Intervention de Antoine Dulin

Réunion du mercredi 4 juillet 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Antoine Dulin, rapporteur de l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance :

La réglementation nationale, madame Fabre, comporte 238 critères d'âge : vingt-et-un ans pour la sortie de l'ASE, vingt-trois ans pour être meilleur ouvrier de France, dix-sept ans pour effectuer le service militaire, vingt-deux ans pour ne plus bénéficier des aides au logement dans les outremers, et ainsi de suite. Cette ingéniosité réglementaire est à la mesure de notre incapacité à définir ce qu'est la jeunesse. C'est pourquoi dans le rapport « Arrêtons de les mettre dans des cases », remis il y a un an, nous avons défini la jeunesse comme un parcours d'acquisition progressive de l'autonomie – non seulement à l'égard des parents mais aussi en termes de capacité d'agir et de prendre des décisions.

S'il existe un critère d'âge à conserver, c'est celui de la majorité – dix-huit ans. L'obligation de scolarisation cesse à seize ans. Or, le décrochage scolaire – qui, lorsqu'il est précoce, peut se produire dès treize ou quatorze ans – crée des situations de précarité et de pauvreté : un jeune non qualifié sur deux est au chômage. Nous avons donc jugé important de garantir à tous une qualification jusqu'à dix-huit ans sans forcément passer par le système classique de la scolarisation obligatoire en lycée général, en lycée professionnel ou en centre de formation d'apprentis (CFA). Les structures de formation et les territoires ont une obligation de résultat, précisément, pour impliquer tous les acteurs de sorte que les jeunes acquièrent jusqu'à dix-huit ans des compétences dans le système scolaire classique pour plus de 90 % d'entre eux, mais il faut aussi innover. Le parcours aménagé de formation initiale (PAFI), créé en 2015 par le ministère de l'éducation nationale, vise précisément à fournir un vecteur d'accompagnement alternatif à l'enseignement. Sont également mobilisés les ateliers et chantiers d'insertion, les écoles de production, des mécanismes tels que le travail alternatif payé à la journée (TAPAJ) pour orienter différemment des jeunes en situation de décrochage scolaire grâce au travail de repérage des missions locales et de l'éducation nationale, et ainsi leur permettre de bénéficier d'une formation. En somme, l'obligation de formation vise à casser la logique classique de la scolarisation obligatoire jusqu'à seize ans.

La boussole des droits, monsieur Da Silva, est un site internet qui a été expérimenté dans trois ou quatre départements mais elle échouera si les moyens nécessaires ne sont pas investis. La structure de l'État compétente est la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative : c'est le signe que l'on continue d'assimiler la jeunesse au temps libre et aux sports. L'organisation institutionnelle est ainsi faite. M. Blanquer est ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse mais, étant donné l'immensité de la tâche concernant le premier volet, il est difficile de faire valoir les enjeux de jeunesse au niveau interministériel. Le Parlement s'est certes saisi de questions liées à la jeunesse – par exemple la formation professionnelle ou encore Parcoursup – mais comment coordonner l'action menée en faveur de la jeunesse et lui redonner tout à la fois du sens, un récit et une dimension interministérielle ? De ce point de vue, la question de la protection de l'enfance est emblématique, tant les acteurs sont nombreux – rappelons qu'elle incombe au ministère des solidarité et de la santé. En somme, n'hésitez pas à interroger le Gouvernement sur la manière dont on se préoccupe des jeunes de seize à trente ans et sur l'articulation des politiques publiques en la matière.

S'agissant des juges, deux constats s'imposent – même si nous avons peu abordé ce sujet car la chose jugée est définitive. Les juges nous ont tout de même alerté sur l'embouteillage massif des dossiers et sur le manque de moyens accordés à la justice, qui est encore très loin de la numérisation par exemple : tout est fait sur papier et les greffes des juges des enfants sont surchargés. J'ignore s'il est moins pertinent que les décisions soient prises par un juge unique que par un collège mais le fait est qu'en raison de l'embouteillage des dossiers, il arrive que des jeunes victimes de maltraitance et exposés à des risques bien identifiés ne soient pas pris en charge dans l'attente de la décision de justice. Cela étant, l'articulation entre la décision administrative du chef de file départemental et la décision de justice permet de stabiliser le droit, étant entendu que les premières concernent surtout les jeunes majeurs tandis que les secondes concernent le placement.

La protection judiciaire de la jeunesse en est un exemple emblématique. Lorsque l'âge de la majorité a été abaissé de vingt-et-un à dix-huit ans en 1975, un décret a prévu que la protection judiciaire de la jeunesse prenne en charge les jeunes et les enfants qui ont été sous main de justice jusqu'à vingt-et-un ans ; or, depuis dix ans, le ministère de la justice affirme ne plus avoir les moyens de cette prise en charge. Les quelque cinq cents jeunes aujourd'hui sous main de justice ne sont donc plus pris en charge par la PJJ à partir de dix-huit ans, avec des conséquences importantes, y compris en termes de coût pour la société car la rupture d'accompagnement provoque parfois le basculement des jeunes concernés dans la délinquance ou la radicalisation.

La responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l'entreprise est une question fondamentale. Il est très beau de dire que les jeunes doivent se former, que l'insertion professionnelle doit être encouragée : chiche ! Il faut mettre en place les indicateurs correspondants dans les rapports des entreprises sur la RSE qui, en l'état, omettent totalement le volet relatif à l'insertion des jeunes. Nous ignorons par exemple combien d'entreprises accueillent des stagiaires de troisième. Il existe pourtant des entreprises très vertueuses et d'autres qui n'accueillent aucun stagiaire. Il en va de même pour l'alternance : nous ignorons combien de jeunes sont accueillis en alternance et quelles sont les entreprises vertueuses ou non. Pour que la RSE soit effective, il faut valoriser les indicateurs qui témoignent de l'engagement du monde de l'entreprise en faveur de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Certaines entreprises, par exemple, développent des parrainages de proximité – avec des coachs et du mentoring – à l'intention des jeunes de l'aide sociale à l'enfance ; pourquoi ne pas chiffrer cette tendance intéressante dans les rapports sur la RSE ?

Les repères des jeunes, madame Tamarelle-Verhaeghe, peuvent être des personnes de confiance qui ne proviennent pas de l'entourage proche ou familial. Il faut reconnaître leur rôle, celui du parrainage de proximité pour éviter de faire peser sur ces personnes une responsabilité qui ne leur incombe pas – c'est une mesure dont vous aurez l'occasion de débattre à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de Mme la présidente.

En ce qui concerne la maltraitance institutionnelle, monsieur Hammouche, rien n'est pire que l'instabilité causée par le déplacement d'un jeune de famille en famille. Il arrive par exemple qu'un assistant familial parte en retraite, laissant le jeune habitué à lui sans solution. D'autres passent de foyers en Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) et subissent ainsi des ruptures en série. Il faut s'interroger sur la création d'établissements spécialisés capables de fournir des soins unifiés à des jeunes, y compris handicapés, ou d'équipes mobiles, en pédospychiatrie par exemple, capables d'intervenir auprès des assistants familiaux.

Le débat entre droit prioritaire et droit effectif a été vif au sein de la section des affaires sociales du CESE, madame Fontaine-Domeizel. Les jeunes de l'ASE sont déjà pris en charge et ne sont donc pas prioritaires pour l'accès à d'autres structures de soins ou de prise en charge du handicap. Nous proposons un droit prioritaire pour que ces jeunes bénéficient d'un droit d'accès effectif au même titre que les autres jeunes. Cela étant, les délais d'attente pour une consultation en pédopsychiatrie sont de l'ordre de trois à six mois, que les jeunes relèvent de l'ASE ou non, car c'est un secteur sinistré. Il faut donc revaloriser le métier de la pédopsychiatrie, mais aussi développer la psychiatrie pour les adolescents et les jeunes adultes – le seul service spécialisé pour les jeunes adultes se trouvant à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris ; il évite aux jeunes de se retrouver plongés dans l'univers psychiatrique adulte. Il faut développer la reconnaissance des spécificités de chaque parcours. De même, quelques centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) disposent d'une capacité d'accueil spécialisé des jeunes.

Pour conclure, il me semble qu'il faut investir plutôt que réduire les budgets : si l'on ne peut pas calculer le coût socio-économique de l'aide à l'enfance, il est certain qu'investir dans ce domaine permettra de réaliser des économies à long terme pour la société. Il faut consacrer davantage de moyens à l'instant « t » pour gérer le stock et anticiper le flux qui arrive. En matière de solidarité intergénérationnelle, les jeunes, lorsqu'ils constateront que la collectivité les aide, seront ensuite en mesure de cotiser pour les retraites et de payer des impôts. Aujourd'hui, les jeunes qui, faute de famille et d'aide publique, doivent se débrouiller seuls n'ont pas l'intention de cotiser à une mutuelle. Or, le réflexe consistant à vouloir se débrouiller seul est une menace pour le système de solidarité intergénérationnelle. Encore une fois, il faut d'urgence investir des moyens.

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