Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 4 juillet 2017 à 21h00
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Monsieur Perrut, la façon d'organiser le dialogue social dans les PME et TPE est probablement un des sujets les plus difficiles, sinon en théorie, du moins en pratique.

On peut reconnaître aujourd'hui que la formule du mandatement a échoué. Il faut donc trouver d'autres solutions, en cherchant à s'inspirer de celles qui ont réussi. Je suis consciente de ne pas répondre totalement à votre question, mais elle fait partie des sujets que nous devrons examiner avec les partenaires sociaux, pour revenir très vite vers vous.

On ne saurait se satisfaire de la situation que connaissent les TPE et PME, qui emploient la moitié des salariés de notre pays, surtout dans le cadre de la primauté accordée à l'accord d'entreprise, comme vous l'avez souligné.

Madame Grandjean, je profiterai de l'occasion que vous m'offrez pour faire le point sur la question des travailleurs détachés, même si elle est extérieure à l'objet du présent texte. Comme vous l'avez constaté, nous avons pris, au nom de la France, une position assez forte au niveau européen.

La France est très concernée par le sujet. Nous comptons 280 000 détachés européens sur notre sol. Nous sommes le deuxième pays « importateur » de contrats de salariés détachés. Mais nous sommes aussi le troisième pays « exportateur », car il y a beaucoup de Français détachés à l'étranger – dans des pays frontaliers ou plus lointains.

En outre, comme vous l'avez fait observer à propos de la Meurthe-et-Moselle, que je connais bien pour y avoir vécu, le phénomène est très concentré dans certains secteurs – construction, transports, agriculture – et dans certains territoires. Si 280 000 travailleurs détachés, c'est à la fois beaucoup et peu par rapport aux 18 millions de salariés que compte notre pays, le fait est que nous sommes confrontés, dans ces secteurs, dans ces territoires, aux principes de libre circulation des personnes et de libre prestation de services, et à la concurrence, déloyale ou non.

La position que j'ai prise, au nom du Gouvernement, et dont le président de la République s'est entretenu à plusieurs reprises avec la Chancelière allemande et avec plusieurs chefs de gouvernement européens, est la suivante.

En premier lieu, nous n'avons pas accepté ce qui était proposé par la Commission européenne. Certes, la formule « à salaire égal, travail égal » était intéressante, mais on n'y incluait pas les charges sociales. En outre, il convenait, selon nous, de progresser encore sur quatre points.

Premier point : la coordination contre la fraude. L'inspection du travail française ne contrôle que le volet français du détachement. Elle ne peut pas contrôler à la source l'entreprise qui envoie des détachés. Il est donc nécessaire de disposer d'une plate-forme européenne de coordination contre la fraude.

Deuxième point : la réduction du détachement dans le temps. Si la durée moyenne de détachement des salariés qui arrivent en France est actuellement de quarante-huit jours, plusieurs pays ont proposé de limiter cette durée à douze ou vingt-quatre mois. Cela constituerait une mesure opportune de protection.

Troisième point : l'intégration des transports dans la directive sur le détachement. Cela m'amène à aborder la question du cabotage, qui intéresse tout particulièrement nos PME locales qui font du transport régional ou interrégional, car elles sont menacées par la concurrence des entreprises étrangères qui font transporter à moindre coût des marchandises – entre Brest et Strasbourg, par exemple – par leurs camions, une fois que ceux-ci ont délivré leur chargement. C'est principalement pour cela que nous avons demandé – mon ministère s'était coordonné sur ce point avec celui des transports – que l'on considère le transport, y compris le cabotage, comme étant concerné de plein droit par la directive sur le détachement, alors qu'il était normalement traité dans un autre contexte.

Quatrième et dernier point : nous pensons qu'il faut agir sur le règlement de sécurité sociale – qui est un autre texte, différent de la directive sur le détachement, mais qui est discuté en même temps – pour sécuriser la règle « à travail égal, salaire égal ».

Mais nous sommes vingt-sept, et la France bénéficie elle aussi du détachement. Elle ne peut donc pas adopter une attitude uniquement défensive. Il faut trouver des règles du jeu équitables, assurant à la fois la protection des salariés concernés et celle des entreprises, en termes de concurrence et de lutte contre la fraude.

Cela m'amène à aborder un thème que je n'ai pas encore évoqué : les sociétés « boîte aux lettres », créées à seule fin de détacher des salariés. On peut considérer que c'est un détournement, sinon de la lettre, du moins de l'esprit du détachement. C'est pourquoi nous avons proposé que, dans le cadre du règlement de sécurité sociale européen, les salariés concernés doivent avoir déjà travaillé au moins trois mois dans l'entreprise. J'ajoute qu'un dispositif de contrôle commun nous permettrait d'éviter ces effets d'aubaine, qui sont négatifs.

En résumé, nous ne sommes pas défensifs en matière de détachement, qui peut permettre à des salariés français de trouver du travail, notamment frontalier. Mais nous considérons que les règles actuelles sont insuffisantes pour protéger les salariés, et que le risque de dumping social est réel, comme on l'a parfois constaté.

L'Allemagne et la France, ainsi que d'autres pays, ont tenu le même discours. La présidence maltaise de la Commission a fait reporter le vote, ce qui était une bonne chose, car on a ainsi évité d'opposer une partie de l'Europe à l'autre, et préservé une chance de parvenir à une convergence. La présidence estonienne a repris le sujet, qui sera à l'ordre du jour dans les prochains mois.

Cela m'a éloigné de la loi d'habilitation, et je vous prie de m'en excuser, mais c'est un sujet qu'il faudra régler si l'on veut mener à bien la construction d'une Europe sociale.

Madame Vainqueur-Christophe m'a interrogée sur les contrats de projet et de chantier.

Il existe aujourd'hui un contrat de chantier, principalement dans le secteur de la construction. Celui-ci permet à des salariés d'être en CDI, sur des chantiers de longue durée, en moyenne de trois ans. Car, en dehors des protections qui lui sont propres, le CDI a des effets importants dans la vie quotidienne – il permet, par exemple, de trouver plus facilement un logement, d'obtenir des prêts. La différence entre CDD et CDI ne s'apprécie pas seulement en matière de droit du travail, mais également en matière de qualité de vie. C'est pour cela que l'on a créé les CDI de chantier à destination de ceux qui travaillent dans les grands chantiers de construction – je pense à celui du Louvre à Lens, dont on savait lors de son lancement qu'il durerait trois ans. Mais cela nous semble exclusivement un sujet de branche, qu'on ne peut pas traiter au niveau de l'entreprise.

Dans un autre secteur, la fédération SYNTEC, qui regroupe les bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, a signé un accord très équilibré permettant la signature de tels contrats pour les grands projets de transformation informatique – quiconque a eu affaire, dans sa vie professionnelle, à un progiciel de gestion intégré est conscient de ce que cela représente ! Encore une fois, dans des secteurs où c'est pertinent, nous pensons intelligent de permettre aux partenaires sociaux de discuter de tels accords au niveau d'une branche.

Mais revenons aux outre-mer, où la situation de l'emploi et l'accès à la formation professionnelle ont encore plus d'importance que dans le reste du territoire français – en raison, notamment, du taux élevé de chômage sur ces territoires ; je suis d'ailleurs tout à fait d'accord pour que nous travaillions ensemble sur de tels sujets quand ils viendront en discussion.

Madame la députée, nous n'avons pas encore rencontré les syndicats particuliers des outre-mer, car nous rencontrons en priorité les huit organisations patronales et syndicales, dites « représentatives » au sens de la loi. Mais nous organisons aussi des consultations avec des gens qui ne sont pas « représentatifs » au niveau interprofessionnel – la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ou d'autres. Je pense que dans ce cadre-là, mon équipe est tout à fait prête à étudier avec vous et avec les syndicats particuliers comment « instancier » cela dans les outre-mer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.