Intervention de Irène Théry

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Irène Théry, sociologue :

Il faut peut-être commencer par rappeler que désormais l'homoparenté existe en droit français. Il est vrai que parmi les personnes auditionnées, trois se sont illustrées par leur opposition très ferme à l'homoparenté. On a parfois l'impression que le droit n'est toujours pas accepté, et qu'il faut chaque fois y revenir. En France, un enfant peut avoir deux mères et pas de père : c'est la loi et c'est la société. Quand nous parlons avec les couples homoparentaux, il nous explique que les choses se passent mieux au coeur de la société que, quelquefois, dans le débat médiatique et politique.

Dans les maternités, dans les crèches, dans les écoles, ces enfants trouvent leur place, et les familles avec deux pères ou deux mères sont respectées. Ce n'est que dans certaines enceintes que l'on a parfois des mots indignes à leur égard.

Sachant que l'homoparenté existe, qu'est-ce qui pouvait expliquer que l'on accepte l'adoption et que l'on refuse la PMA ? Telle est la question qui s'est posée en 2013. C'est uniquement que l'on avait une vision erronée et mensongère de la PMA avec don. Il s'agit du point central sur lequel j'aurais insisté durant toute cette table ronde.

Une PMA avec don n'est pas une procréation du couple, et il n'y a pas de raison de continuer à la maquiller pour qu'elle y ressemble. Cela s'est fait avec d'excellentes intentions : il y a vingt, trente ou quarante ans, on se disait que la famille modèle c'était papa maman, et les enfants, et qu'il fallait faire comme si monsieur n'était pas stérile alors qu'il l'était.

La mise en oeuvre de ce modèle « ni vu ni connu » a eu de très graves conséquences, en particulier celles liées au mensonge à l'égard des enfants sur leur identité narrative. Nous avons désormais des devoirs envers des nouvelles générations de personnes nées de dons, arrivées à l'âge adulte – à l'âge de vouloir elles-mêmes des enfants –, qui nous interrogent et nous demandent : « De quel droit, avez-vous décidé qu'une catégorie de personnes ne pourrait jamais, du fait de la volonté de l'État, avoir de réponses à la question : à qui dois-je d'être né ? »

La question est d'autant plus pressante que l'identité du donneur est parfaitement connue puisqu'elle est conservée pendant trente ou quarante ans dans une armoire forte à laquelle seuls les médecins ont accès. Les personnes concernées n'ont pas accès à ces informations parce qu'on suppose que, peut-être, elles pourraient « en faire un mauvais usage ». On n'a d'ailleurs aucune idée de la raison pour laquelle elles pourraient « en faire un mauvais usage ». En fait, les personnes en question expliquent qu'elles comprennent très bien la situation et elles nous disent : « Nous savons parfaitement que nous avons un père qui nous a élevés, qui nous a voulus, qui nous aiment et que nous aimons, mais aussi un géniteur, qui est une autre personne qui nous a permis d'être là parmi vous, vivants et mortels, comme vous. Il n'y a pas de raison de décider qu'une partie de ce qui nous a faits doit nous échapper. »

Si nous entendons cette revendication fondamentale relative à l'accès aux origines, il faut se poser la question de ce que nous pourrons proposer aux 70 000 ou 80 000 enfants nés de dons dans le passé, sachant que la loi n'est pas rétroactive. Il faudra absolument une réflexion. Des propositions ont été faites, et des exemples étrangers existent. Il faut se garder des débats franco-français sur ces sujets, parce que de nombreux pays ont une expérience en la matière qui remonte à vingt ou trente ans.

Il y a par exemple la possibilité d'ouvrir des registres dans lesquels des personnes ayant fait des dons dans le passé pourraient s'inscrire de façon volontaire pour indiquer qu'elles sont d'accord pour que leur identité soit révélée. Des personnes nées de dons pourraient ainsi avoir satisfaction et trouver une réponse à leur questionnement. Je vous invite à voir comment cela se passe au Royaume-Uni.

On pourrait aller vers cette façon d'assumer, de manière responsable, que les familles d'enfants nés de dons existent, qu'elles n'ont rien de honteux ou d'illégitimes, que les places de chacun y sont parfaitement claires : un donneur n'est pas un parent, les parents sont les parents qui ont sollicité et reçu le don…

Dans ce cas, il n'y a rien de choquant à dire qu'il faut sécuriser la filiation des enfants à l'égard de leurs deux parents, leurs deux parents pouvant évidemment être, comme le droit français le permet, non seulement un père et une mère, mais également deux mères, dans le cadre de la PMA.

L'ouverture de la PMA aux couples de femmes nous fait-elle entrer dans une sorte de logique qui mène fatalement à la GPA ? Moi qui suis, et je ne m'en cache, pas favorable à une GPA éthique, j'affirme qu'il n'y a aucune fatalité. Personne ne prétend d'ailleurs que l'une entraîne l'autre. On ne peut pas dire : « Parce qu'il y a des dons de sperme ou des dons de gamètes, il serait discriminatoire qu'il n'y ait pas des dons de gestation. »

Un don de gestation ce n'est pas n'importe quoi – sur ce point au moins, je pourrais trouver des points d'accord avec Sylviane Agacinski. En revanche, à la différence de cette dernière, je pense qu'une femme peut vouloir porter l'enfant d'autrui, et non « vendre son enfant ». Je trouve insultant, pour les gestatrices que je connais, d'affirmer qu'elles vendent leur enfant, alors qu'elles ont reçu un embryon du couple d'intention, et qu'elles pensent le leur rendre à la naissance. Elles ne vendent rien ; pour elles l'enfant n'est en aucun cas une chose.

En tout cas, un don de gestation, ce n'est pas n'importe quoi : c'est neuf mois de la vie d'une femme, une grossesse, des risques, un accouchement… Il n'y a aucune raison d'imaginer qu'un débat sur le don de gamètes puisse avoir des conséquences directes sur la gestation pour autrui. Le jour où nous voudrons parler de la gestation pour autrui, nous le ferons. Le jour où nous voudrons légaliser la gestation pour autrui éthique, nous le ferons, mais cela supposera d'avoir préalablement un débat de fond sur la spécificité de l'enfantement.

Madame Romeiro Dias, vous avez eu raison de citer l'autoconservation des gamètes qui est absolument capitale pour les jeunes femmes trentenaires, même si ce n'est pas la panacée. On a pris conscience que le déplacement de l'âge de la maternité était un fait structurel. Alors que la fertilité des femmes est maximale autour de leurs vingt et un ans, qui souhaiterait aujourd'hui que ses enfants fondent une famille à cet âge ? On se sent beaucoup trop jeune pour cela. Ce déplacement structurel tient à la recomposition du calendrier biographique, liée à l'allongement de l'espérance de vie. On recompose la jeunesse, la maturité, la vieillesse, le grand âge…

L'âge de la maternité se situe aujourd'hui entre trente et quarante ans, période durant laquelle, malgré elles, certaines femmes peuvent être confrontées à une baisse de leur fertilité ou à une infertilité qui aurait pu être anticipée. L'autoconservation est tout simplement l'une des façons – il y en a d'autres, comme la solution consistant à avancer une naissance – de ne pas se trouver dans la situation de devoir courir l'Europe pour chercher des dons d'ovocytes. Elle consiste à tout simplement conserver les siens dans une démarche médicale de prévention et de sécurité. Pourquoi l'interdisons-nous ? Je ne vois aucune raison valable. Il est vrai que j'entends que cela pourrait être trop cher. Il faut avoir un débat sur les coûts et le financement, mais c'est un autre problème. La question de l'autoconservation et l'enjeu de son remboursement ou non sont des sujets très différents de la PMA.

Monsieur Jean-François Mbaye, la PMA avec don n'est pas thérapeutique : c'est une réponse sociale à la détresse des couples en mal d'enfant. Elle a toujours été remboursée. Il serait évidemment, choquant qu'on la rembourse pour les couples hétérosexuels, et qu'on ne la rembourse pas pour les couples homosexuels alors que, dans les deux cas, nous parlons exactement de la même chose : la possibilité de fonder une famille par la coopération d'une tierce personne qui donne sa capacité procréatrice pour que vous puissiez avoir un enfant.

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