L'intelligence artificielle permettra à des régions ou à des collectivités, mais également à tous les pays émergents, de résoudre les problèmes sanitaires majeurs auxquels ils sont confrontés. Il m'est toujours resté en mémoire le mot d'un confrère africain lors d'un colloque sur le consentement : « Pour consentir aux soins, encore faut-il ne pas être mort faute de les avoir reçus ! ». Et sans vouloir me prendre pour le Saint-Père à l'ONU, je vous dirai : « N'ayez pas peur ! » Il faut analyser les situations et combattre les risques, mais se garder de mettre en avant les risques par rapport aux avantages conséquents que l'intelligence artificielle peut apporter, notamment au reste du monde.
Certes, le législateur français ne peut prétendre faire la loi du monde, mais, porteur des vieilles valeurs républicaines, il peut être moteur dans la prise de conscience collective européenne. L'intérêt ne peut être simplement celui du marché, nous devons porter des valeurs éthiques.
Je me permettrai de m'abriter derrière un vice-président du Conseil d'État, M. Renaud Denoix de Saint Marc, qui estimait en 2001 que la loi devait être « solennelle, brève et permanente », au lieu d'être « bavarde, précaire et banalisée ». La question des technologies n'est pas directement inscrite dans les aspects de bioéthique mais elle pourrait être incluse dans la révision des lois de bioéthique. Comme l'a dit le président du Comité consultatif national d'éthique, compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques, il est très difficile de tout anticiper.
La loi doit être brève, solennelle et permanente ; elle doit être fondée sur les grands principes de non-discrimination et d'irréductibilité de la personne. Le malade est d'abord une personne, ce n'est pas un individu auquel on va soustraire ses datas pour donner un diagnostic. Car après tout, la conduite à tenir vis-à-vis de la maladie diagnostiquée dépendra de ce que souhaite le malade : on pourra lui proposer diverses alternatives thérapeutiques. Ainsi, une femme pourra dire : « Je ne veux pas me faire opérer du cancer du sein, bien que le docteur Watson ait dit que c'était ce qu'il fallait faire ». Le médecin pourra alors essayer de la convaincre et, en cas d'échec, lui proposer une alternative thérapeutique.
Si la loi est brève et solennelle, il faut qu'existe un organisme de régulation. Nous sommes tout à fait favorables à ce que l'on produise du droit souple, à l'image de la soft law anglo-saxonne. Le droit français n'y est pas très favorable ; le Conseil d'État lui-même est divisé entre les tenants du droit dur et les auteurs du rapport de la section du rapport et des études, qui avaient théorisé le droit souple. Si vous légiférez, il conviendrait que la loi comporte la possibilité de réguler par du droit souple.
Reste à savoir qui régulera. Cédric Villani a évoqué tout à l'heure un comité ad hoc « parallèle » au Comité consultatif national d'éthique. Il pourrait être plus opportun de prévoir que le CCNE comporte une chambre qui siégerait sur les questions de santé et sciences de la vie et une chambre qui travaillerait sur les questions relatives au numérique. Ces deux chambres pourraient se réunir sur les sujets de santé et d'intelligence artificielle.
Je ne pense pas que l'intelligence artificielle remplacera un jour le législateur, je ne crois pas non plus que nous élirons des robots. En revanche, les métiers juridiques seront fortement impactés. Une machine qui aura intégré toute la jurisprudence pourra un jour dire à un justiciable les chances qu'il a de gagner une affaire, sans qu'il soit besoin de plaider. Je sais que la Cour de cassation, notamment, s'intéresse beaucoup à ce sujet.