Intervention de Arnold Munnich

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Arnold Munnich, professeur de génétique pédiatrique, président du conseil d'administration de l'institut Imagine :

Je réponds à mon tour à quelques questions seulement, sur lesquelles j'ai une légitimité à le faire.

S'agissant des découvertes fortuites, les incidental findings, c'est une situation dans laquelle on souhaite ne pas se trouver. La bonne façon de s'y prendre est de tester les gènes connus et publiés pour provoquer le symptôme ou la maladie qu'on recherche. C'est en étudiant un trop grand nombre de gènes qu'on fabrique ce que j'ai appelé une arme à double tranchant. Une famille vient consulter non pas pour savoir ce qu'il en est du cancer du côlon ou du cancer du sein, mais parce que son enfant est épileptique, autiste, sourd. Il faut s'en tenir à l'étude des gènes connus et publiés pour donner ladite maladie. Et même alors, on n'a jamais une seule et même réponse ; il n'y a pas un seul variant, mais un certain nombre de variants entre lesquels il faut discriminer, arbitrer et toujours par confrontation avec l'examen clinique. Soyons-en convaincus, il n'y a pas de vérité absolue dans le génome, on ne comprend pas tout, et même en s'en tenant aux seuls gènes connus et publiés pour produire tel symptôme, on se trouve quand même obligé d'arbitrer.

Autre question : une fois établi un diagnostic préconceptionnel, que fait-on du résultat ? Dans ce domaine, nous n'innovons pas. Mais loin de nous l'idée de déconseiller un mariage. Ce n'est pas le sujet. Si les deux membres d'un couple qui n'a pas encore eu d'enfant malade sont porteurs d'un certain gène, ils vont passer par le diagnostic prénatal ou préimplantatoire, exactement comme s'ils avaient eu un enfant malade ou décédé, mais ils font l'économie du premier malade, d'une première épreuve. Il n'est pas question de ne tester qu'un seul membre du couple, car le couple sera rassuré si l'un des deux membres n'est pas porteur de la même variation. Il faut se limiter aux porteurs d'affections d'une certaine gravité, dans les variations réputées les plus pathologiques. Mais dans ces conditions, on devrait être en mesure de proposer non pas une annulation du mariage, mais plutôt un diagnostic prénatal sur la base d'un risque qui ne s'est pas encore concrétisé.

M. Berta a constaté qu'il n'y avait eu que cinq diagnostics néonataux en France. Il s'agit ici de nouveau-nés auxquels on a fait un test de Guthrie permettant de détecter cinq maladies dites « actionnables », sur lesquelles on peut agir, Soit un déficit hormonal, une hyperthyroïdie, une maladie métabolique. Beaucoup d'entre nous pensent qu'il faudrait y ajouter d'autres affections, comme le déficit immunitaire et quelques autres maladies métaboliques. Seulement, ce diagnostic qui était géré depuis des dizaines d'années par une association est revenu dans le domaine public, avec une réduction de moyens. Étatiser coûtant beaucoup plus cher, on a dû réduire la qualité du test néonatal.

Pour prendre le cas de la drépanocytose, on dépiste aujourd'hui des enfants malades, mais aussi des porteurs, dont l'un des deux parents est aussi porteur lui-même. Il est logique de tester l'autre parent, puisqu'ils risquent d'avoir ensuite un enfant atteint. Ce discours n'est entendu ni par les agences régionales de santé (ARS) ni par les autorités. On nous demande de faire plus avec moins. En pratique, de pauvres couples reçoivent des lettres incompréhensibles, sans même avoir accès à un conseiller en génétique pour leur expliquer ce dont il s'agit. Cette généralisation, je l'appelle de mes voeux, en particulier pour la drépanocytose, à condition qu'elle soit accompagnée des mesures permettant de faire un bon diagnostic de dépistage néonatal. Il y a des familles à risque d'un déficit d'information, puisque l'on n'a pas assorti ce dépistage néonatal de l'accompagnement élémentaire et financé des professionnels qui pourront parler de cette maladie. Effectivement, Marina Cavazzana a publié les premiers résultats réussis de la thérapie génique de la drépanocytose. Les résultats sont confirmés, madame Vainqueur-Christophe. Les enfants concernés n'ont pas eu de transfusion depuis des mois, voire des années. Il y a un programme d'extension de cette approche thérapeutique à d'autres enfants malades. Est-ce la panacée, la botte secrète ? Bien sûr que non. On ne va pas faire de la thérapie génique à tous les enfants atteints de drépanocytose. Il faudra définir des critères pour utiliser une thérapie génique, sinon on risque de ruiner notre dispositif de santé. Mais le plus important est d'organiser la prévention. À partir du moment où cette possibilité existe, nous avons le devoir d'offrir aux couples un choix reproductif, c'est-à-dire identifier ceux qui risquent d'avoir un enfant malade et leur offrir un diagnostic prénatal ou préimplantatoire, soit une conservation des cellules souches du sang de cordon, les cellules hématopoïétiques du nouveau-né, aux fins de thérapie génique autologue ultérieure. Il y a donc un progrès possible, mais à condition que ce ne soit pas le progrès pour un petit nombre, mais un progrès partagé. Aujourd'hui, ce qui m'inquiète au plus haut point, c'est de ne pas avoir les moyens de financer – car ces moyens m'ont été confisqués – les conseillers en génétique qui accompagneront le dépistage néonatal de la drépanocytose. D'accord pour faire plus avec ce diagnostic néonatal, pas d'accord pour le faire au rabais.

Un mot enfin, car le sujet me préoccupe beaucoup, de l'information scientifique. Médecins et chercheurs ont une déontologie. Je fais ici appel à celle des professionnels des médias. Ils portent une responsabilité très importante en diffusant des fake news. Je voudrais savoir comment exiger plus de rigueur, de sérieux, de probité de la part de ces professionnels que sont les hommes et femmes de presse et de télévision. Ils donnent l'impression qu'aujourd'hui le diagnostic prédictif est facile. En fait, c'est une escroquerie. On prétend qu'aux États-Unis on le pratique depuis longtemps, qu'en France nous sommes ringards, les derniers des derniers. Mais autant le diagnostic prédictif est intéressant sur une population générale, autant sa pertinence comme diagnostic individuel est très discutable. Quelles affections peut-on vraiment prédire chez un sujet en bonne santé, qui n'a pas un parent à risque, de cancer du sein ou du côlon ? Pour les autres, faire par exemple du dépistage de masse de BRCA 1 ou de BRCA 2 me paraît extrêmement contestable. En dehors des prédispositions familiales, les résultats qu'on obtient en dépistage général sont d'amplitude faible et ne s'appliquent pas au sujet lui-même. C'est comme si, dans d'un bureau de vote, sur la base de résultats moyens, on croyait pouvoir inférer ce qu'a été le vote de chacun. C'est un abus de confiance. Récemment des collègues canadiens ont publié des travaux par lesquels ils ont identifié grâce à un score de prédiction génétique de deux cents variants, un polygenic risk score, 10 % de femmes risquant de développer un cancer sans origine familiale. Quand on en sera à ce niveau, alors peut-être vaudra-t-il la peine de développer le diagnostic prédictif. Mais nous n'en sommes qu'aux balbutiements. La médecine prédictive non validée n'est pas un progrès, mais une menace de marchandisation des tests.

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