Rassurez-vous, monsieur Diard, vous n'êtes pas le seul à éprouver quelque angoisse : les citoyens ne veulent pas voir le lien entre la personne malade et le professionnel de santé perdre de son humanité. Mais ceux qui voudraient que rien ne change et qui refusent de voir le monde dans lequel nous vivons mettent toujours en avant cette déshumanisation. M'exprimant au nom de l'Ordre, il m'arrive de citer Hippocrate, qui a soustrait l'homme à la puissance des dieux en montrant que les sacrifices expiatoires, personnels ou collectifs, ne servaient pas à la guérison et que le médecin devait observer l'homme dans son biotope pour lui apporter les secours de la médecine. Il est indiscutable que le numérique, les technologies, l'intelligence artificielle, en évitant les discriminations, peuvent représenter un plus pour la bienveillance – une bienveillance républicaine.
Bien évidemment, des dangers existent, et le législateur doit poser les limites. La question qui inquiète l'ensemble des professionnels de santé est celle de leur responsabilité juridique. Jusqu'où sera-t-elle engagée, dès lors que l'intelligence artificielle parvient à donner des résultats de qualité supérieure ? C'est particulièrement vrai s'agissant de l'interprétation de clichés en imagerie médicale. L'ensemble de la profession radiologique a d'ailleurs décidé de s'engager dans la construction d'un outil d'intelligence artificielle qui collectera les clichés et les comptes rendus – les bases sont considérables, tant dans le monde hospitalier que dans le monde libéral. Ce genre d'outil n'existe pas sur le sol national.
L'autre question est de savoir jusqu'où les moyens d'intelligence artificielle seront déployés. Avec un outil doté d'une intelligence artificielle moyenne, un individu pourra saisir ses propres données et recevoir un diagnostic sans qu'aucun intermédiaire, médecin ou professionnel de santé, n'intervienne. Mais une personne peut-elle recevoir de façon brutale et sans aucune intermédiation humaine un diagnostic de mélanome, avec un pronostic de survie à dix-huit mois ? Les industriels, les fournisseurs, les sociétés peuvent-ils mettre directement sur le marché ces dispositifs ? Sans doute le législateur doit-il se prononcer sur cette question très importante.
C'est aussi le cas des dispositifs plus légers. Avec les objets connectés, l'individu se trouve bardé de capteurs qui enverront directement les données sur une base chargée de les collecter et de les traiter. Ces objets doivent-ils être considérés comme des dispositifs médicaux, avec les règles propres du marquage, ou doit-on envisager un processus de labellisation qui soutienne le marché industriel et garantisse aux utilisateurs la fiabilité technologique de la collecte et la protection de leurs données personnelles ? Voilà des questions anxiogènes.