Intervention de Laurent Pinatel

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne :

Producteur de lait et de viande bovine – accessoirement, en agriculture biologique – à côté de Saint-Étienne, j'exerce mon activité avec ma soeur au sein d'un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC). Je dis bien accessoirement, car l'agriculture française n'a pas vocation à être, pour partie, biologique, pour partie, sous signe de qualité et, pour partie, industrielle.

Des amendements ont été déposés au projet de loi « agriculture et alimentation » qui visaient à éviter la dérive industrielle qui entraîne de plus en plus de paysannes et de paysans vers ce qu'on peut considérer comme l'aboutissement de l'industrialisation, c'est-à-dire les fermes-usines.

Nous nous demandons encore si les problèmes de revenus qui affectent la majorité des fermes font l'objet d'un constat partagé. D'un côté, beaucoup de paysannes et de paysans sont en manque de reconnaissance et se sentent stigmatisés par l'ensemble de la société à cause de leurs pratiques agricoles ; de l'autre, les gens aspirent à avoir une alimentation de meilleure qualité mais n'ont pas les moyens de se la payer. La loi répondra-t-elle à ces deux grands enjeux ? Nous n'en sommes pas persuadés. En tout cas, l'intérêt de cette table ronde est aussi de nous permettre de faire le point sur la manière dont on peut avancer.

On doit reconnaître, nous semble-t-il, le fait qu'il existe, en France, des agricultures diverses, qui peuvent être compatibles : agricultures de circuit court et de circuit long – agriculture de filière –, agriculture conventionnelle, agriculture sous signe de qualité et agriculture biologique. En revanche, il faut s'accorder sur le constat que ces agricultures-là ne peuvent pas cohabiter avec une agriculture de type industriel. L'industrialisation est un leurre : elle ne favorisera pas davantage l'aménagement du territoire qu'elle n'assurera aux paysannes et aux paysans une rémunération correcte !

Face à ce constat, la Confédération paysanne estime que les politiques publiques doivent réinvestir le champ de l'agriculture. De fait, nous le savons, ces politiques peuvent être efficaces. Ainsi, la politique agricole commune (PAC) devait permettre d'accroître la production européenne. Elle a atteint cet objectif. Mais elle repose sur un modèle des années 1960 qui est aujourd'hui périmé. Il est donc temps de la réorienter. Du reste, les négociations ont débuté au niveau européen. Mais, de fait, cette politique agricole est de moins en moins commune : les États membres auront une latitude de plus en plus large pour mener leur propre politique. À cet égard, il nous semble que l'agriculture française doit avoir pour ambition de produire une alimentation de qualité, accessible à tous. Mais ne nous leurrons pas : nous sommes dans un marché ouvert et l'espace économique européen est un marché concurrentiel dévastateur pour certains producteurs et certaines productrices. Je pense notamment au secteur français des fruits et légumes, qui est totalement sinistré à cause des conditions sociales de production qui sont appliquées dans certains pays et qui ne sont pas compatibles avec l'idée que nous nous faisons de la dignité humaine. Dès lors, peut-être faut-il travailler à une harmonisation des prix sur le territoire européen. Divers mécanismes peuvent nous permettre d'y parvenir, sans aller pour autant jusqu'à rétablir les droits de douane. En tout état de cause, il ne faut pas avoir peur d'affirmer que l'agriculture française doit tirer les autres vers le haut. L'harmonisation doit se faire sur la base des standards de l'agriculture d'excellence pratiquée par la France, plutôt que sur ceux de l'agriculture esclavagiste pratiquée notamment en Espagne.

Il nous semble important de réfléchir à l'accaparement des primes européennes et du foncier et au détournement des normes sociales et environnementales, qui aboutissent en fait à gaver l'agro-industrie, laquelle se porte plutôt pas mal. J'allais dire : vous le savez, mais ce n'est pas le cas puisque vous n'avez pas réussi à extorquer leurs comptes à ces firmes, Bigard ou Lactalis, pour ne citer que les plus emblématiques d'entre elles. Il nous semble que, pour freiner cette dérive industrielle – et je parle bien d'une dérive, au sens d'un mouvement qui emporte lentement et insidieusement des gens contre leur gré –, il faudra mener des politiques publiques fortes pour retrouver une façon de produire qui soit à la hauteur de la gastronomie et de la haute qualité françaises. Nous avons des propositions à vous faire en la matière, que nous pourrons vous présenter ultérieurement.

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