Intervention de Hervé Chneiweiss

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Hervé Chneiweiss, professeur, neurologue, directeur de recherche au CNRS, président du comité d'éthique de l'INSERM :

En ce qui concerne le droit à la neurodiversité, il va de soi qu'il est inscrit dans les lois de 2002 et de 2005 sur les droits des patients. Le droit a évolué au cours des vingt dernières années : on est passé d'une décision médicale ou normative à une décision qui repose sur le patient. Aujourd'hui, le véritable enjeu est plutôt d'éviter que le choix de la personne ne se transforme en une discrimination : elle ne doit pas être discriminée parce qu'elle n'a pas choisi ce qui est considéré comme la norme, soit par le corps médical – c'est toute la question de l'observance –, soit par la société. Il ne faut pas qu'elle s'entende dire : « Si vous ne voulez pas l'implant, tant pis pour vous, on vous abandonne à votre sort ! » Il faut être cohérent, dès lors qu'on laisse aux patients le choix du traitement. S'agissant de la fin de vie, la question fondamentale est celle des soins palliatifs de qualité. La question de la possibilité de guérir est différente de celle du soin, qui doit être continu, jusqu'au bout.

À propos du neuro-marketing, monsieur Véran, cher confrère, je citerai le fameux slogan : « Si c'est gratuit, c'est vous le produit. » La question fondamentale est celle de l'impact de l'environnement sur notre cerveau, qu'il s'agisse des perturbateurs endocriniens ou de la multiplication des écrans. On constate, par exemple, une prolifération des myopies, due au fait que les écrans limitent notre champ de vision à 20 centimètres, et non à 6 mètres, comme c'est la norme. De même, comment vit-on dans le monde en 2D des écrans, différent du monde en 3D de la vie réelle ? Il est clair que notre environnement affecte le fonctionnement de notre cerveau. Pour citer Michel Foucault, il ne s'agit pas de dire, comme Heidegger, que la technique dissout l'homme, mais plutôt de se poser la question de savoir quel nouvel homme produit la technique. Notre environnement et la manière dont nous fonctionnons vont faire évoluer nos cerveaux. C'est pourquoi, chaque année, nous organisons, au cours de la troisième semaine de mars, la « Semaine du cerveau », afin d'éveiller la population non seulement aux connaissances en neurosciences, mais aussi à la nécessité de protéger nos cerveaux des atteintes de l'environnement.

Cela m'amène à la question des neurosciences et de la pédagogie. Je ne veux pas entrer, ici, dans une polémique qui opposerait certains professionnels à d'autres. J'ai beaucoup de respect pour M. Pommier, même si, en tant que neurologue et que neuroscientifique, vous le comprendrez, mon approche est différente de celle des psychanalystes. Le cerveau que j'étudie est en effet celui qui comprend 200 milliards de cellules dont chacune réalise 50 000 connexions, lesquelles se remodèlent en fonction de l'histoire du sujet. Il y a, me semble-t-il, un grand malentendu. Il ne s'agit pas, surtout dans l'état d'ignorance dans lequel nous sommes, de prétendre que, demain, nous éduquerons nos enfants sur la base de vérités révélées par les neurosciences. Il s'agit de dire que les sciences cognitives et les neurosciences nous apportent aujourd'hui des informations qu'il serait ridicule, voire criminel, de ne pas utiliser.

Nous savons aujourd'hui quels mécanismes utilise notre cerveau pour apprendre à lire. Or, ces mécanismes conduisent à discréditer de façon radicale les méthodes globales. En effet, lorsque nous savons lire, nous reconnaissons le mot : nous n'avons pas besoin de le déchiffrer. En revanche, lorsque nous apprenons à lire, notre cerveau a besoin de la méthode de décodage fondée sur les phonèmes et les graphèmes. Une fois que c'est acquis, nous pouvons reconnaître et lire en diagonale un texte dans la langue que nous connaissons. L'erreur de la méthode globale a été de s'inspirer de l'adulte pour concevoir une méthode d'apprentissage, ce qui est une aberration par rapport au processus cognitif. Pourquoi se refuser l'acquisition de connaissances nouvelles, fussent-elles parcellaires ou embryonnaires, si elles peuvent nous aider à éviter des erreurs et à mieux élaborer des tests de programmes d'éducation ? L'objectif n'est pas d'imposer la dictature des neurosciences – dont quelques-uns font aujourd'hui un commerce –, mais d'utiliser les quelques connaissances que commençons à acquérir.

Monsieur Eliaou, vous nous avez interrogés sur les lois de bioéthique de 2011. En tant que membre, à l'époque, du conseil scientifique de l'OPECST, j'ai eu le privilège de participer à quelques réunions préparatoires à ces lois et je puis vous dire que la question de l'intégration des neurosciences dans l'article 16-14 du code civil a été très débattue. Pour ma part, je n'y étais pas favorable du tout. En tout cas, la question fondamentale portait sur l'expertise judiciaire et sur l'objectivation d'un préjudice au niveau du cerveau ou l'évaluation de la responsabilité. À l'époque, la disposition centrale était l'article 122-1 du code pénal. L'expert judiciaire peut utiliser n'importe quelle technique pour déterminer, en général, un préjudice. Dès lors, la fiabilité d'un détecteur de mensonges n'était pas avérée à l'époque et, contrairement à ce que l'on pourrait penser, nous n'avons pas fait de progrès en la matière depuis 2009 ou 2011. Vous pouvez en effet raconter une histoire à laquelle vous croyez parfaitement mais qui est entièrement inventée : l'enregistrement cérébral témoignera que vous adhérez à cette histoire, qu'il n'y a pas d'incohérences dans votre récit. Les meilleurs souvenirs ne sont-ils pas, du reste, ceux que l'on s'invente ? On connaît nombre de personnes qui sont absolument convaincues d'avoir assisté à une scène, alors que la preuve a été apportée qu'elles n'étaient pas présentes. Si vous détectez leur activité cérébrale, celle-ci témoignera uniquement de leur adhésion aux propos qu'elles tiennent.

J'en viens aux découvertes « incidentales », dont je rappelle qu'elles désignent la découverte, à l'occasion d'une imagerie cérébrale – dans le cadre, par exemple, d'une migraine particulièrement grave qui pourrait, chez un jeune, ressembler à une première poussée de sclérose en plaques ou à un accident vasculaire –, d'une malformation vasculaire ou, dans le cadre de recherches en sciences cognitives, d'une tumeur. Suite aux recommandations du comité « neurosciences » de l'Agence de la biomédecine et du comité d'éthique de l'INSERM, tous les centres ont des guides de bonnes pratiques qui leur permettent d'anticiper. Ainsi, au moment où un sujet va entrer dans l'étude – il en va de même pour l'imagerie médicale –, il doit être prévenu de la possibilité d'une découverte incidentale et préciser s'il souhaite en être informé ou pas et, dans le premier cas, s'il souhaite que cette information soit directe ou passe par le médecin. Cette procédure a également été mise en place au niveau du plan « Médecine génomique 2025 », puisque la configuration est à peu près la même. Le mot qu'il faut retenir, dans ce domaine, est celui d'anticipation.

Enfin, l'un des problèmes fondamentaux des tenants du transhumanisme est la vision mécanique qu'ils ont du cerveau, qu'ils conçoivent comme une espèce de machine qui pourrait être augmentée à l'infini. Tel n'est pas le cas, et vous en faites l'expérience tous les jours. Si vous marchez à vitesse normale avec un collègue, vous pouvez échanger des propos, construire une loi. Si vous êtes pressé et devez marcher vite, votre attention sera mobilisée sur l'endroit où vous mettez les pieds et vous ne pourrez plus tenir le même raisonnement ou la même conversation. Le contexte est essentiel. Les personnes qui ont des hypermémoires sont malheureuses, car elles ne font aucun tri. On connaît le cas fameux de Shereshevsky, le patient de Luria, qui disait que sa mémoire était comme une poubelle, pleine de tout ce qui ne sert à rien. Ce qui fait la qualité de notre mémoire, ce n'est pas le stockage, c'est la sélection et la hiérarchisation des faits. On évoque certaines stimulations électriques qui pourraient améliorer la mise en mémoire, mais l'important n'est pas de stocker – notre cerveau n'est pas un disque dur – mais de sélectionner ce que l'on met en mémoire et ce que l'on en fait ensuite, c'est-à-dire, là encore, la plasticité cérébrale dans l'histoire du sujet, qui n'est malheureusement pas pris en compte par les transhumanistes.

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