique, et pour comprendre ce que nous allons faire avec les IAGF, il faut connaître les périodes d'étiage, qui ont toujours existé. Trouver 27 % d'eau en moins dans le Rhône n'est pas extraordinaire, mais préoccupant car, notre chiffre d'affaires dépendant du Rhône, il baisse fortement. Nous relevons, en outre, deux autres phénomènes.

Tout d'abord, la grande variabilité des débits, et de façon très brutale. Nous passons rapidement d'une grande sécheresse à beaucoup trop d'eau, et c'est ce qu'il faut retenir du changement climatique : nous allons avoir à faire avec des phénomènes de plus en plus violents, qu'il faudra apprendre à gérer en attendant que nous ayons stabilisé le climat. Nous le constatons sur le Rhône où nous avons connu douze mois d'étiage avec moins 27 % d'eau, et à la fin de 2017, trois crues successives. C'est préoccupant, et difficile à gérer.

En même temps, nous constatons une très légère inflexion du débit moyen du Rhône. Pour les années à venir, nous avons réalisé nos prévisions économiques en anticipant une baisse annuelle de 0,45 % du niveau d'eau dans le Rhône. C'est peu d'un certain point de vue, mais en même temps c'est énorme.

Nous constatons donc ces deux phénomènes, la très grande variabilité et la légère inflexion de la ligne moyenne du Rhône, et ce sont deux sujets de préoccupation.

Pour accompagner d'autres fleuves en France et à l'étranger, et les aider à mieux profiter de ce modèle particulier de gestion intégrée d'un fleuve, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte intègre déjà certaines leçons issues de l'expérience du Rhône. La première de ces leçons est la nécessité de placer dans une seule concession des aménagements hydrauliquement liés. C'est un point essentiel : sur le Rhin, on trouve des concessions les unes à la suite des autres, indépendantes entre elles. Rassembler toutes ces concessions en une seule va donner de l'homogénéité au Rhin, favoriser l'aménagement des berges, la biodiversité, et redonner du sens à l'hydroélectricité comme facteur d'aménagement du territoire. J'y tiens beaucoup : on a tendance à qualifier l'hydroélectricité seulement comme une production, or elle façonne les paysages.

La loi relative à la transition énergétique a prévu un deuxième point : la possibilité de créer des sociétés d'économie mixte hydrauliques dans lesquelles on pourrait regrouper des collectivités territoriales et des acteurs industriels. Ceux qui ont travaillé sur cette loi ont reconnu s'être inspirés de ce qui s'est fait à la CNR depuis 1934.

S'agissant du canal du Rhône au Rhin, je regrette infiniment que ce projet ait été abandonné, car je pense que c'était un équipement important dans le monde actuel. Nous travaillons souvent pour les cinquante années à venir, mais nous bénéficions aussi du travail de ceux qui ont aménagé le Rhône. Le canal changerait fondamentalement la navigation sur le Rhône, car notre fleuve a une porte d'entrée à Marseille et se termine en cul-de-sac à Pagny, sur la Saône, où il faut changer de gabarit. Les choses seraient différentes si nous avions une liaison avec les pays du Nord, qui nous permette de rivaliser avec leurs grands ports. À ma connaissance, aucun budget n'est prévu pour ce projet, mais je suis convaincue que, lorsque le canal Seine-Nord aura été financé, le projet de canal Rhin-Rhône ressortira, car il est sidérant de voir que, sur l'autoroute entre Lyon et Marseille, deux voies sur trois sont embouteillées en permanence par les camions. Étant administratrice du Grand Port de Marseille, je peux vous dire que 85 % du report vers Fos se fait par la route, et seulement 4 % par le fleuve, alors que nous pourrions accueillir 20 % du trafic qui arrive à Fos sans investir un euro. Je milite donc pour que le transport fluvial soit reconnu et que des mesures simples soient mises en place pour que le report modal soit facilité.

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