Je voudrais aborder avec vous la question de l'ouverture, donc de l'extension de la procréation médicalement assistée pour les femmes célibataires et les couples de femmes. Actuellement, en droit français, la PMA poursuit un objectif thérapeutique : éviter la transmission d'une maladie grave ou compenser une infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée. En conséquence, elle ne concerne que les couples composés d'un homme et d'une femme, vivants et en âge de procréer, l'incapacité à procréer des autres couples ne résultant pas d'une cause pathologique. Par ailleurs, la procréation artificielle imite dans ces conditions la procréation naturelle, et la loi garantit à l'enfant qui en est issu, une filiation cohérente au regard des exigences biologiques de la procréation.
Autoriser la PMA pour les femmes célibataires ou les couples de femmes signifierait l'insémination par donneur de femmes qui ne sont pas confrontées à une stérilité pathologique mais désirent réaliser un projet d'enfants qui n'inclut aucun homme. Je voudrais attirer votre attention sur quelques conséquences de ce projet, en particulier en matière de filiation, conséquences d'une telle ampleur qu'elles ne sauraient raisonnablement, me semble-t-il, être envisagées dans le cadre d'une loi de bioéthique mais mériteraient un projet de loi à elles seules.
Du point de vue des enfants, l'autorisation de la PMA pour les femmes seules ou les couples de femmes signifie la légalisation d'une forme de conception qui écarte délibérément et définitivement le père. La nouveauté ne serait pas que ces enfants ne connaissent pas leur père mais que son absence soit institutionnalisée dans la loi, ce qui, quel que soit l'amour qui sera sans nul doute prodigué à l'enfant, méconnaît malheureusement ses droits, tels qu'ils sont en particulier inscrit dans la Convention internationale des droits de l'enfant, dont l'article 7 stipule que « l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ».
Les parents sont ceux qui sont à l'origine de la naissance de l'enfant, de sa vie, et le père en fait partie. Dès lors, et dans la mesure où cette convention internationale a une valeur juridique supérieure à la loi, il paraît difficile d'envisager qu'une forme de conception qui efface légalement le père puisse être compatible avec ce droit.
Si nul ne conteste que la façon dont une femme choisit d'avoir un enfant relève de sa vie privée, à partir du moment où la loi est sollicitée, c'est la responsabilité du législateur de prendre en considération les droits de tous et, en l'espèce, des enfants. Il se trouve d'ailleurs que le droit international rejoint ici l'opinion des Français : un sondage IFOP, publié le 15 juin 2018 dans le journal La Croix, révèle en effet que, pour 93 % des Français, les pères ont un rôle essentiel pour les enfants.
D'où l'intérêt de s'interroger sur un projet qui vise justement à écarter délibérément le père et qui, juridiquement, place la France face à une alternative assez simple : respecter les droits de l'enfant, tels qu'ils sont garantis par la Convention internationale des droits de l'enfant, ou faire prévaloir les désirs de certains adultes, ce qui reviendrait à amorcer des bombes juridiques à retardement, dans la mesure où, un jour ou l'autre, ces enfants demanderont des comptes juridiques au sujet de l'effacement par la loi de leur branche paternelle.
Par ailleurs, il faut aussi avoir conscience que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes signifierait à terme l'abandon de la gratuité des éléments et produits du corps humain. En effet, la pénurie d'apport de sperme que nous connaissons déjà s'aggraverait, puisque, par définition, dans le cas des femmes seules ou des couples de femmes, la PMA se pratique toujours avec un donneur. Il faudrait dès lors obligatoirement rémunérer les gamètes : les États qui ont ouvert la PMA en dehors des indications thérapeutiques ont été obligés d'y venir, par exemple la Belgique ou le Canada qui, ayant tenté de maintenir la gratuité, se sont retrouvés avec l'obligation d'acheter 90 % de leur sperme au Danemark et aux États-Unis.
Si on renonce à l'objectif thérapeutique et qu'on légalise l'insémination des femmes fertiles, on ouvre de fait la PMA à tous, y compris aux couples hétérosexuels fertiles, qui sont numériquement les plus nombreux et constituent, à n'en pas douter, la cible réelle de ce marché de la procréation, qui n'attend que la levée de ce verrou thérapeutique en France pour se développer. Les exemples étrangers le montrent bien : partout où la PMA est ouverte en dehors des indications thérapeutiques, l'offre de prestations sur mesure se développe et permet aux couples fertiles certes d'avoir des enfants sans problèmes, mais surtout de programmer un enfant doté des caractéristiques souhaitées. Ce qui se joue ici n'est donc pas uniquement l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, mais, en réalité, la PMA généralisée et son corollaire : la programmation de l'enfant sur mesure.
En second lieu, je voudrais vous alerter sur le fait que la PMA comporte certes des enjeux bioéthiques mais qu'en réalité ce qu'elle remet profondément en question, c'est la filiation. Actuellement, la filiation des enfants issus des PMA est intégrée dans le titre VII du code civil, relatif à la filiation de droit commun. Cela est rendu possible par le fait que la procréation artificielle imite la procréation naturelle et garantit à l'enfant une filiation cohérente au regard des exigences biologiques. Je rappelle en effet que la filiation de droit commun est toujours entièrement fondée sur la référence à l'engendrement de l'enfant – nous parlons ici d'un engendrement biologique ou au moins symbolique, puisque la loi française n'exige pas la vérité biologique mais seulement la vraisemblance de la filiation.
Au contraire, la filiation d'un enfant rattaché ab initio à deux femmes ne rentre pas dans le cadre du titre VII, et supposerait donc une refonte totale de la filiation en droit français, qui ne peut pas raisonnablement s'opérer au détour d'une loi de bioéthique mais exige un projet de loi de grande ampleur. Si l'on choisissait, comme l'a fait la loi de 2013 pour l'adoption par des personnes de même sexe, de cantonner la filiation des enfants issus de la PMA ouverte aux femmes dans un titre spécial, tous les enfants issus d'une PMA et qui bénéficient actuellement de la filiation de droit commun seraient à leur tour concernés et basculeraient dans cette catégorie à part, ce qui n'est pas satisfaisant.
Il y a donc toute une réflexion à mener sur la filiation, bien au-delà de la bioéthique, si toutefois on voulait persévérer dans cette voie.