Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mercredi 25 juillet 2018 à 21h30
Immigration maîtrisée droit d'asile effectif et intégration réussie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la rapporteure, chers collègues, ce projet de loi revient devant notre assemblée trois mois après sa discussion en première lecture. Il revient après avoir été substantiellement modifié par la majorité du Sénat. Ce texte est une grande déception – les députés socialistes l'ont dit et redit – , tant il est en contradiction avec ce que laissaient entrevoir les déclarations antérieures à l'élection présidentielle. En janvier 2017, l'actuel Président de la République félicitait la chancelière Angela Merkel d'avoir « sauvé nos valeurs communes » en accueillant de très nombreux réfugiés. Il allait plus loin en qualifiant l'accord passé à l'initiative de la même chancelière avec la Turquie en vue de contenir le flux des réfugiés transitant par ce pays de « très mauvais accord ».

Les temps ont changé – rapidement, il est vrai – , et ce texte revient dans un contexte où le pouvoir exécutif, notamment présidentiel, a développé une philosophie de son exercice où le fort aspire à l'accomplissement et où le faible serait celui qui s'y refuse. Les derniers événements, dont notre assemblée a été pour une large part la scène, tendent à montrer ce visage : ceux qui seraient du bon côté, celui de l'exercice du pouvoir, pourraient s'affranchir plus facilement de certaines rigueurs, de la loi formelle. Ceci n'est pas qu'un propos de circonstance. L'ensemble des associations qui accompagnent les étrangers demandeurs d'asile ont bien noté la nouvelle rigueur formelle qui résultera de la loi, si elle est adoptée, pour les plus faibles, les migrants, sans malheureusement que cela n'ait d'effet durable, au fond.

Avant d'en venir au dispositif général, je souhaite faire une observation préalable d'ensemble. J'entends souligner l'enjeu européen et ses actuels insuccès. Ce problème, qui est européen, n'est pas traité par l'Union européenne, justement. Le conseil européen de la fin du mois de juin 2018 était annoncé comme le moment de la résolution des fortes tensions existant entre les États membres de l'Union européenne autour de la question migratoire. Le résultat, une fois de plus, n'est pas au rendez-vous.

Les solutions esquissées sont déjà, pour une part, mort-nées. Ainsi, l'installation dans des États tiers de plateformes régionales de débarquement a été refusée par les pays qui avaient été évoqués, ceux du Maghreb et l'Albanie, par exemple. Il est vrai que décider pour les autres sans leur accord est un peu une facilité. De leur côté, le renforcement des frontières extérieures, avec des moyens humains et matériels pour l'agence Frontex et une délégation des contrôles aux gardes-frontières turcs, libyens et nigériens, ne sont pas assurés du succès. Parallèlement, la réforme du régime d'asile européen, qui devrait être déterminante, n'a pas été abordée au fond. Il nous faut revenir aux « recettes nationales », si vous me passez l'expression.

La réforme qui nous est ici proposée serait, selon la majorité, celle qui réglerait ce qui n'a pas marché avant. Mais, selon mes calculs, nous avons déjà eu sept lois depuis 2003, sans compter celle-ci, soit, en quinze ans, une loi tous les deux ans en moyenne. Plusieurs d'entre nous ont rappelé, au cours des débats de ces dernières semaines, comment cela se passe dans la vraie vie. Je l'ai dit, cette politique est trompeuse, car nous voyons bien que les problèmes concrets ne seront pas réglés. Certes, une fois le texte adopté, il sera certainement possible de dire, chiffres à l'appui, que les rétentions administratives auront été plus nombreuses et plus longues, les contentieux plus rares, et que l'on aura accordé moins de droits potentiels.

Mais est-ce que cela changera la réalité et la nature des problèmes ? C'est moins sûr ! Les faits sont têtus, et si le projet de loi vise, entre autres, à doubler la durée légale de la rétention en la faisant passer de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, la durée de l'enfermement reste en moyenne, en 2017, de 12,8 jours, et 80 % des expulsions sont effectives dans les vingt-cinq premiers jours.

Parallèlement, seuls 10 % des procédures de transfert, au titre du règlement européen dit de Dublin, aboutissent. Les causes sont donc pour une large part identifiées, et je les ai déjà rappelées dans cette même enceinte : absence de mise à exécution des mesures de reconduite prononcées ; indisponibilité avérée dans les centres de rétention administrative ; nationalité incertaine ou difficile à éloigner ; défaut de délivrance des laissez-passer consulaires par les autorités des États tiers.

Mais revenons à la discussion parlementaire. Je souhaite m'arrêter d'une part sur plusieurs dispositions que l'on peut qualifier d'exemplaires, au sens où elles sont des modèles qui donnent leur sens à notre discussion, d'autre part sur les amendements que les socialistes ont déposés et qu'ils défendront, en espérant vous convaincre que leurs réponses sont celles qu'il convient d'apporter.

Je commencerai donc par les dispositions. Concernant la rétention des enfants, les chiffres montrent une augmentation. En 2017, plus de 300 enfants ont été retenus. La majorité de ces enfants avaient moins de six ans, et 20 % avaient moins de deux ans. Nous demandons simplement que celle-ci soit interdite et que cette interdiction conduise à rechercher des solutions dignes et efficaces pour que les familles soient accueillies dans des conditions normales, c'est-à-dire décentes. C'est parce que l'interdiction aura été posée que les solutions seront trouvées, et non l'inverse !

S'agissant du délit de solidarité, le Conseil constitutionnel n'a pas supprimé ce délit, inscrit aux articles L. 622-1 à L. 622-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France. Il a en revanche interprété les ex emptions de solidarité à ce délit comme incluant les actes désintéressés et à but humanitaire. Il anticipe ce que nous, députés socialistes, proposons à titre principal, sans passer par la case des exceptions que crée la version amendée par la majorité.

Pour ce qui est de l'adaptation du droit du sol à Mayotte, la disposition en question est tout sauf nouvelle. Elle vise à restreindre l'accès à la nationalité en décourageant de possibles demandeurs qui seraient venus des autres îles de l'archipel, et dont l'enfant, né à Mayotte, y resterait. Dès 2006, une disposition comparable avait été envisagée par le gouvernement de l'époque. Or cette disposition est triplement problématique. Sa conformité à la norme suprême est incertaine, en application de l'article 73 de la Constitution. Adapter un principe d'un autre domaine du droit pour traiter un problème qui n'a pas trouvé de solution par des textes s'y rapportant directement et les opérations pratiques de police de mise en oeuvre, cela revient à ouvrir la boîte de Pandore.

Il conviendrait de rappeler qu'arriver à Mayotte et accoucher sur le territoire national ne fait pas de l'enfant qui y est né un enfant français. Je note qu'il existe un contexte régional historique de circulation, une absence d'accords bilatéraux adaptés avec les États riverains et une insuffisance d'organisation sanitaire régionale qui seraient de nature à traiter l'affaire de façon plus pratique.

J'en viens maintenant à nos propositions d'amendements. Nous réitérons notre proposition de supprimer le « délit de solidarité », dès lors que l'aide est apportée à un étranger sans but lucratif. Dans ce cas, aucune poursuite ne doit être engagée.

Nous proposons également, comme nous l'avons fait en première lecture, de supprimer la rétention administrative de mineurs, qu'ils soient accompagnés ou non, car elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant et aux dispositions des conventions internationales.

Nous nous opposons à la disposition augmentant les délais maximums de rétention, qui ne résout rien et inflige une mesure de limitation d'une liberté essentielle disproportionnée à l'objectif poursuivi.

Nous proposons de ne pas affaiblir les droits des personnes migrantes, notamment par la suppression des dispositions imposant la visioconférence à l'occasion des audiences, car elle est préjudiciable aux droits de la défense, et de celles diminuant le délai de recours devant la CNDA de trente à quinze jours – le Sénat en avait perçu la nocivité.

Il y a encore quelques mois, les résolutions adoptées par l'Union européenne étaient assises sur l'idée d'un équilibre entre, d'une part, la nécessité d'accorder de nouvelles garanties aux demandeurs d'asile et aux migrants réguliers et, d'autre part, celle de ne pas « emboliser », c'est à dire de ne pas obstruer complètement ces procédures, afin de préserver leur efficacité. Cet état d'esprit n'est pas présent ici.

Face aux défis qui nous attendent, il est fort probable que nous en venions, le moment venu, à des solutions innovantes et raisonnées. Elles ne sont pas présentes dans le projet de loi dont nous discutons. Délibérer et accroître la qualité d'un texte de loi, c'est-à-dire sa pertinence, son efficacité et son caractère juste supposent que l'on entende et que l'on intègre les propositions des uns et des autres, en tant qu'elles relient l'idéal de la démocratie délibérative à l'action dans des circonstances très hostiles. Cela reste un idéal révolutionnaire, au sens de l'adaptation collective de la prise de décision politique. Les députés socialistes, monsieur le ministre d'État, madame la rapporteure, chers collègues, entendent y être fidèles, en faisant des propositions tout au long de l'examen de ce texte. Nous nous positionnerons au terme de nos débats. Si aucune évolution n'a eu lieu, nous serons amenés à voter contre ce texte.

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