Je vous remercie beaucoup de m'avoir convié à cette table ronde. Je suppose que ce sont mes différentes interventions dans les journaux et surtout le livre que j'ai écrit il y a quelques années sur l'homoparenté qui justifient ma présence parmi vous.
Mon propos sera donc sans doute un peu décalé par rapport à celui de mes amies sociologues, dans la mesure où ce dont je vais vous parler est inspiré par des années d'écoute de ce qui se dit sur le divan de mon cabinet au sujet de ce qui amène les gens à avoir recours à telle ou telle technique, à tel ou tel procédé pour avoir un enfant, voire, dans certains cas dramatiques, pour s'en passer : on m'a en effet rapporté que lors de la gay-pride de Lyon, le week-end dernier, un des slogans scandés par une partie de la foule était : « Nous voulons la PMA pour toutes, pour avorter ». Si je vous rapporte cette revendication sidérante, c'est qu'il ne faut pas croire que, lorsqu'on aura éventuellement accordé la PMA à toutes, on en aura fini avec les revendications et les demandes qui heurtent éventuellement le sens moral ou éthique d'un certain nombre d'entre nous.
En tant que psychanalyste, je ne m'intéresse pas du tout à la famille, à sa structure, à ses composantes ou à son organisation. En tant que psychanalyste en revanche, ce qui m'intéresse chez mes patients, c'est leur généalogie, leur filiation et la connaissance qu'ils en ont. Ayant longtemps travaillé avec des enfants, j'ai remarqué que les jeunes enfants, entre cinq et sept ans, qui sont au fait de qui est qui parmi ceux qui ont promu leur existence, leur arrivée dans la vie, ont beaucoup moins de difficulté que les autres à intégrer ce qu'on leur apprend. Lorsque la généalogie est trouée de blancs ou d'absences, dans ces trous se déverse tout le savoir que l'enfant voudrait acquérir et qui, de fait, n'est plus acquis et ne peut plus s'acquérir. Il suffit d'observer autour de soi pour constater cette différence dans le rapport au savoir, qui est, selon moi, une donnée clinique essentielle.
En second lieu, permettez-moi de dire que réduire la fonction paternelle, le père, à un spermatozoïde, il fallait l'inventer ! Dire d'un enfant qu'il a été conçu à trois fleure bon le catholicisme, le don et la conception trinitaire, mais la filiation et la généalogie sont tout autre chose : c'est savoir très précisément qui est son père et qui est sa mère, même quand on ignore qui est son père et qu'on n'a de lui que le savoir du fait qu'on a eu un père, ce qui peut s'inscrire – et doit s'inscrire – quelque part. Y compris lorsque ce sont deux femmes qui recourent à un tiers donneur, il est bon et juste, du point de vue de l'identité de l'enfant, qu'il sache qu'est écrit quelque part que ce ne sont pas ces femmes qui sont à l'origine de sa procréation mais qu'il a fallu recourir à quelqu'un, qui doit être non seulement nommé – je vais essayer d'expliquer pourquoi – mais également inscrit quelque part, ainsi qu'on inscrivait à une certaine époque sur les registres d'état civil : « né(e) de père inconnu ».
Il faudra sans doute inventer une formule plus heureuse, mais il n'empêche qu'être né d'un père inconnu est malgré tout être né d'un père. Faire disparaître le père, le scotomiser au prétexte qu'il ne participe pas du noyau familial qui élève l'enfant, l'aime et se veut garant de son bonheur est une erreur, car l'armature psychique se construit sur un squelette qui est le squelette généalogique. C'est la raison pour laquelle le grand juriste et psychanalyste Pierre Legendre dit de l'homme qu'il est un animal généalogique.
À cet égard, je renvoie dos-à-dos, pour faire vite, les partisans de La Manif pour tous et les partisans de la PMA pour toutes, qui raisonnent, les uns comme les autres, à l'horizon d'une génération, voire de deux, ne considérant les effets de la PMA que sur ceux qui en sont directement issus. C'est ainsi que La Manif pour tous a pour slogan : « Une maman, un papa, un enfant », à quoi ses adversaires opposent les statistiques et les études sociologiques, qui montrent que les enfants issus d'une PMA vont bien.
Or, en tant que psychanalyste, je dirais qu'en réalité on n'en sait rien, parce qu'il faut beaucoup plus qu'une génération pour savoir quels sont les effets de ce que la loi va autoriser. On disait à une époque que, pour faire un enfant psychotique, il fallait trois générations. Je ne dis pas que cela sera le cas, mais je pense qu'il faudrait se préoccuper, au-delà de la parentalité au présent, de la généalogie et du fait que la loi pourrait autoriser des femmes seules ou en couple à s'arroger le droit de priver un enfant de ces pères généalogiques qui leur ont permis, à elles d'exister. Car ces femmes ont des pères et vont donner à ses enfants le nom de leur père, avec ce paradoxe étrange que, sous prétexte de ne pas donner à l'enfant le nom d'un père dont on n'a pas voulu, on va lui donner le nom du père qu'on a eu. J'invite donc la représentation nationale à bien réfléchir aux conséquences juridiques et psychiques qu'une telle affaire peut avoir.
Mme Mirkovic a cité un sondage paru vendredi dernier dans La Croix. Ce sondage a évidemment été balayé d'un revers de main par ceux qu'il dérangeait, au motif qu'il avait été commandé par Alliance VITA. C'est exact, mais il a été réalisé de façon extrêmement scientifique et selon une méthodologie transparente par l'institut IFOP sur un échantillon de deux mille personnes. S'il a été balayé d'une façon aussi définitive, c'est qu'il dit le contraire d'un autre sondage, lui aussi paru dans La Croix et selon lequel entre 60 et 65 % des Français étaient favorables à la PMA pour toutes. Sauf que ce que ce sondage fait apparaître, c'est que, selon la façon dont on pose la question, on se retrouve évidemment avec des réponses très différentes. En l'occurrence, la question était la suivante : « Diriez-vous que les pères ont un rôle essentiel pour les enfants ? » 93 % des personnes ont répondu oui ! Autre question : « Depuis quelques années, le modèle du père a évolué. De laquelle de ces deux affirmations vous sentez-vous le plus proche ? Le rôle du père et de la mère sont différents et complémentaires : 73 % ; le rôle du père et de la mère sont identiques et interchangeables : 27 % » Ces chiffres parlent d'eux-mêmes, et je vous les cite d'autant plus volontiers que, personnellement, je ne crois pas que les rôles du père et de la mère soient complémentaires, mais c'est l'objet d'un autre débat.