Toute la différence est là, entre les relations naturelles entre les personnes, et l'utilisation de la médecine, de tierces personnes. Et dès lors qu'il est question de tiers, qu'il est question d'enfants, le législateur doit s'interroger sur la justice – ou pas – de l'institution.
Pour ma part, j'ai insisté sur les notions de personnes et de choses, piliers de notre civilisation depuis le droit romain jusqu'à l'abolition de l'esclavage : une personne ne peut exercer sur une autre aucun des attributs du droit de propriété. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai mis l'accent sur la GPA qui me paraît être la plus choquante des pratiques, et sur la violence qu'elle suppose du point de vue du droit et du point de vue du rapport aux personnes, si du moins on se réfère à ce qu'est la maternité – mais je n'ai pas le temps de développer ce point.
L'expression de « tourisme procréatif » est peut-être choquante, dépréciative, mais il s'agit tout de même de voyager pour contourner la loi française, et aller acheter un droit familial qu'on n'a pas le droit d'acheter ici. Je maintiens également le terme de « vente ». Je pense ici à une enquête anthropologique sur les enfants de la mère porteuse, dont on ne parle pas beaucoup. Ceux-ci vivent dans le foyer avec la femme qui est enceinte et qui explique qu'elle va « donner » – d'autres disent « vendre » parce que cela permettra d'agrandir la maison, d'acheter ceci ou cela, etc. – le bébé. Ces enfants demandent à leur mère si elle va les donner ou les vendre, eux aussi. Donner ou vendre, il y a là une grande parenté puisqu'à chaque fois, il s'agit de disposer de la personne. Et cela va à l'encontre de l'indisponibilité du corps et de la personne. Donner ou vendre, c'est exactement la même chose.
J'ai évoqué parfois la comparaison avec l'esclavage. Je ne visais pas, bien entendu, l'esclavage dans les champs de coton et les coups de fouet. Mais on peut penser à l'esclavage antique, qui était simplement l'exercice d'un droit de propriété sur une personne, laquelle pouvait être très bien traitée – le pédagogue était un esclave qui accompagnait les enfants à l'école.
C'est la raison pour laquelle les argumentations psychologiques et psychanalytiques, bien qu'importantes, ne me semblent pas suffisantes. En effet, personne n'aurait imaginé qu'on allait abolir l'esclavage parce que les esclaves avaient des problèmes psychologiques ou parce qu'ils se portaient mal, ni même parce qu'ils étaient maltraités. On aurait alors pu imaginer un esclavage « éthique » de nature à améliorer leur vie, à ne pas les faire souffrir, etc. Mais le principe aurait été le même, à savoir une forme d'appropriation.
La GPA n'est pas fondée sur le même genre d'appropriation, bien entendu. Elle n'en consiste pas moins à s'approprier des droits qui, selon nos principes fondamentaux, sont, non pas patrimoniaux, mais familiaux. Et si le législateur n'est pas obsédé par ces questions de principes liés aux droits des personnes, qui le sera ? Le citoyen moyen ne se pose pas forcément ces questions. Aristote le disait déjà, la plupart des gens se passent de l'éthique, au sens de la recherche du juste ou de l'injuste. Chacun a sa moralité subjective, avec plus ou moins d'intérêt personnel et plus ou moins d'égoïsme. Mais s'il est des personnes pour lesquelles l'exigence éthique est absolument nécessaire : ce sont les législateurs.
Une question a été posée sur le lien entre la PMA et la GPA. Non, sauf à déraisonner, je ne pense pas qu'il soit possible de faire un parallèle entre elles en raison même de la nature radicalement différente d'un don de sperme et d'une maternité. Mais c'est vrai que l'expérience nous montre qu'on utilise de manière souvent aberrante la notion d'égalité dans des cas qui ne sont absolument pas semblables et qui n'ont même aucun point commun, alors que l'on sait bien que le principe d'égalité n'est pas mis en cause lorsque l'on traite différemment des réalités qui sont différentes – c'est même écrit dans la Constitution. Je ne vois donc pas de nécessité de passer de l'une à l'autre.