Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer devant vous. Je suis sociologue du droit, spécialiste de la famille, je travaille sur l'assistance médicale à la procréation depuis 2001, j'ai mené une grande enquête à Marseille dans les centres de procréation médicalement assistée, auprès de l'ensemble des professionnels travaillant dans ces centres et dans les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) et j'ai remis au Gouvernement, en 2014, le rapport Filiation, origines parentalité, issu du travail de vingt-quatre spécialistes et qui aborde de façon précise et détaillée nombre des questions qui vont être débattues à l'occasion de la révision des lois de bioéthique. Je crois que c'est pour cela que je suis là.
Mesdames et messieurs les parlementaires, ce n'est pas toujours que vous pouvez avoir le sentiment de faire l'histoire, « making history », comme le disait le président Obama, c'est-à-dire le sentiment qu'une fois qu'on sera passé il n'y aura pas eu seulement telle ou telle amélioration de la vie de nos concitoyens mais quelque chose d'un peu différent touchant aux valeurs communes. La possibilité qui vous est ici donnée concerne un certain type de famille – les familles issues de dons, ce que les Britanniques appellent Donor family council.
Il y a trois façons de faire une famille et pas d'autres. Certes, à chaque fois que l'on veut former une famille, il y faut un engagement, il faut endosser le statut de parent avec tout ce qu'il implique de droits, de devoirs, de responsabilités. Reste que, pour endosser ce statut, il y a plusieurs façons de le faire suivant ce sur quoi on va s'appuyer.
La première est d'endosser le statut de parent de l'enfant parce qu'on l'a fait. On s'appuie ici sur la procréation charnelle. C'est la façon la plus habituelle de faire une famille mais loin d'être la seule.
La deuxième manière est d'endosser le statut de parent, avec tous les engagements qu'il comporte, d'un enfant que l'on ne prétend pas avoir fait mais que l'on a adopté, donc né d'autres personnes et qui a été abandonné.
Une troisième façon de faire une famille consiste à endosser le statut de parent d'un enfant engendré avec un tiers donneur. On ne peut rapporter cette situation ni à une procréation puisque, dans le couple en question, une des personnes ne procrée pas, ni à une adoption, l'enfant n'a jamais été abandonné, il est né grâce au processus de l'engendrement avec tiers donneur. Il s'agit ici d'un cas particulier, sui generis, si je puis dire, et le problème que nous avons devant nous depuis longtemps, c'est que nous organisons des familles issues de dons, avec l'aide de la médecine, avec l'aide du droit et, cependant, nous ne les reconnaissons pas. Ces familles, en quelque sorte, sont là mais n'ont pas de véritable place au soleil, ni dans nos pratiques médicales, bien qu'on fasse tout pour les faire exister – je ne mets donc pas du tout la médecine en cause, mais l'organisation juridique –, ni dans le droit.
L'enjeu historique que j'évoquais consisterait donc pour vous à vous dire : « Nous allons faire comme il y a une vingtaine d'années avec les familles adoptives qui autrefois étaient elles aussi un peu des familles masquées puisqu'on ne disait pas toujours à l'enfant qu'il avait été adopté, l'enfant n'avait pas accès à son dossier, des dames de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) compulsaient devant lui le fameux dossier en lui distillant du renseignement non-identifiant ; or aujourd'hui, nous avons cessé de masquer les familles adoptives, nous considérons que ce sont de belles familles parfaitement légitimes, qui n'ont pas besoin de se maquiller en familles procréatives et nous avons le sentiment d'avoir fait un progrès dans le respect de ces familles, de ces parents et surtout de ces enfants et de leur identité narrative. » Eh bien, vous êtes confrontés au même enjeu, mesdames et messieurs, concernant les familles issues de dons, et l'une des grandes questions sera de savoir vers laquelle des deux voies vous tourner puisqu'il n'est plus possible de vous en tenir à la situation actuelle. Allons-nous, d'une façon décisive, comme l'ont fait avant nous de très nombreux autres pays, leur donner une place au soleil dans notre paysage familial et dans notre droit ? Ou bien allons-nous, comme certains nous y engagent, au fond, les déclarer illégitimes ? Je dis « comme certains » puisque, vous le savez, l'événement majeur des états généraux de la bioéthique a été que l'association La Manif pour tous, qui s'opposait depuis longtemps à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, a désormais un nouveau mot d'ordre qui est l'interdiction de la PMA avec don de sperme, pour tous, y compris les couples hétérosexuels qui en bénéficient depuis un demi-siècle.
Depuis les années 1970, il y a toujours eu en France deux PMA : 95 % des enfants nés par PMA sont nés d'une PMA thérapeutique concernant un couple hétérosexuel en âge de procréer ; puis, parallèlement, depuis la création des premières banques de sperme, est pratiquée la PMA avec don, précisément proposée en cas d'échec thérapeutique, et qui n'a pas vocation à traiter la stérilité d'un homme, par exemple, puisqu'il restera tout aussi stérile à la fin qu'au début. Seulement, on dit aux couples que puisqu'ils ne peuvent pas procréer naturellement et que la médecine n'a pas pu y remédier, il y a une autre solution : le recours à un donneur de sperme, à une donneuse d'ovocytes, à des donneurs d'embryons et, dans les pays qui l'autorisent – ce n'est pas le cas de la France, vous le savez –, à des donneuses de gestation.
Dès lors quelque chose de nouveau s'est produit : l'idée qu'une coopération était possible entre un couple en mal d'enfant, un couple en désir d'enfant, qui ne pouvait pas procréer par lui-même, et qui voulait faire venir au monde un enfant, engendrer un enfant, et une personne qui, elle, n'a pas l'intention de devenir parent quand elle fait un don mais a l'intention d'aider d'autres à le devenir, de permettre à un couple d'avoir l'enfant tant désiré.
Le problème, c'est que nous organisons ces familles mais nous les cachons, c'est-à-dire que nous faisons tout pour faire passer, par exemple, le mari stérile pour le géniteur, au point de choisir un donneur pourvu du même groupe sanguin que lui – ce qui n'a aucune justification médicale mais sert à accréditer un subterfuge – ; on ne dit pas à l'enfant qu'il est né d'un don – on estime qu'environ neuf enfants sur dix nés d'un don croient que leur père stérile est leur géniteur. Je ne mets pas du tout ici les parents en cause : ils ont fait ce qu'on leur a dit de faire, à savoir, pendant longtemps, de le cacher, puis de le dire, mais on ne les a jamais accompagnés dans cette démarche qui va à l'encontre de toute notre organisation qui présente le recours à un donneur non pas pour ce qu'il est – le recours à une tierce personne qui coopère à une naissance de façon tout à fait volontaire – mais comme un traitement de l'infertilité et donc, pour cela, réservé aux couples hétérosexuels en âge de procréer.
Le problème est donc le suivant : nous organisons puis nous masquons. Nous devons à mon avis avancer très rapidement et reconnaître ces enfants, et cela, d'abord, dans leur intérêt.
Cela implique beaucoup de choses. D'abord de reconnaître le don, tout en sécurisant la filiation entre les deux parents et l'enfant. Et, si l'on admet que ces familles constituées grâce au don sont possibles, il n'y a aucune raison de réserver les dons aux couples hétérosexuels en âge de procréer. Comme les familles adoptives, ces familles peuvent être monoparentales, homoparentales ou hétéroparentales.
Assurer le lien des deux parents à l'enfant consiste également à sécuriser les liens de l'enfant à ses deux parents quand une GPA a été faite à l'étranger : il n'y a aucune délinquance à aller faire dans un pays qui l'autorise une chose que ce pays permet de faire en toute légalité, et la Cour européenne avait des raisons de condamner, comme elle l'a fait, la France à cinq reprises pour avoir ignoré ce précepte.
En ce qui concerne les enfants nés de dons, il faut respecter leur droit d'accéder à leurs origines, quand ils le demandent, à leur majorité. Il faut valoriser les donneurs, qui doivent être informés des conséquences de leurs dons, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, mais avoir aussi la garantie, si nous acceptons que les enfants aient accès à leurs origines, que leur vie privée sera parfaitement respectée, ce qui est possible en recourant à un organisme tel que le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP).
Au-delà de ces quelques remarques, j'espère que notre débat nous permettra d'aborder les dons ouverts, les doubles dons, l'importation des gamètes et l'autoconservation.