Merci de votre invitation. La fiscalité internationale a pour objet d'essayer d'articuler les souverainetés fiscales. Vous êtes par définition les représentants du peuple, qui consent à l'impôt, exprimant ainsi la souveraineté fiscale de la France. Alors que les systèmes fiscaux ont été conçus pour être un peu clos sur eux-mêmes, nous avons connu la globalisation au cours des vingt dernières années. Certains contribuables sont ainsi devenus globaux : les multinationales, mais aussi les personnes les plus aisées qui ont accès à l'international. Les règles de la fiscalité internationale, qui se limitaient à des conventions fiscales visant à l'élimination des doubles impositions et prévoyant une coopération assez minimale, se sont alors trouvées quelque peu en déshérence par rapport à l'économie réelle.
Il y a environ une dizaine d'années, lorsque la crise est intervenue, le G20 a émergé au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Il s'est emparé de ces sujets, considérant que s'il y avait des souverainetés nationales et des administrations fiscales locales, il existait aussi des contribuables globaux qui utilisent les « havres de paix » offerts par certaines souverainetés fiscales, à savoir du secret ou aucune fiscalité. Le G20 a donc lancé des travaux que l'OCDE avait suggéré de conduire. Ils comportent deux grandes branches.
La première d'entre elles consiste à lutter contre le secret bancaire et l'opacité, de manière que plus aucun contribuable d'un pays où un impôt existe ne puisse cacher ses actifs dans un pays qui n'en prévoit pas et où il n'y a pas de transparence et d'échange de renseignements. C'est la fin du secret bancaire. Sans revenir sur les différentes étapes au cours des dix dernières années, je rappelle qu'une cinquantaine de pays vont commencer à pratiquer l'échange automatique de renseignements bancaires et financiers sur les contribuables le 30 septembre prochain ; dans un an, en septembre 2018, 53 autres pays les rejoindront, ce qui fera 102 pays au total, dont tous ceux que l'on peut appeler les anciens « paradis fiscaux » ou les États à secret bancaire. Il reste des sujets qui concernent l'identification des bénéficiaires effectifs, l'effectivité de l'échange de renseignements qui va commencer dans quelques jours, mais il y a un vrai changement de paradigme. Cela se traduit d'ores et déjà par une collecte d'impôts. La France a ainsi prélevé près de 8 milliards d'euros d'impôts sur des contribuables ayant volontairement dévoilé leurs actifs à l'étranger. Au niveau mondial, cela représente plus de 500 000 contribuables et 85 milliards d'euros d'impôts collectés. Il ne s'agit pas d'une opération à un coup, car les actifs déclarés vont produire des revenus qui seront eux-mêmes taxés à l'avenir.
Le second volet de l'action du G20 a consisté à considérer que les règles de la fiscalité internationale étaient dépassées pour les entreprises multinationales, du fait d'un manque de coopération et, surtout, du développement d'une planification fiscale agressive depuis une vingtaine d'années, avec la mise en place d'une industrie du conseil fiscal destinée à tirer avantage de la globalisation en organisant le divorce entre, d'une part, la localisation des activités dans les marchés où les ventes ont lieu ou dans les pays où les biens sont fabriqués et, d'autre part, la localisation des profits, qui sont généralement concentrés dans des petites, voire très petites, économies ouvertes, avec très peu ou pas d'imposition. Pour citer un chiffre un peu frappant, il y a aujourd'hui 2 600 milliards de dollars de profits cumulés par des sociétés américaines aux Bermudes et dans les Îles Caïman, en toute légalité.
En effet, les conventions fiscales visant à éliminer les doubles impositions étaient en fait utilisées pour faciliter les doubles exonérations : 27 % des investissements directs en Inde passent par l'Île Maurice, parce qu'il y avait des défaillances dans les conventions fiscales. Les règles de prix de transfert, qui sont internationales et ont été développées dans le cadre de l'OCDE, par consensus, s'efforcent de déterminer comment les entreprises doivent fixer leurs prix internes, de manière à s'assurer que chaque pays récupère les droits d'imposer qui lui reviennent. Dans les faits, ces règles étaient utilisées pour placer la propriété intellectuelle dans une juridiction où rien ne se passe, ce qui était légal.
Nous avons proposé au G20, en 2013, d'y mettre fin au moyen d'un plan d'action comportant quinze mesures. Leur adoption en novembre 2015 a été une véritable révolution, un changement complet des règles de la fiscalité internationale, car cela signifie plus de transparence, notamment grâce au reporting pays par pays, plus de coordination, avec par exemple la lutte contre les produits hybrides, et plus d'instruments anti-abus, comme les conventions fiscales ou les règles de prix de transfert. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de vérification de la bonne application de ces mesures dans tous les pays.
Un cadre inclusif a été mis en place dans cette perspective. Il va au-delà des 35 membres de l'OCDE puisque les 102 pays intéressés y participent, dont des pays en voie de développement et des « paradis fiscaux ». Il s'agit d'appliquer les standards minimaux pour la lutte contre l'abus des conventions fiscales, le démantèlement des pratiques fiscales dommageables et la mise en place du reporting pays par pays, tout en améliorant la performance des administrations fiscales dans l'élimination des doubles impositions lorsqu'il y a des cas litigieux ou des disputes entre pays. Tout cela est en cours d'application par les administrations et les entreprises. On voit déjà des changements, même s'il est trop tôt pour collecter les données et objectiver l'impact sur les trésors publics des pays concernés. Cet impact peut d'ailleurs être nuancé par la possibilité dont disposent les États de réduire le taux de l'impôt sur les sociétés avec l'élargissement de la base grâce à la fin des « niches » internationales. Je lancerai cet après-midi à l'OCDE une nouvelle étude sur l'évolution des politiques fiscales en 2017, mais on perçoit bien cette tendance à la baisse des taux et à l'élargissement des bases de l'impôt sur les sociétés.
Dernier aspect, et je suppose que ce sera l'une de vos questions, il reste des points à régler : la numérisation de l'économie, par exemple, soulève un certain nombre de questions relevant de ce que l'on appelle l'érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices ou base erosion and profit shifting (BEPS) en anglais et, au-delà des pratiques fiscales agressives, il y a aussi la question fondamentale de savoir comment traiter de la numérisation de l'économie. C'est un chantier pour lequel le G20 a mandaté l'OCDE : nous publierons un rapport en avril prochain.