Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Merci beaucoup, Madame la présidente, pour cette analyse. Je ferai quelques rapides remarques sur un sujet qui me tient à coeur en tant que député et scientifique.

Une question de fond porte sur les objectifs que vous avez évoqués brièvement et sur lesquels nous pouvons nous interroger plus longuement, à savoir les résultats attendus et la métrique adoptée. Il s'agit également de s'inspirer de l'étranger et de répondre à une constatation formulée à de nombreuses reprises dans notre histoire récente et de façon très forte au lancement de ce programme, à savoir le décalage considérable, en France, entre les performances de la recherche et du développement, en particulier théorique, et la valorisation. Cette observation s'établit dans le cadre des comparaisons internationales portant sur des indicateurs tels que le nombre de brevets et les réalisations économiques. Le modèle américain, qui est présent dans tous les esprits, se caractérise par le développement d'entreprises avec une valorisation considérable des travaux de recherche et beaucoup d'investissements privés, mais également par un très bon dialogue entre recherche publique et développement privé dans un contexte où les innovations de rupture présentent un volet public et sont initiées avec de l'argent fédéral.

Pour analyser les performances de ces outils de valorisation, on peut se fonder sur l'impact financier ou le nombre de brevets. Mais d'autres métriques peuvent être examinées comme la mesure de l'éventuelle contribution au rapprochement du monde de la recherche et du monde économique, et selon quelles modalités, à savoir des questions de structure, voire de culture.

Je note que vous n'avez pas évoqué l'un des outils qui a le mieux réussi au cours des dernières décennies dans le contact entre le monde socio-économique et la recherche, à savoir les pôles de compétitivité qui, me semble-t-il, donnent satisfaction.

Pour ce qui est des constats, autant il est arrivé que le monde universitaire s'inscrive en faux contre certaines conclusions de la Cour des comptes, autant je pense que votre rapport sera salué comme très conforme au ressenti du terrain, à savoir un sentiment de déception, voire d'échec de l'ensemble de ces modèles de valorisation avec bon nombre de défauts qui ont été identifiés au fur et à mesure des années. Les personnes qui sont aux manettes de ces instruments de valorisation sont souvent compétentes, motivées et très engagées dans leur activité. Il s'agit davantage d'un échec de système plutôt que de compétences et de ressources. J'ai pu côtoyer certains des instruments évoqués, notamment les SATT que vous mentionnez comme étant en grande incertitude, et en ai apprécié l'engagement et la compétence des personnels.

Au fil des années, nous avons découvert une grande diversité de modèles économiques de valorisation de la recherche en fonction des secteurs et des disciplines. Souvent, une SATT ne peut incorporer tous ces modèles et se concentre sur certains. Si la SATT, ou certains autres instruments conventionnés, visait à rapprocher le monde scientifique et de la recherche du monde économique, en pratique, elle contribue parfois à isoler davantage l'un de l'autre en formant une couche supplémentaire qui génère des conflits d'intérêts. L'un de mes collègues s'est trouvé contraint d'embaucher un conseiller juridique pour se faire conseiller contre la SATT qui était censée valoriser son travail. En effet, dans la façon d'opérer le transfert entre les parties publiques et privées s'installe forcément un conflit sur les parts de chacun. Le chercheur et son équipe peuvent avoir l'impression de ne pas « s'y retrouver ».

À mesure que les difficultés se sont fait sentir, nous avons perçu un désengagement de la part d'une partie du monde de la recherche par rapport aux outils et la volonté de reprendre le contrôle, c'est-à-dire de redévelopper une expertise en interne ou des outils propres. Cette situation a aggravé les difficultés économiques de ces outils de valorisation et contribué à renforcer la concurrence des structures.

Le constat est très gris dans un contexte où une nouvelle vague d'appels à projets et d'outils verra le jour, dans le cadre de la politique nationale sur l'intelligence artificielle. Dans ce domaine, le transfert est extrêmement important, notamment du point de vue scientifique car le champ de l'intelligence artificielle se nourrit des va-et-vient entre le développement et les usages. Il est essentiel que votre analyse et votre rapport viennent juste avant la mise en place de ces outils, de façon à nourrir la réflexion sur la mise en oeuvre de la valorisation. Il est très peu probable que nous nous dirigions vers la même analyse qu'en 2008-2010.

J'ai conscience qu'il s'agissait de commentaires plus que de questions. Un grand nombre de collègues ont par ailleurs souhaité s'exprimer. Cher président, peut-être pouvons-nous entendre d'abord les questions pour écouter ensuite la réponse globale ?

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