Intervention de Dominique Mehl

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Dominique Mehl, sociologue, directrice de recherche au CNRS :

Dans l'hypothèse d'une ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, c'est-à-dire aux couples de femmes et aux femmes célibataires, je concentrerai mon propos sur une population assez invisible, à savoir les femmes célibataires, que j'ai rencontrées pour comprendre les raisons qui les poussaient à s'engager dans l'enfantement par la procréation médicalement assistée.

Il s'agit d'une question qui n'a pas beaucoup de visibilité publique et, si les femmes célibataires ont été incluses dans les débats sur la révision des lois concernant la PMA, c'est quasiment en codicille des femmes lesbiennes, c'est-à-dire que, à partir du moment où le mariage pour tous légitimait la demande homoparentale et que les familles homoparentales était apparues sur la scène publique et avaient montré comment elles élevaient leurs enfants, on a englobé dans la problématique toutes les femmes, sans s'interroger sur ce que représentait véritablement la PMA dans les trajectoires solitaires.

Il y a plein de façons de devenir mère célibataire, la première et la plus simple d'entre elles consistant à piéger un homme, qu'il soit votre compagnon ou une rencontre de passage. Une autre façon, plus récente est la recherche d'un donneur sur un internet ; c'est une voie plus périlleuse, dans la mesure où aucun contrat ne lie la femme au donneur et que, si ce dernier revient sur sa décision de ne pas assumer sa paternité, un test ADN lui permet, depuis 2005, d'être investi comme père, même si la mère ne le souhaite pas. Enfin, un troisième moyen, légal, est l'adoption, mais qui s'avère pour les célibataires un processus encore plus ardu que pour les couples hétérosexuels ; en effet, non seulement très rares sont les pays qui acceptent les adoptants célibataires, mais l'obtention de l'agrément s'apparente dans leur cas à un véritable parcours du combattant.

Au-delà de ces difficultés, si les femmes célibataires se détournent de l'adoption pour se tourner vers la PMA, c'est pour les mêmes raisons que les couples de femmes ou les couples hétérosexuels, à savoir le désir de porter l'enfant, d'avoir un nouveau-né, pour ne pas construire le projet familial avec un enfant lesté par un passé d'abandon mais avec un enfant réellement désiré.

Parmi ces femmes, certaines accèdent déjà à la procréation médicalement assistée, mais sont obligées pour cela de se rendre à l'étranger, essentiellement en Belgique et en Espagne.

Ces femmes se définissent comme des mères solos, ce qui marque la différence avec la monoparenté, laquelle, très répandue dans nos sociétés et comptabilisée dans les statistiques sociales, résulte d'une séparation, d'un divorce ou d'une crise conjugale, à l'issue de quoi c'est le plus souvent la femme qui se retrouve seule au foyer avec l'enfant.

Les raisons sociales qui président à la maternité solo sont différentes. Elles sont d'abord liées au recul de l'âge de la maternité pour toutes les femmes, dont René Frydman a parlé. C'est un mouvement qui semble à peu près irréversible dans la mesure où il découle des mutations de l'engagement professionnel, de l'allongement des études et de toutes ces conditions qui font qu'on se décide plus tardivement à faire un enfant.

Pour les femmes seules néanmoins, ce qui est déterminant dans le choix de la procréation médicalement assistée, ce sont beaucoup moins ces conditions sociales que les conditions de leur propre conjugalité, c'est-à-dire que ce sont des femmes qui, tout en ayant vécu les aléas de la conjugalité contemporaine – très engagée et très exigeante sentimentalement, mais prompte à se défaire et que l'enfant ne suffit pas à faire tenir –, conservent une certaine estime pour les hommes et se refusent donc à les piéger.

Cette fragilité – ou liberté conjugale – fait que nombre de femmes se retrouvent sans enfant à l'approche de la quarantaine, avec un même leitmotiv : je préfère encore être mère seule que sans enfant. Il ne s'agit en aucun cas d'un rejet de l'idée de conjugalité, à laquelle elles demeurent attachées ; au contraire, le conjoint sera toujours bienvenu, et certaines n'ont pas renoncé à l'idée du prince charmant.

C'est donc l'horloge biologique, dont René Frydman parlait tout à l'heure, qui les motive. Davantage informées par les médias et les gynécologues que les femmes de ma génération, qui croyaient pouvoir être enceintes jusqu'à la ménopause, elles savent qu'à partir de trente-cinq ans, leur fécondité diminue et que la question de la maternité se pose de façon urgente.

La cause de ces femmes est fragile, et j'espère que vous aurez à coeur de la défendre, car ces femmes ne sont pas toujours très fières d'avoir fait ce qu'elles ont fait et éprouvent même parfois de la culpabilité pour avoir privé leur enfant d'un père. Ces femmes par ailleurs ne se sont jamais organisées ni en groupe de pression ni en association et ne disposent que d'un blog sur lequel elles s'expriment. Leur approche de la procréation médicalement assistée n'est nullement militante mais correspond à un phénomène de société qui, à mon avis, ne va faire que s'amplifier.

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