Intervention de Grégoire Loiseau

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 11h00
Commission des affaires sociales

Grégoire Loiseau, professeur de droit privé à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Il est vrai qu'en matière de responsabilité médicale, le droit actuel est dépassé. La loi de 2004 s'est bornée à entériner ce que la Cour de cassation avait forgé au fil du temps. Les distinctions subtiles, s'agissant d'actes médicaux réalisés par des personnes humaines, n'ont plus cours depuis qu'un outil intelligent peut participer au diagnostic ou aux soins. Le législateur doit s'emparer du sujet sans trop attendre, car cela participe du phénomène d'acculturation sociale de l'intelligence artificielle.

Loin de vouloir alimenter l'anxiété, je pense que l'acculturation sociale passe par des solutions sûres. Cela n'implique pas de revisiter tout le droit – je ne crois pas qu'il soit nécessaire de refondre entièrement notre système juridique –, mais de repenser certains volets. La responsabilité médicale doit être adaptée aux nouveaux outils, en particulier aux outils intelligents qui interviennent soit dans le diagnostic, soit dans l'acte médical lui-même, quitte – pourquoi pas ? – à dissocier la responsabilité du médecin, être humain, de celle de la machine, selon que l'acte médical a été accompli par l'un ou par l'autre.

Lorsque le médecin humain aura posé un diagnostic inexact, on aura tendance à le lui reprocher, considérant qu'il s'est trompé là où la machine avait raison. Autrement dit, la plus grande fiabilité du diagnostic posé par l'outil intelligent pourrait conduire à surinvestir ou à augmenter le risque de responsabilité portant sur les médecins. C'est la raison pour laquelle j'évoque l'éventualité d'un régime dissocié, adapté aux nouvelles fonctions de l'intelligence artificielle en matière médicale. Il est certain que, sur ce point, notre droit doit évoluer.

Il est tout aussi clair que la loi Badinter de 1985 n'est pas adaptée à la mise en circulation des voitures autonomes. Lorsque l'on aura dépassé le stade de l'expérimentation et que des véhicules autonomes seront mis en circulation sur les voies ouvertes au public, il faudra adapter cette loi conçue il y a plus de trente ans pour des véhicules conduits par des êtres humains. Le législateur doit procéder à une adaptation du droit, mais progressivement, sans tout révolutionner.

Au risque de paraître passéiste ou conservateur – ce que j'assumerais volontiers –, je suis avant tout un humaniste, qui tient l'être humain pour valeur fondamentale. C'est au travers du grand principe posé par vos prédécesseurs en 1994 – la loi garantit la primauté de la personne –, que j'aborde les questions du statut juridique des animaux et du statut juridique de l'intelligence artificielle. N'en déplaise à Alain Bensoussan, « personne » n'est pas un mot-valise, « personne » n'est pas une enveloppe abstraite et juridique. Non, elle recouvre des valeurs. La distinction entre les personnes et les choses remonte à la philosophie grecque et continue de faire sens aujourd'hui.

Le législateur a imité la notion en 2015 en écrivant que l'animal est un être doué de sensibilité et que, sous réserve des lois qui le protègent, il est soumis au régime des biens. Il a eu l'intelligence d'insérer cet article non pas à la fin du livre I du code civil traitant des personnes, mais au tout début du livre II, intitulé « Des biens et des différentes modifications de la propriété ». L'animal est une chose, mais une chose protégée, qu'il convient de respecter, sans qu'il soit nécessaire d'en faire une « personne ».

Pourquoi ne pas raisonner de la même manière pour certains objets intelligents ? Des relations émotionnelles – et parfois bien plus que cela –, peuvent se nouer entre eux et les êtres humains. Il faut rappeler qu'il existe une hiérarchie entre les êtres humains, les autres êtres et les choses. J'assume pleinement ce propos que je sais ne pas être forcément majoritaire, mais cette hiérarchie fonde notre droit depuis l'Antiquité, et bien que cela fasse preuve de passéisme, j'y suis attaché.

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