Intervention de Aude Mirkovic

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé à l'université d'Évry :

Dans tous les cas, que l'enfant soit adopté par des parents de même sexe ou de sexe différent ou célibataires, l'adoption ne prive jamais l'enfant de ses parents d'origine. Elle intervient au profit d'un enfant qui en a été privé, mais pas par l'adoption. Les parents adoptifs n'interviennent qu'après, pour réparer cette privation – d'une manière dont on peut discuter. En revanche, la PMA qui écarte délibérément le père met l'enfant en situation d'insécurité puisqu'il n'a qu'un seul parent : sa mère. Ce que l'adoption visait à réparer est délibérément suscité, de but en blanc.

Voilà pourquoi la PMA ne peut pas être comparée à l'adoption : l'une est une mesure réparatrice, et l'autre est une mesure programmée, délibérée.

Ensuite, un couple hétérosexuel infertile peut recourir à un don de gamètes, permis par la loi française. Mais c'est déjà problématique. En 1994, on a voulu croire que seul importait pour les enfants d'avoir été désirés puis aimés. De fait, on s'aperçoit aujourd'hui que la première génération d'enfants issus du don a été désirée et aimée comme promis. Mais ceux qui s'expriment – ce qui suppose déjà qu'ils soient au courant – nous expliquent que ce n'est pas si simple d'être issu ou pas de quelqu'un, quand bien même on l'appellerait donneur. Ce n'est pas indifférent. Ce n'est pas anodin.

Dans ces conditions, est-il opportun de généraliser le recours à des dons de gamètes et, au passage, d'aggraver sa signification dans la mesure où la PMA, pour les femmes, est toujours une PMA avec donneur ? On passerait ainsi de la PMA avec donneur par exception, à une PMA avec donneur systématique.

Les enfants issus de dons qui s'expriment aujourd'hui sont très clairs, notamment sur leur filiation. Il faut relativiser la portée du don de gamètes. Ces enfants disent à qui veut l'entendre qu'ils ont déjà un père, et qu'ils n'en cherchent pas un en la personne du donneur. Mais les enfants à venir, qui seront issus des PMA pour les femmes, ne pourront pas en dire autant, dans la mesure où ils n'auront pas de père. On passerait donc de la mise à l'écart du géniteur de l'enfant au profit d'un père d'intention, qui pose déjà problème aujourd'hui, à la mise l'écart définitive de toute lignée paternelle, ce qui est tout à fait différent. Je pense donc qu'il convient de réfléchir avant de généraliser le don de gamètes.

Et je terminerai sur ce point : on décrète qu'il est indifférent pour des enfants d'avoir un père ou de n'en pas avoir, ou d'avoir comme père tel homme ou tel autre. Pour eux, le fait d'être reliés génétiquement n'aurait pas d'importance. Il devrait en être de même pour les adultes. Mais on constate qu'il n'en est rien.

Dans les processus actuels de PMA, des erreurs médicales peuvent en effet se produire : par exemple, la femme est inséminée par des gamètes qui ne sont pas ceux de son mari ou de son concubin ; ou alors, la femme se voit implanter un embryon qui vient d'un autre couple. Ainsi, un couple en processus de PMA qui désire un enfant, et qui attend bel et bien un enfant a attaqué l'hôpital, et la justice lui a donné raison en indemnisant son préjudice : l'enfant attendu n'est pas issu de leurs gamètes. Pourrait-il y avoir un préjudice réciproque pour l'enfant ? La justice n'a jamais identifié ce préjudice pour l'enfant, et il n'y a jamais eu de procès au nom de l'enfant. En effet, il semble que dans la totalité des cas, les couples aient préféré mettre fin à la grossesse.

En l'occurrence, le préjudice est tel que le couple demande réparation en justice, et préfère ne pas avoir d'enfant du tout. C'est ce qu'explique dans une interview le professeur Royère, de l'Agence de la biomédecine.

Dans ces conditions, n'est-il pas un peu léger de décréter que pour les enfants, il est parfaitement indifférent d'avoir telle ou telle personne comme père ? Il semble bien que ce que les adultes refusent pour eux, ils l'acceptent pour les enfants. Cela doit nous amener à réfléchir à ce que nous sommes prêts à considérer comme normal pour les enfants, et à ce que nous voulons pour nous-mêmes.

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