– Conformément à sa mission, la CNE2 a auditionné les acteurs de la loi de 2006, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le commissariat à l'Énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et les autres organisations concernées, y compris les producteurs de matières et déchets radioactifs. Ce qui ressort de l'analyse que nous avons faite cette année, c'est que tous les acteurs de la loi, les ingénieurs et les scientifiques font leur travail remarquablement bien. Il n'y a aucun laisser-aller dans la qualité du travail réalisé, ce qui est un bon point. En revanche, nous avons été profondément marqués par le fait que la stratégie nationale du cycle nucléaire et nécessairement celle de la gestion des déchets qui lui est associée, devenaient de plus en plus incertaines. Nous avons voulu vous montrer toutes les conséquences de ces incertitudes qui se font jour et qui sont de plus en plus perceptibles, tant par les populations que par les acteurs de la loi eux-mêmes.
Pour simplifier à l'extrême, nous pouvons dire que la France a le choix entre trois options pour la gestion de sa filière électronucléaire.
L'une est, tout simplement, de poursuivre la filière telle qu'elle a été définie par la loi de 2006. Dans ces conditions, nous avons une perspective à moyen et long termes, qui prévoit de mettre en service, dans un futur pas encore très bien défini, un certain nombre de réacteurs à neutrons rapides (RNR), qui permettront la stabilisation à terme du stock de plutonium, l'emploi de l'uranium appauvri, dont nous avons des centaines de milliers de tonnes disponibles, avec bien évidemment pour conséquence la fin des importations d'uranium et l'arrêt de l'exploitation minière. Les RNR sont, en pratique, la seule technologie à ce jour capable de produire de l'électricité tout en permettant la transmutation des actinides mineurs et, dans une perspective programmée à long terme de sortie du nucléaire, la résorption des stocks de plutonium.
À côté de cette première option, qui correspond, en gros, aux orientations de la loi de 2006, nous voyons apparaître une deuxième option : celle de la poursuite de la filière électronucléaire actuelle, mais sans la perspective d'un déploiement des RNR. Dans cette hypothèse, tout le stock de combustible MOX usé passerait du statut de matière à celui de déchet. Il en irait de même pour le stock d'uranium enrichi.
La troisième option consisterait tout simplement à arrêter complètement la filière électronucléaire. Dans ces conditions, tous les combustibles usés deviendraient des déchets dont il faudrait s'occuper.
Quelles sont les conséquences de chacune de ces options ? Elles n'en ont pas uniquement sur la manière dont on produit l'énergie. Seule la première permet de traiter les combustibles usés. Les options deux et trois se traduiraient par l'apparition de déchets nouveaux, dont certains à haute activité, qui auraient vocation à faire l'objet d'un stockage géologique. Mais cela n'est pas prévu dans le cahier des charges du centre de stockage géologique profond Cigéo (centre industriel de stockage géologique), qui deviendrait beaucoup plus complexe, dès lors que l'on ne sait plus trop ce que l'on veut y mettre.
Je rappelle que 50 % de la production prévue de déchets du parc électronucléaire actuel est déjà réalisée. Ce sont ainsi environ 48 000 mètres cubes de déchets à haute et moyenne activité que nous avons à gérer. C'est pourquoi la Commission fait la recommandation de ne retarder en aucun cas le calendrier d'entrée en service de Cigéo.
Ces incertitudes n'ont pas que des conséquences sur le projet Cigéo. Elles en ont aussi sur la programmation des recherches à mener, qu'elle retarde, ainsi que sur la capacité d'exportation internationale de la France. Au cours des années passées, le CEA avait initié le programme ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, en français : réacteur sodium technologique avancé pour la démonstration industrielle) de réacteur à neutrons rapides innovant, dans le cadre de la première option. Mais cette stratégie se trouve aujourd'hui remise en cause par l'État, qui a estimé que le niveau de puissance envisagée est nettement trop élevé et que l'on n'en est pas encore à réaliser un prototype industriel.
Par conséquent, un problème s'est posé au CEA, qui a proposé de remplacer ASTRID par un nouveau programme de recherche en deux volets : d'une part, un RNR de faible puissance, d'autre part, un programme de simulation très développé. Ce projet a été présenté sommairement, il y a un an, par l'administrateur général du CEA de l'époque, M. Daniel Verwaerde. Pour l'instant, nous ne savons toujours pas si ce projet sera accepté. En tout cas, il n'est pas programmé. Le CEA se trouve ainsi dans le flou le plus complet en ce qui concerne sa politique de RNR.
La France occupe une position de pointe pour les technologies de séparation et de transmutation, qui sont l'un de ses domaines d'excellence. Dans le cas de la première et de la deuxième options, nous aurons besoin de recherches dans le domaine de la séparation et de la transmutation, pour essayer de réduire le volume des déchets à haute activité et à vie longue, et notamment se débarrasser de l'Américium.
Nous attendons la fin du débat public sur l'énergie et recommandons que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui le suivra soit l'occasion de définir une stratégie nucléaire de moyen et long termes, à dix ans, claire et lisible pour tous les acteurs, auxquels l'État affectera ensuite les moyens nécessaires.