– Le rapport que nous présentons ce matin fait suite à la note courte que nous avions présentée devant l'Office le 12 avril dernier. Nous ne reviendrons pas sur les éléments que nous avions alors exposés devant vous et aborderons plutôt les points approfondis à l'occasion de ce rapport. Je reviendrai sur les avantages et les inconvénients des différentes méthodes de consensus ainsi que sur les caractéristiques des blockchains propres à chaque cryptomonnaie. Ronan Le Gleut décrira les différentes applications possibles de ces technologies, les enjeux en matière de sécurité et les qualités et défauts des ICO (Initial Coin Offerings). Valéria Faure-Muntian abordera plusieurs grands enjeux des blockchains, à savoir la question de leur consommation énergétique, les problématiques juridiques ainsi que la question de leur diffusion à la lumière du principe de souveraineté, plaidant ainsi pour des blockchains européennes qui, sans être souveraines, respectent nos valeurs politiques, philosophiques et morales.
Je vous rappelle tout d'abord ce que sont les chaînes de blocs ou blockchains : il s'agit de technologies de stockage et de transmission d'informations, permettant la constitution de registres répliqués et distribués, sans organe central de contrôle, sécurisées grâce à la cryptographie et structurées par des blocs liés les uns aux autres, à intervalles de temps réguliers.
Les procédures par lesquelles les blocs sont validés sont dénommées méthodes de consensus. La plus ancienne et principale cryptomonnaie, le bitcoin, a recours à une compétition cryptographique appelée « preuve de travail » ou proof of work (POW), qui pose notamment un problème de consommation électrique ; c'est pourquoi des alternatives sont développées pour chercher à la remplacer. Cependant, ces autres méthodes présentent un risque de centralisation et leur sécurité est souvent moins certaine, avec un plus grand risque d'utilisation malveillante.
La principale alternative à la preuve de travail est appelée « preuve d'enjeu » ou proof of stake (POS), mais son déploiement reste lent. Son principe consiste à attribuer la validation de chaque bloc de manière aléatoire à un utilisateur, selon une probabilité qui n'est pas liée à une capacité de calcul spécialisée, comme c'est le cas pour la preuve de travail. La POS recouvre en réalité deux preuves distinctes : la preuve de participation, qui consiste à attribuer les blocs en fonction de la quantité de cryptomonnaies possédée par un noeud, tandis que la preuve d'enjeu, à proprement parler, va plus loin en exigeant de mettre en gage ces monnaies, qui seront détruites en cas de fraude. Des dérivés de la preuve d'enjeu existent : on peut citer la « preuve de possession » (proof of hold), fondée sur la durée de possession, la « preuve d'utilisation » (proof of use), en fonction du volume de transactions, la « preuve d'importance » (proof of importance), reposant sur la « réputation », la « preuve de capacité » (proof of space), qui consiste à mettre en gage de l'espace disque disponible, ou encore la « preuve de destruction » (proof of burn), qui revient à détruire des cryptomonnaies pour obtenir la confiance du réseau.
On peut donc, pour simplifier, distinguer une méthode fiable et sécurisée mais lente et coûteuse en énergie, la preuve de travail, et une seconde méthode, plus économe tant en énergie qu'en matériel spécialisé mais à la sécurité encore contestée, la preuve d'enjeu. Celle-ci est difficile à mettre en place et n'a toujours pas été adoptée par Ethereum, dont le passage à la preuve d'enjeu est prévu depuis l'origine mais a été repoussé à plusieurs reprises depuis deux ans. En termes de pourcentage de la capitalisation de l'ensemble des monnaies cryptographiques, les monnaies reposant sur la preuve de travail sont passées de 99 % en 2013 à 80 % en juin 2018. Certains acteurs estiment qu'une blockchain ouverte sans preuve de travail ne peut fonctionner.
Toutes les blockchains des 1 600 cryptomonnaies existantes sont plus ou moins des avatars de celle du bitcoin. Je ne reviens pas sur le détail de ces 1 600 systèmes, je relève surtout l'ouverture de nouvelles perspectives grâce au protocole Ethereum évoqué à l'instant, appuyé sur la monnaie ether. Celui-ci facilite l'automatisation de programmes et d'opérations, que l'on appelle les « smart contracts ». Ce système comporte cependant des risques en termes de sécurité et pose des problèmes en termes de fonctionnement centralisé d'un réseau pourtant présenté comme décentralisé, mais aussi de capacité de montée en charge. Ainsi, certaines applications sur le réseau sont susceptibles de ne plus pouvoir fonctionner lors de pics d'utilisation. Ce fut, par exemple, observé avec la première vague de « crypto-kitties », application de collecte et d'échanges de « chats virtuels », plus grand succès à ce jour de la blockchain Ethereum, mais ayant alors totalement congestionné le réseau.