Madame Janvier, le CESE a clairement réaffirmé que la prévention spécialisée était une compétence obligatoire des départements. Vous avez raison, elle connaît un déficit de moyens. Il s'agit de choix politiques, les priorités allant à d'autres secteurs.
Je l'ai demandé à plusieurs reprises, mais aucune estimation du coût socio-économique du défaut de prise en charge des jeunes adultes sortant de l'aide sociale à l'enfance n'a été réalisée. Il serait d'un million d'euros lorsqu'un jeune de 18 ans pris en charge et placé pendant dix ans, se retrouve à la rue ou en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) avec des adultes en très grande précarité, sans abri, alcooliques, violents. L'échec est donc patent… La caisse nationale d'allocations familiales devrait être en mesure de calculer par exemple combien de jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance se retrouvent avec le revenu de solidarité active à 25 ans ou font des enfants pour toucher des aides sociales.
Cela pose la question des dispositifs de droit commun pour les jeunes jusqu'à 18 ans, puis 25 ans. Avec Fiona Lazaar, nous avons plaidé en ce sens dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté : il faut un big bang pour prendre ces problématiques dans leur globalité, en incluant les politiques fiscales et familiales. Dans ces familles en grande précarité, les solidarités familiales sont fragilisées, même avec le versement des allocations familiales jusqu'à 20 ans et du complément familial jusqu'à 21 ans – j'ai dit le peu de sens qu'avaient ces critères d'âge au regard du parcours de ces jeunes. En outre, seuls les 40 % des Français qui paient l'impôt sur le revenu bénéficient du quotient familial.
La garantie jeunes illustre bien la situation. Parce qu'elle oblige le jeune à sortir du foyer fiscal, certaines familles refusent que leur enfant en bénéficie. J'ai collaboré à de nombreux rapports sur ce sujet et, sans remettre en cause la politique familiale, je soumets à votre sagacité l'idée d'ouvrir un droit d'option permettant aux travailleurs sociaux de réévaluer la situation chaque année avec les familles, dans l'intérêt du jeune : qui prend en charge son autonomie ? Doit-il bénéficier d'un soutien familial ?
Les études de l'INSEE soulignent que les solidarités familiales bénéficient davantage aux enfants de cadres qu'aux enfants d'ouvriers : le différentiel de soutien aux études est énorme, de 4 000 euros pour les premiers, on passe de 400 à 1 000 pour les derniers, au moment de l'accès à l'autonomie… Notre système reproduit donc les inégalités sociales.
Nous devrions envisager la protection de l'enfance comme un investissement. Bien sûr, dans le cadre des conventions relatives aux droits de l'enfant, nous devons continuer à accompagner les jeunes maltraités ou en risque de maltraitance. Mais nous devons plus largement, et jusqu'au bout, accompagner les jeunes en difficulté. Selon une étude diligentée par le ministère de l'éducation nationale, on estime le coût d'un jeune décrocheur à 230 000 euros pour la société… C'est énorme ! Nous pourrions l'éviter en investissant davantage en amont, ce qui nous épargnerait d'investir ensuite dans la prise en charge de la santé ou le RSA.
Monsieur Lurton, vous m'interrogez sur la scolarisation de ces jeunes. Avec Fiona Lazaar, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, nous proposons de sortir de la logique de scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans, pour aller vers une obligation de formation jusqu'à 18 ans, permettant aux jeunes qui ont des carences éducatives ou des troubles du comportement d'acquérir malgré tout des compétences grâce à d'autres systèmes – écoles de production, service civique, chantiers et ateliers d'insertion.
Madame de Vaucouleurs, la question de l'autorité parentale et de la place des parents a été au coeur de nos travaux. Depuis la loi de 2016, c'est le juge qui décide de l'arrêt du versement des allocations familiales et de son transfert à une structure. De même, le versement de l'allocation de rentrée scolaire peut être transféré sur un compte bloqué au nom du jeune jusqu'à 18 ans. Mais les sommes sont minimes.
La direction générale de la cohésion sociale se penche depuis un an sur la question des actes usuels et non usuels. C'est un travail de longue haleine : à quel moment doit-on s'appuyer sur l'autorité parentale pour conserver un lien ? À quel moment s'en défaire pour permettre aux jeunes d'accéder aux loisirs, par exemple ? Hier, j'étais avec un jeune qui ne pouvait pas partir en colonie de vacances car cela faisait trois semaines qu'il attendait la réponse de ses parents : il voyait tous les autres partir et était consigné au foyer…