Intervention de Boris Vallaud

Réunion du mardi 4 juillet 2017 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Je vous remercie, madame la ministre, du temps que vous voulez bien nous consacrer ce soir. Nous partageons avec vous le diagnostic d'un monde du travail entré dans une phase de changements profonds du fait de la mondialisation de l'économie, de la transition écologique et de la révolution numérique dont vous disiez vous-même qu'elle n'a donné à voir qu'une part d'elle-même. Nous partageons également le constat d'une désarticulation de notre modèle, conçu au cours des Trente Glorieuses. Sans doute les entreprises ont-elles aujourd'hui des besoins nouveaux pour innover, conquérir des marchés et s'adapter aux cycles économiques. Mais nous sommes aussi convaincus que les travailleurs n'ont pas besoin de moins de sécurité. Face à la fragmentation des parcours professionnels et à la mise à mal du triptyque traditionnel « formation initiale, emploi, retraite », il est indispensable de sécuriser les parcours professionnels pour que chaque travailleur puisse accéder à l'emploi et s'y maintenir ou accéder à une formation. C'est un enjeu primordial dans un pays où la peur de l'échec professionnel et du chômage est à un des niveaux les plus élevés en Europe.

Pour notre part, nous avons la conviction qu'il nous faut concevoir le modèle social des trente prochaines années, raison pour laquelle l'urgence à légiférer nous paraît relative. Ce modèle social ne se construit, selon nous, ni dans le conservatisme forcené au nom des acquis, ni dans la tentation libérale, qui n'est pas un parangon de modernité. L'un et l'autre font des victimes. Vous en conviendrez tous, bien que nous ne voulions pas des mini-jobs dans notre pays, nous les avons. La France a un tiers des contrats à durée déterminée (CDD) de moins d'un mois de toute l'Europe. Dans notre pays, 100 000 travailleurs cumulent plus de quarante CDD chaque année : quelle vie ont-ils ? Ont-ils la possibilité de fonder une famille, de se loger, de se soigner, de se nourrir ? Gardons cela à l'esprit alors que nous cherchons à trouver un équilibre entre flexibilité et sécurité et que nous est proposé aujourd'hui le volet de la flexibilité.

Je dirai un mot de la méthode des ordonnances retenue par le Gouvernement. Elle avait été annoncée. Il serait donc de mauvaise foi d'en être surpris. Mais il nous faut néanmoins tenir compte de l'expérience qui a été celle de la précédente Assemblée et du taux d'abstention enregistré lors des élections législatives : je ne peux m'empêcher de penser que, dans le rapport des citoyens à leurs représentants, nous sommes passés de l'ère de la défiance à celle, bien plus inquiétante, d'un rejet que nous ne pouvons ignorer. Les grandes réformes ne peuvent être menées sans donner lieu à un débat citoyen sincère, à un dialogue social approfondi et à un débat parlementaire respectueux du pluralisme et des droits de l'opposition.

Nous sommes en droit de nous interroger quant à l'urgence de ce texte – y a-t-il vraiment encombrement législatif ? – et à la technicité du sujet – qui, selon vous, madame la ministre, rendrait ce dernier inaccessible au débat parlementaire. Nous aurions préféré que le Gouvernement commence par évaluer les réformes passées, comme le Président de la République l'avait suggéré. Nous aurions aimé nous poser la question du risque d'instabilité réglementaire et législative et de l'inflation des textes – que le Président de la République a souhaité éviter. Enfin, le flou de l'étude d'impact et des dispositions du texte qui nous est soumis est tel que le Gouvernement ne nous semble pas satisfaire à son obligation de dire ses intentions.

Les ordonnances sont frustrantes pour la représentation nationale, car elles l'empêchent de formuler des propositions sur le renforcement de la sécurisation des parcours professionnels. Je pense au compte personnel d'activité et au conseil en évolution professionnelle comme droit universel à l'accompagnement. Au moment où nous examinons ce projet de loi d'habilitation, il nous est impossible d'apprécier avec justesse l'équilibre de la réforme, entre la sécurité que vous promettez et la flexibilité que vous nous proposez. Nous vous ferons part, tout au long des débats, de nos accords et désaccords, de nos inquiétudes aussi. Il en est déjà une que nous partageons : elle concerne les inégalités et la pauvreté.

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