Intervention de Irène Théry

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Irène Théry, sociologue :

Mme Mirkovic parle de personnes que je connais. Pour moi, elles ont des noms, des visages, des histoires. Je l'entends dire que ces parents parfaitement remarquables achètent des enfants. Je l'entends dire que ces enfants, qui vont dans nos crèches et nos écoles, sont achetés. Elle en fait des caricatures. De la part de quelqu'un qui se revendique grand défenseur du respect des personnes et du droit des enfants, c'est tout à fait extraordinaire.

Je la remercie néanmoins d'avoir si bien expliqué les choses. Ces enfants ne manquent de rien mais, avec acharnement, on va le leur refuser. Il y a un paradoxe. Pourquoi êtes-vous si attentionnée, si attentive à vouloir les empêcher d'avoir quelque chose qui n'est rien ? La filiation de ces enfants a été établie à l'étranger, dans un pays où la gestation pour autrui est légale. Grâce à la circulaire de Mme Taubira, ils peuvent être français car leurs parents sont français ; ils ont une carte d'identité française.

Certains veulent que ces enfants de parents français aient un état civil étranger, qu'ils soient un peu considérés comme des étrangers, en particulier au regard de la filiation, dans leur propre pays. En fait, vous demandez un statut d'infériorité pour ces enfants. Vous voulez qu'ils soient un peu parias, pour payer la faute que leurs parents auraient commise. Or ces parents n'ont commis aucun délit, aucun crime. Dans sa sagesse, la CEDH constate qu'il n'y a pas de consensus international sur la GPA et elle estime que des pays ont le droit de l'interdire et d'autres de l'autoriser. En revanche, elle juge inacceptable que des enfants en subissent les conséquences.

Certains pays interdisent la GPA parce qu'ils pensent, à tort ou à raison, qu'ils ne peuvent pas garantir les droits des gestatrices. Nous pourrions en débattre. Quoi qu'il en soit, rien ne justifie que l'enfant soit privé du droit fondamental à son identité. J'espère que nous pourrons rapidement régler cette question des enfants nés de GPA à l'étranger. Je connais des couples qui ont pu obtenir la transcription de la double filiation de leurs enfants et d'autres qui n'y sont pas parvenus. Il faut arriver au stade où la situation sera la même pour tous.

Nombre d'entre vous s'interrogent sur la filiation en cas d'ouverture de la PMA à des couples de femmes. C'est une question absolument centrale. Une fois encore, je remarque que Mme Mirkovic n'a qu'une idée en tête : ne pas traiter cette question dans le cadre de la rénovation des lois de bioéthique. On risquerait alors de créer une situation où, dans un couple de femmes ayant eu recours à la PMA, seule celle qui accouche serait reconnue comme la mère de l'enfant. La compagne ou l'épouse de cette femme n'aurait pas de lien sécurisé à son enfant, à moins de passer par une adoption. Soit on fait les choses, soit on ne les fait pas. Il faut sécuriser la situation et la filiation de tous les enfants.

Vous comprenez pourquoi, dans ma première intervention, j'ai longuement insisté sur le fait que la PMA avec don existe depuis un demi-siècle. C'est un engendrement à trois personnes : un couple de futurs parents et une tierce personne qui donne sa capacité procréatrice. Le donneur de sperme n'a jamais voulu être un père, monsieur Di Filippo. On lui garantit, heureusement, qu'il ne sera jamais un père. Pourquoi l'appelez-vous un père malgré lui ? Il donne pour qu'un autre homme soit père ou pour que, dans d'autres pays, deux femmes puissent être mères. Ne confondons pas les origines et la filiation. Depuis 2002 et la création du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), c'est inscrit dans le droit. Les origines ne permettent en aucun cas l'établissement d'une paternité ou d'une maternité.

Je pense que l'on va ouvrir la PMA aux couples de femmes. On ne cesse de présenter la PMA avec don comme une pseudo-procréation du couple receveur, ce qu'elle n'a jamais été. Si l'on va vers la responsabilité, si l'on assume devant l'enfant que notre société constitue des familles sur des dons, il n'y a pas de raison de rester dans un modèle d'imitation et de mensonges. Dans ce cas, il faut sécuriser la filiation de l'enfant à ses deux mères, dès avant sa naissance. C'est possible pour les enfants nés de PMA avec don des couples hétérosexuels, grâce à la présomption de paternité ou à la reconnaissance anticipée. Les enfants ont une double filiation sécurisée. S'il arrive quoi que ce soit pendant la grossesse ou au moment de l'accouchement, le lien de l'enfant à ses deux parents et à ses deux lignées – il y a aussi des grands-mères et des grands-pères derrière tout cela – sera assuré.

Comment assurer ce lien ? Il existe plusieurs solutions qui n'impliquent absolument pas la refonte de la filiation dont parle Mme Mirkovic. En cas de PMA avec don, on doit donner son accord devant un juge. À ce moment-là, le couple peut faire ce que nous avons appelé une déclaration commune anticipée de filiation. Les deux membres du couple déclarent, par avance, qu'ils seront les parents de l'enfant qui naîtra du processus auquel ils viennent de donner leur accord.

Dans notre groupe de travail, nous souhaiterions que tous les parents qui recourent à un don fassent cette déclaration commune filiation. C'est la façon la plus simple d'indiquer ce qui lie l'enfant à ses parents, en sortant du pseudo-biologique dans les cas où, par hypothèse, un père, par exemple, n'est pas le géniteur.

À vous, mesdames et messieurs les députés, de prendre vos responsabilités politiques. Vous pouvez décider que l'on évolue pour tous dans le sens de plus de responsabilités et de transparence. Vous pouvez aussi décider de maintenir les choses en l'état pour les couples hétérosexuels qui utilisent la présomption de paternité et la reconnaissance, et prévoir une déclaration commune anticipée de maternité pour les couples de femmes. Vous avez plusieurs solutions possibles et, à mon avis, il serait indigne de ne pas sécuriser la double filiation de l'enfant dès avant la naissance.

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