Mesdames, messieurs les députés, si vous le voulez bien, je vais commencer.
D'abord, je vous remercie d'être venus aussi nombreux à cette audition. Je ne vous dirai pas qu'elle est pour moi un plaisir, mais je suis heureux d'être avec vous pour faire la lumière sur les événements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1er mai.
Je tiens d'abord à réaffirmer ce j'ai eu l'occasion de dire devant le Sénat : je condamne avec la plus grande fermeté les actes de M. Benalla, que ce soit pendant ou après le 1er mai. Ils sont en tous points contraires à mes valeurs et à ce que je souhaite impulser au sein de mon ministère depuis ma prise de fonctions : un ordre républicain fondé sur un respect absolu de la déontologie.
Je reviendrai plus tard dans mon intervention sur les faits qui concernent M. Benalla.
Auparavant, vous me permettrez de rappeler dans quel contexte j'avais à agir en tant que ministre de l'intérieur le 1er mai dernier.
C'était une période d'extrême tension. À Tolbiac, il fallait permettre que soit rouverte une faculté qui servait de base arrière à tous les manifestants violents et où étaient entreposés les projectiles et instruments propices à mener des attaques sévères contre les policiers. Nous venions de procéder aux premières expulsions des squats de Notre-Dame-des-Landes où certains avaient constitué un véritable arsenal pour le retourner contre les gendarmes qui avaient le tort à leurs yeux de vouloir tout simplement y rétablir l'État de droit.
Le 1er mai s'annonçait lui-même difficile et les opérations de maintien de l'ordre apparaissaient délicates. Si les mots d'ordre des syndicats portaient sur des sujets revendicatifs, il était clair que pour certains groupes, il s'agissait de casser, d'agresser des policiers dans un appel assumé à saper tout cadre légal. Sur les réseaux sociaux, ces mouvements appelaient à ce que le 1er mai devienne « une journée en enfer pour les forces de l'ordre ». Les tracts et les affiches de l'ultra-gauche illustraient cette volonté par l'image d'un policier en flamme, faisant référence au 1er mai 2017 où, boulevard Beaumarchais, des cocktails Molotov avaient été lancés contre les forces de l'ordre, transformant des policiers en torches humaines.
Et en effet, ce 1er mai allait être d'une violence extrême.
Rapidement, les organisations syndicales furent débordées. Fait jamais connu auparavant, l'avant-cortège, composé de 14 500 personnes, était presque aussi important que le cortège syndical. Au milieu se trouvaient 1 200 « black blocks », qui venaient de s'encagouler à l'entrée du pont d'Austerlitz avec la volonté d'en découdre, ce qu'ils firent dès leur arrivée sur le boulevard de l'Hôpital, où ils se déchaînèrent, s'attaquant aux magasins ouverts, mettant à sac un McDonald's, incendiant les véhicules d'un concessionnaire automobile. Bref, ce furent des moments d'une brutalité inouïe qui, retransmis en direct sur les chaînes d'information continue, provoquèrent la sidération et l'indignation des Français.
Encore les « blacks blocks » n'avaient-ils pas atteint leur but, qui était de détruire le commissariat du XIIIe arrondissement inauguré quelques jours plus tôt. Ils n'avaient pu progresser que de trois cents mètres sur le boulevard de l'Hôpital, les forces de l'ordre reprenant le contrôle de la situation grâce à l'importance du dispositif déployé : dix-sept unités de compagnies républicaines de sécurité (CRS), quatre escadrons de gendarmerie mobile, trois compagnies de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) avaient en effet été mobilisés avec le concours de nombreuses autres directions. Au total, 1 500 hommes et femmes étaient engagés sur ce boulevard.
La manifestation des syndicats avait, elle, été dirigée vers un autre itinéraire pour la sécuriser. Elle prit fin dans le calme, mais les groupes qui étaient intervenus boulevard de l'Hôpital avaient appelé à poursuivre leurs exactions dans le Quartier latin. C'est là qu'allaient se produire les affrontements de la Contrescarpe, auxquels allait participer M. Benalla.
Sur ce point, la position du ministère de l'intérieur est claire. Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans le cadre de la séance de questions au Gouvernement, certaines personnes peuvent être autorisées à assister aux opérations de maintien de l'ordre en qualité d'observateurs : c'est le cas de parlementaires, de magistrats, de journalistes ou de chercheurs. Je sais que vous êtes nombreux dans cette commission à avoir effectué des immersions avec nos forces de l'ordre. Mais il ne saurait évidemment être question que quiconque puisse prendre une part active, hors de tout cadre légal, aux interventions de police. Or, sur les images diffusées sur les réseaux sociaux, on voit M. Benalla se livrer à des violences contre un homme à terre et contre une jeune femme. Quel que soit le contexte – et je pense qu'il était violent –, c'est inadmissible.
Depuis, si j'en crois les informations délivrées par la presse, ces personnes qui avaient disparu se seraient manifestées et souhaiteraient être entendues. Elles peuvent l'être dans le cadre de l'instruction judiciaire. Elles nous permettront peut-être de préciser certains éléments.
Troisième point sur lequel je souhaite vous apporter des explications précises : la manière dont j'ai pris connaissance le 2 mai de la vidéo enregistrée.
Ce jour-là, j'ai commencé ma journée en participant à l'émission « Les Quatre vérités » à 7 heures 30 sur France 2 pour revenir sur le déroulement des événements de la veille. À 8 heures 30, j'ai présidé une réunion d'état-major rassemblant les chefs de la police et de la gendarmerie : direction générale de la police nationale (DGPN), direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), service central du renseignement territorial (SCRT), direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), préfet de police et ses services. Nous avons fait le point sur l'action des services lors de la manifestation de la veille et commencé à préparer celle du 5 mai dont nous redoutions qu'elle aussi ne dégénère. Personne, à ce moment-là, ne m'a avisé de l'existence de cette vidéo.
Je me suis entretenu ensuite dans mon bureau en tête-à-tête avec le directeur de la DGSI et la directrice de la DCPJ pour évoquer la menace terroriste pesant sur notre territoire. Les faits devaient hélas confirmer que celle-ci était extrêmement présente : dix jours après, un attentat dans le IIe arrondissement de Paris faisait une victime qui n'aurait sans doute pas été la seule sans la grande réactivité de trois policiers des commissariats des Ier et IIIe arrondissements de Paris.
À l'issue de cette réunion, j'ai souhaité parcourir avec le préfet de police le chemin qu'avait emprunté la manifestation la veille pour me rendre compte par moi-même des conditions dans lesquelles avait été effectuée la manoeuvre d'ordre public. Je tenais aussi à me faire une idée précise des dégâts causés boulevard de l'Hôpital et à m'informer auprès des commerçants de la façon dont ils avaient vécu les scènes de violence de la veille qu'ils m'ont toutes décrites comme extrêmement impressionnantes. Je souhaitais enfin les rassurer sur la prise en charge des dommages subis.
Puis-je suggérer à votre commission d'auditionner ces commerçants ? Ils vous aideront à vous forger une idée de ce qu'était l'état de violence ce jour-là. (Murmures).
Quittant les lieux, je me rends à un déjeuner avec un membre de ma famille dans un restaurant rue de Lille sans repasser par le ministère.
À cette heure, je ne suis toujours pas informé de l'action de M. Benalla. Ce n'est qu'en rentrant en début d'après-midi que, lors de l'un de nos points de situation quotidiens, mon directeur de cabinet et mon chef de cabinet m'informent de l'existence d'une vidéo montrant des faits de violence sur la place de la Contrescarpe, de l'implication de M. Benalla dans ces faits et de la qualité de celui-ci. Ils m'indiquent s'être déjà entretenus avec le préfet de police de ces faits et avoir porté cette information à la connaissance du cabinet du Président de la République, ce qui est une démarche tout à fait appropriée puisque c'est à l'autorité hiérarchique de prendre toutes les mesures qui s'imposent sur le plan administratif comme sur le plan judiciaire.
Plus tard dans la soirée, mon directeur est prévenu que le cabinet de la présidence considère bien l'action de M. Benalla comme inacceptable et qu'une sanction va être prise. M. Benalla ne faisant pas partie des effectifs placés sous mon autorité et le cabinet du Président de la République et la préfecture de police disposant de toutes les informations nécessaires pour agir, j'ai considéré que les faits signalés étaient pris en compte au niveau adapté. Donc, je ne me suis plus occupé de ce sujet.
Le ministère de l'intérieur est un ministère où vous avez toujours à gérer des événements extrêmement lourds à même de troubler l'ordre public. Le 3 mai, il y avait des manifestations de cheminots à Paris et en province ainsi que des personnels de l'éducation nationale ; nous préparions en même temps l'évacuation de la faculté de Toulouse-Le Mirail pour le 9 mai et celle de Rennes pour le 14 mai. J'avais surtout le souci que le rassemblement organisé le 5 mai par La France insoumise ne soit pas accompagné par les mêmes épisodes de casse et de violences que ceux qui avaient émaillé le 1er mai. Le 5 mai, j'allais d'ailleurs passer mon après-midi à la salle de commandement pour suivre les opérations pour n'en repartir qu'une fois la manifestation terminée.
Dans le même temps, nous préparions activement la seconde phase des opérations complexes à mener à Notre-Dame-des-Landes. Et dans la nuit du 12 mai, j'étais au chevet des personnes blessées dans l'attentat qui venait de se produire.
La responsabilité d'un ministre de l'intérieur, c'est de veiller à ce que chaque événement soit pris en compte par les services concernés avec les moyens adaptés, mais sans jamais se substituer aux fonctionnaires en responsabilité.
On m'a reproché de ne pas avoir saisi le procureur de la République en vertu du code de procédure pénale, après avoir vu la vidéo concernant M. Benalla, mais ce n'est pas au ministre qu'il appartient de le faire. À cet égard, je m'inscris dans la lignée de mes prédécesseurs qui, pour la plupart, n'ont utilisé cette possibilité que pour des délits relatifs à la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Si vous le souhaitez, je vous donnerai le détail de ces saisines.