Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 4 juillet 2017 à 21h00
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Monsieur le rapporteur, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la pénibilité ont effectivement vocation à relever de la branche, les accords d'entreprise devant s'inscrire dans ceux de branche.

Je ne partage pas la conception de l'entreprise développée par certains d'entre vous, notamment MM. Dharréville et Quatennens. Notre pari, c'est de faire confiance aux acteurs de terrain et au dialogue social, et non de nous inscrire dans la lutte des classes. Certes, les salariés et les employeurs n'ont ni le même rôle ni les mêmes moyens, mais nous croyons que le dialogue social permettra de rétablir un équilibre de « co-construction » et de faire converger performances économiques et sociales au sein de l'entreprise.

Dans cet esprit, nous serons à l'écoute de toutes vos suggestions d'amélioration, tant au stade de l'habilitation que de la ratification.

S'agissant du problème spécifique des TPE, soulevé par MM. Taché et Cherpion, il faut souligner que seules 4 % des entreprises de moins de 50 salariés disposent aujourd'hui de délégués syndicaux… Le dispositif actuel visant à y favoriser le dialogue social ne fonctionne donc pas. Pour autant, trouver une solution non bureaucratique n'est pas simple. Les discussions sont en cours avec les organisations patronales et syndicales, sur la base de différentes hypothèses. Si vous le souhaitez, je reviendrai la semaine prochaine vous les exposer, dans les formes qui conviendront à Mme la présidente.

Un point de méthode : nous ne faisons pas les choses à l'envers, contrairement à ce que certains d'entre vous laissent entendre. Au contraire, nous avons tenu à engager, dès avant le débat parlementaire, la concertation avec les partenaires sociaux, ce qui me permet aujourd'hui de me présenter devant vous en portant à votre connaissance une partie des fruits de la concertation, notamment sur le premier volet de la réforme.

Monsieur Cherpion, l'équilibre qui sera trouvé entre la branche et l'entreprise dépendra fortement, c'est vrai, des modalités de négociation dans les entreprises de moins de 50 salariés. Les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) sont entrées en fonction au 1er juillet 2017. Le renforcement de leur rôle figure néanmoins dans le projet de loi d'habilitation, alors même que, comme vous l'avez souligné, nous n'avons pas encore pu évaluer leur efficacité. Ces commissions restent un sujet de préoccupation pour les TPE et les PME. C'est pourquoi le champ d'application de l'ordonnance est défini de manière large, afin de pouvoir utiliser cette disposition si nécessaire, mais ce ne sera pas forcément le cas.

Concernant la pénibilité, il n'est pas question de revenir sur les droits des salariés, pour des raisons évidentes de justice sociale. En revanche, l'application des dispositions actuelles est extrêmement complexe, notamment pour les plus petites entreprises et les artisans. Le socle de droits ne sera donc pas modifié : seule le sera la manière de mesurer la pénibilité, afin de la simplifier. Le comité d'orientation des conditions de travail (COCT) devant être consulté préalablement sur ce sujet, je serai en mesure de vous apporter des précisions la semaine prochaine, au cours de l'examen du projet en séance. L'objectif est de régler cette difficulté au plus tard en septembre, car les dispositions doivent s'appliquer dans les TPE et PME à partir du 1er octobre et suscitent beaucoup d'angoisse.

Monsieur Mignola, s'agissant du calendrier, la suppression des cotisations salariales au titre de l'assurance chômage sera bien effective au 1er janvier 2018. L'apprentissage, la formation professionnelle et l'assurance chômage, soit ce que nous appelons la sécurisation des parcours professionnels, seront quant à eux traités lors de la session de printemps 2018, ce qui implique de commencer à travailler avec les partenaires sociaux et les parlementaires dès l'automne. La réforme des retraites sera défendue par ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, probablement au second semestre 2018.

Concernant la souplesse et le dialogue social, notamment dans les TPE, il convient de faire preuve d'innovation. Beaucoup d'entreprises et de partenaires sociaux comprennent mal, tant du côté syndical que patronal, que la « co-construction », qui existe naturellement au quotidien dans l'entreprise, fasse l'objet d'un cadre plus formel, plus conflictuel, dès lors qu'on parle de social. L'accord d'entreprise, ce n'est pas le pouvoir unilatéral de l'employeur, mais un accord conclu en concertation entre partenaires responsables. Si les gens ne sont pas d'accord, ils ne concluront pas.

Cette « psychologie de la confiance », fondamentale pour l'évolution culturelle de notre pays, est déjà une réalité dans de nombreuses entreprises, qui décloisonnent les sujets de négociation, dans une démarche dynamique favorable à la justice sociale, au progrès et à la performance économique. J'ai ainsi visité il y a quelques jours, à Cholet, une entreprise de menuiserie industrielle où a été conclu un accord très innovant, « mixant » la question de la qualité de vie au travail et celle de l'égalité professionnelle, qui font en principe l'objet de négociations séparées : pour répondre à un problème de manque d'effectifs, les syndicats ont proposé l'embauche de femmes, qu'il a fallu, du coup, former, mais dont il a fallu, surtout, adapter les postes, notamment sur le plan ergonomique – ce dont les hommes, au passage, se sont fort bien accommodés ! Des histoires comme celle-là, il y en a plein sur le terrain, et nous voulons favoriser ce type de dynamique en permettant d'aborder tous les sujets ensemble. Pour autant, les dispositifs de sécurisation actuels seront évidemment maintenus pour les entreprises dans lesquelles cette démarche ne fonctionnerait pas.

Monsieur Vercamer, vous avez raison : le code du travail doit être plus souple, plus lisible et donc plus sécurisant.

Vous avez également raison de dire que les accords de branche ont deux avantages. D'une part, ils pourront servir de base à des « accords types » afin d'aider les plus petites entreprises dans la conduite du dialogue social. D'autre part, ils permettront de traiter les problématiques de concurrence déloyale. Mais, pour cela, les partenaires sociaux dans les plus petites entreprises devront se mobiliser, afin que notre « modèle mental » de négociation évolue. La France, en effet, est désormais moins un pays de grandes entreprises industrielles qu'un pays de plus petites entreprises, de services. C'est tout l'intérêt de la vision par branche, qui permettra de coller au plus près des réalités économiques, tout en garantissant la protection des salariés.

Les effets de seuil, c'est vrai, ne sont effectivement pas directement évoqués dans la négociation actuelle, mais ils le sont indirectement, via la question de la représentativité et de l'effectivité du dialogue social dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Je le souligne, les barèmes d'indemnités légales et conventionnelles de licenciement ne seront pas modifiés par l'ordonnance. Seuls les dommages et intérêts versés en cas de contentieux ou de licenciement abusif sont concernés, et feront l'objet d'un barème – avec plancher et plafond –, prenant en compte différents critères, notamment l'ancienneté.

Quant au secteur public, il n'est pas dans mon champ de compétences.

Monsieur Vallaud, il convient effectivement de revoir profondément notre modèle social. Nous ne partons certes pas de rien, mais un saut qualitatif reste à effectuer. Je ne crois pas à l'effet protecteur mécanique du code du travail sur l'emploi. Le dynamisme de l'emploi est au contraire multifactoriel, lié à la confiance, à la souplesse et à la capacité des acteurs à se saisir des situations.

De nombreuses études comparatives, notamment celles de l'OCDE, soulignent combien notre système, qui croit être le plus protecteur, est en réalité le plus rigide et contribue au développement du travail précaire… Si 85 % des Français sont titulaires d'un contrat à durée indéterminée (CDI), il est aujourd'hui très difficile pour les plus jeunes d'accéder à ce type de contrat, ce qui contribue à les maintenir dans la précarité. Un système rigide protège, certes, mais empêche malheureusement les plus fragiles d'entrer… Notre volonté est donc de redynamiser le marché du travail, pour permettre la création d'emplois moins précaires, en améliorant la souplesse et le dialogue social.

S'agissant de l'urgence de l'examen de ce texte, évoquée par plusieurs d'entre vous, nous répondons à une demande forte de changement, portée par l'élan des élections présidentielle et législatives. Ce projet de loi n'est pas une surprise, mais une promesse de campagne. Le Président de la République s'était engagé à traiter prioritairement ce sujet lors de son élection.

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