Intervention de Hervé Chneiweiss

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Hervé Chneiweiss, professeur, neurologue, directeur de recherche au CNRS, président du comité d'éthique de l'INSERM :

Oui, je l'espère. Les neurosciences nous permettent aujourd'hui de commencer – je suis très prudent – à mieux comprendre la dyslexie, par exemple, ou certains troubles de l'apprentissage, et à expérimenter de nouvelles méthodes. Ainsi, certains exercices peuvent être faits sur des tablettes ou en groupe, certains apprentissages peuvent être partagés. Les sciences cognitives montrent en effet que le fait, pour un enfant qui a déjà compris ou qui apprend mieux, d'aider l'un de ses camarades à comprendre, contribue à une meilleure éducation, et de l'un et de l'autre. Sans oublier tout ce que j'ai dit sur notre ignorance et sur la modestie dont il faut faire preuve, j'espère que les neurosciences pourront participer à la lutte contre les inégalités. Mais elles ne seront qu'une contribution parmi d'autres, car nous savons qu'en matière d'apprentissage ou de développement, ce sont les inégalités sociales qui sont déterminantes. À cet égard, l'ascenseur social existe, et il prend de multiples formes. J'ai la chance d'être médecin et de diriger un grand centre de recherches, mais je suis le premier, dans ma famille, à avoir obtenu le baccalauréat. Je peux donc attester que les neurosciences n'ont pas été nécessaires pour que l'ascenseur social fonctionne, en tout cas à mon époque. Sans quelques bons instituteurs et professeurs, je ne serais certainement pas là où je suis aujourd'hui.

Revenons sur la question de la compétitivité et celle de la loi. J'ai participé, très récemment, à Vancouver, à un séminaire sur les neurotechnologies auquel participaient des représentants des GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. Ces industriels sont les premiers à demander un encadrement de l'utilisation des données du cerveau ou des neurotechnologies, tout simplement parce qu'eux-mêmes voient poindre des concurrents, Ali Baba ou d'autres. Dans un marché « mondialisé » – en tout cas tant que la guerre commerciale n'a pas commencé –, où l'accès aux neurotechnologies est ouvert, la réglementation et l'empowerment, qui insiste sur l'autonomie, les principes de non-malveillance, la justice, la redistribution, redeviennent un enjeu essentiel de la démocratie, y compris dans les États qui veulent faire de l'argent avec ces procédés technologiques.

Actuellement, les sciences de la vie ou la santé d'une façon générale représentent 20 % du produit intérieur brut (PIB) des économies modernes. Cet enjeu de société est donc fondamental, central. Pour avoir participé à l'élaboration des lois de bioéthique ou à leur révision pendant une vingtaine d'années et pour avoir siégé au comité de pilotage des États généraux de la bioéthique – auquel le Gouvernement avait adressé deux questions transversales et sept questions scientifiques, auxquelles se sont ajoutées des dizaines de milliers de contributions –, je puis vous dire que le volume des questions de bioéthique devient colossal, et l'on peut effectivement se demander jusqu'où nous allons aller. Eh bien, le plus loin possible, on peut l'espérer, pour le bien de nos concitoyens, à commencer par le nôtre, car lorsque M. Viala évoque le vieillissement, je me sens concerné. Si nous sommes médecins, nous sommes parfois également patients.

Jusqu'à présent, le délai de révision de cinq ans n'a jamais été respecté. Il a plutôt été de dix ans, puisque la révision prévue en 1998 est intervenue en 2004 et celle de 2004 en 2011. La loi va désormais fixer un délai de sept ans, mais je crois que, désormais, l'analyse et la révision doivent probablement être continues. Grâce au CCNE et aux espaces éthiques régionaux, grâce à l'Agence de la biomédecine, grâce à la CNIL, qui a une mission de surveillance et de suivi de l'intelligence artificielle, le rythme de révision peut être plus régulier. Ainsi, si l'on maintenait un délai de sept ans, peut-être pourrions-nous examiner, chaque année, l'une des sept questions que nous a adressées le Gouvernement : nous consacrerions une année à l'embryon, une autre à la PMA, puis viendrait l'année de l'intelligence artificielle, celle des neurosciences… Le rythme pourrait, en tout cas, être beaucoup plus régulier. Du reste, chaque année, l'Agence de la biomédecine transmet au Parlement un rapport dans lequel elle indique les avancées qui nécessitent des modifications du droit. Sans doute faut-il donc envisager, dans le cadre de la révision de 2018, un processus, plus continu et régulier, d'implémentation ou d'amélioration.

Michel Foucault indiquait, à propos du biopouvoir – et ce sera ma conclusion –, que l'encadrement des individus se fait de plus en plus par des normes qui ne sont pas seulement législatives, mais aussi réglementaires et techniques. Que ce soit dans le domaine des neurosciences, de la génétique, des méthodes de procréation médicalement assistée (PMA), ces règles techniques de base encadrent de plus en plus la vie quotidienne de nos concitoyens, de sorte qu'il faudra probablement améliorer l'articulation des lois générales avec les décrets d'application et les réglementations, pour animer au mieux ce magnifique sujet qu'est la bioéthique, qui concilie la démocratie avec les connaissances scientifiques, au bénéfice des individus, puisque le triptyque essentiel demeure la dignité de l'individu, la solidarité et la justice. C'est ce que nous nous efforçons tous d'incarner dans nos positions respectives. (Applaudissements.)

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