Intervention de Antoine Dulin

Réunion du mercredi 4 juillet 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Antoine Dulin, rapporteur de l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance :

Je vous remercie. La qualité du rapport, que vous soulignez, prouve l'utilité de notre institution !

La question de l'évaluation de la minorité des jeunes mineurs non accompagnés revient souvent dans l'actualité. Avec Fiona Lazaar, j'ai contribué à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Dans ce cadre, nous avons fait différentes préconisations et souligné la difficulté de l'évaluation de la majorité. Outre qu'elle a un coût, les tests osseux ne sont pas complètement fiables.

Pour autant, le CESE ne s'est pas prononcé sur le sujet. Le besoin d'évaluation existe. Lors des tests, il semblerait que 50 % des jeunes soient finalement mineurs et 50 % majeurs. Mais la statistique est biaisée car les jeunes de 14 ou 15 ans – dont on est certain qu'ils ne sont pas majeurs – ne sont pas testés.

En outre, sans vouloir modérer votre propos qui reflète la réalité vécue par les maisons d'enfants à caractère social (MECS), outre qu'ils doivent être pris en charge en application de la Convention internationale des droits de l'enfant, l'arrivée, après nombre de péripéties, de ces mineurs non accompagnés, qui présentent parfois des troubles psychiques mais qui veulent surtout s'insérer rapidement dans notre société, peut être l'occasion, pour les institutions comme pour les professionnels, de transformer les politiques de protection de l'enfance, d'innover et de travailler différemment. Aussi, si l'on parle beaucoup du financement, je veux pour ma part insister sur cette chance, alors que l'insertion sociale et professionnelle n'était jusqu'à présent pas abordée dans les établissements puisqu'on y accompagnait les enfants uniquement dans leur scolarité jusqu'à 18 ans. J'ajoute que la réponse doit être européenne et pas seulement française

Madame Elimas, nous n'avons pas traité la question des jeunes aidants familiaux dans le cadre de cette saisine. Je ne pourrai donc pas vous apporter de réponse.

Monsieur Viry, l'évaluation de la loi de 2016 est très partielle. Le Conseil national de la protection de l'enfance va envoyer un questionnaire aux départements ; il recevra en retour plus ou moins de réponses… Pour ne prendre que l'exemple des protocoles départementaux d'accès à l'autonomie dont a parlé M. Aviragnet, un seul département a adopté ce dispositif…

Combien de jeunes dépendant de l'aide sociale à l'enfance bénéficient de la garantie jeunes ? Nous n'avons pas de statistiques. Mais les jeunes de l'ASE ne répondent pas tous aux critères pour bénéficier de ce dispositif, qui est destiné aux jeunes sans emploi ni formation. D'un côté, beaucoup de jeunes de l'ASE sont en formation, notamment universitaire, et c'est heureux, et ne relèvent pas de cette mesure. De l'autre, comme les financements des missions locales sont liés aux taux d'insertion et de sortie positive vers l'emploi des jeunes, les conseillers sont peu enclins à retenir les dossiers de jeunes présentant des troubles du comportement ou des troubles mentaux, car ils ont peu de chances d'avoir trouvé un emploi au bout d'un an.

Vous m'avez également interrogé sur la prise en charge médicale de ces jeunes et le rôle de Santé publique France. En amont, il faut mieux gérer la prévention. Il faut par ailleurs accompagner ces jeunes dans l'obtention de leurs droits à 18 ans : nous proposons des « rendez-vous des droits » obligatoires dans les caisses d'allocations familiales (CAF), qui leur permettraient d'activer leurs droits à la couverture maladie universelle (CMU) et à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

Dans certains départements et certaines régions, l'Agence régionale de santé (ARS) est particulièrement impliquée dans la prise en charge de la santé de ces jeunes. Ainsi, le Plan d'action pour la psychiatrie et la santé mentale inclut parfois cette dimension. Elle est toutefois inégalement prise en compte dans les territoires et Santé publique France pourrait aider à la généralisation de ces bonnes pratiques.

Vous m'avez interrogé sur le nombre total de jeunes sortant de l'ASE. Seuls 20 900 jeunes de 18 à 21 ans bénéficient d'une mesure de prise en charge – parfois pour trois à six mois seulement – et 30 000 sont encore dans les structures de protection de l'enfance à 17 ans. Entre 18 et 21 ans, le « stock » est d'environ 90 000 jeunes, pour lesquels il doit être possible de trouver des solutions, notamment en matière de logement – baux glissants, implication des bailleurs sociaux – dans la dynamique du plan Logement.

S'agissant du plan de lutte contre la pauvreté, dans le rapport que nous avons remis avec Fiona Lazaar, nous préconisons la création d'un fonds de solvabilisation du reste à charge pour les foyers de jeunes travailleurs. En effet, actuellement, ces foyers réalisent un « écrémage » par le haut. Je connais bien le sujet car je travaille à Habitat et Humanisme qui gère ce type de foyers. Pour maintenir la solvabilité du foyer, nous devons prendre des jeunes disposant de ressources. Les jeunes bénéficiant de la garantie jeunes ne sont souvent pas sélectionnés car ils ne disposent que d'un an de « solvabilité » et ne sont donc pas prioritaires… D'où l'importance de créer un droit spécifique ou de mieux intégrer les jeunes de l'ASE en faisant évoluer le droit commun, pour qu'ils disposent d'une priorité en matière de bail social.

Vous m'avez interrogé sur les deux scénarios développés dans mon rapport. Doit-on ou pas rester dans le droit commun ? Le CESE s'est positionné et chaque groupe a indiqué quel scénario avait sa préférence. Certes, le scénario du droit commun est plus coûteux que celui qui se focalise sur le public de l'ASE. Le Conseil constitutionnel nous a toutefois indiqué que ce dernier scénario ne constituait pas une rupture d'égalité car les jeunes en question ont déjà été pris en charge en amont par la protection de l'enfance. Il ne s'agit donc que de continuer à les accompagner.

Vous le lirez dans le rapport, les deux scénarios comportent des risques et des opportunités. À 18 ans, beaucoup de jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance disent : « je n'en peux plus de la protection de l'enfance ! Je ne veux plus être stigmatisé ! ». Les faire entrer dans le droit commun éviterait cette stigmatisation, sous réserve que le droit commun évolue – comme je l'ai souligné avec l'exemple de la garantie jeunes et du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA). C'est tout l'intérêt de la proposition de loi dont vous allez débattre : elle permettra de mieux accompagner les jeunes sortant de l'ASE, les sortira du droit spécifique, nécessitera moins de financement.

Il est surtout fondamental que les jeunes qui veulent sortir du système à 18 ou 19 ans sachent que la porte reste ouverte, que ce n'est plus un couperet. Actuellement, un jeune qui signe un contrat jeune majeur sort du système, dont il ne veut plus. Mais s'il se rend compte au bout d'un mois – après avoir traîné chez ces parents, s'être fait renvoyer, avoir fait l'expérience de la rue – que le système n'avait pas que des défauts, notamment parce qu'il l'accompagnait, il ne peut plus revenir en arrière, du fait de la rigidité de nos institutions, mais aussi des logiques financières. Le droit au retour et à l'expérimentation doit être clairement affiché dans la proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.