Monsieur le président, mes chers collègues, la situation des jeunes s'est dégradée au cours des dernières années : aujourd'hui, la moitié des personnes pauvres a moins de trente ans. Le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans s'élève à 20,7 % en avril 2018, et est donc plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale.
Cette situation difficile sur le marché du travail explique que les jeunes dans leur ensemble accèdent à l'autonomie de plus en plus tard. En effet, selon une récente étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), les jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans bénéficient d'une aide financière de leurs parents dans huit cas sur dix, à hauteur de 3 670 euros par an en moyenne. Cette étude souligne également que la grande majorité des jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans ne disposent pas d'un logement autonome, puisque 58 % d'entre eux résident de manière permanente chez leurs parents.
Les difficultés que rencontrent les jeunes dans leur ensemble sont accrues pour ceux qui sortent du dispositif de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dès l'âge de dix-huit ans et qui ne disposent ni de ressources propres, ni de soutien familial. Souvent moins diplômés que les autres, ils peinent notamment à trouver un emploi et un logement durable.
Afin d'éviter que ces jeunes en difficulté ne se retrouvent à la rue et sans ressources, leur prise en charge par l'aide sociale à l'enfance peut se poursuivre après l'âge de dix-huit ans, sous la forme d'un contrat jeune majeur. Près de 20 900 jeunes âgés de dix-huit à vingt et un ans bénéficient aujourd'hui de ce type de contrat, conclu pendant environ six mois avec le département, afin de les accompagner vers l'autonomie. L'aide proposée comporte à la fois un suivi éducatif, social et psychologique, une aide financière et une aide en matière d'hébergement.
Ces contrats jeunes majeurs sont indispensables pour accompagner les jeunes les plus vulnérables vers l'autonomie. Ils présentent néanmoins quelques lacunes. Tout d'abord, leur nombre tend à diminuer, dans un contexte budgétaire contraint pour les départements. Entre décembre 2013 et décembre 2016, les placements de jeunes âgés de seize à dix-sept ans ont augmenté de 20 % en France métropolitaine ; or, sur cette même période, les mesures en faveur des jeunes majeurs, qui auraient dû évoluer dans ce même sens, ont baissé, de façon très inégale selon les départements. Plus précisément, un tiers des départements a réduit le nombre de contrats jeunes majeurs, quand ils n'ont pas tout simplement cessé d'en signer.
Par ailleurs, la durée des contrats s'est raccourcie, avec de fortes disparités entre départements.
Autre constat inquiétant : pour prétendre à cette aide, le jeune doit avoir un projet scolaire et professionnel atteignable à court terme, ce qui exclut à la fois les jeunes les plus fragilisés et incapables de se projeter dans un avenir proche et ceux qui au contraire souhaiteraient s'engager dans des études longues.
Nous sommes ici confrontés à un véritable paradoxe de la politique d'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables : alors que l'aide apportée aux jeunes par les parents et la famille tend à s'accentuer et à se prolonger jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, les mesures de prise en charge des jeunes suivis par les services de l'aide sociale à l'enfance cessent brutalement et de plus en plus tôt, entre dix-huit et vingt et un ans, soit à un âge inférieur à celui auquel la plupart des jeunes sont complètement autonomes dans la société actuelle.
Autrement dit, il est demandé plus – plus de maturité, plus d'autonomie – à ceux qui ont moins – moins de ressources, moins de soutiens familiaux.
Dans ce contexte, la proposition de loi que je vous présente vise à améliorer l'accompagnement de ces jeunes majeurs vulnérables. Elle tend pour ce faire à agir sur plusieurs volets. L'aide apportée doit tout d'abord reposer sur des critères fiables et identiques quel que soit le territoire. C'est pourquoi l'article 1er de la proposition de loi précise que la prise en charge des majeurs de moins de vingt et un ans par les services de l'aide sociale à l'enfance est obligatoire lorsque ces jeunes remplissent un certain nombre de critères qui les rendent particulièrement vulnérables.
L'accompagnement proposé doit également permettre aux jeunes de se projeter et de construire leur avenir, sans que celui-ci soit compromis par des ruptures brutales de parcours. Aussi l'article 2 étend-il cet accompagnement au-delà du terme de la mesure de prise en charge, afin de permettre aux jeunes qui le souhaitent de terminer un cycle scolaire ou universitaire engagé. L'article 3 inscrit dans la loi la possibilité pour les départements de prolonger la prise en charge des jeunes majeurs par les services de la protection de l'enfance jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans.
L'article 4 prévoit quant à lui que le jeune mineur peut être accompagné dans son parcours vers l'autonomie par une personne de confiance, qu'il aura lui-même choisie. La reconnaissance de cette personne de confiance permettra au jeune d'établir des liens de confiance avec un adulte, alors qu'il peut se trouver en situation de rejet vis-à-vis d'une aide plus « institutionnalisée », perçue comme obligatoire et imposée par les services de la protection de l'enfance. Cette mesure constitue en ce sens un facteur d'émancipation et de responsabilisation du jeune.
Afin de permettre un suivi du jeune après sa sortie du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, l'article 5 met en place un entretien entre le jeune et son ancien référent six mois après sa sortie du dispositif, pour faire le bilan de ses premiers mois d'autonomie. Par ailleurs, la prise en charge par le service de la protection de l'enfance doit être caractérisée par une plus grande souplesse, le jeune devant pouvoir bénéficier à nouveau d'un accompagnement après sa sortie du dispositif : c'est pourquoi l'article 5 précise également que, si la situation du jeune le justifie, une nouvelle prise en charge lui est proposée.
L'amélioration de la prise en charge des jeunes suivis suppose également d'améliorer la coordination entre les dispositifs proposés par le département et ceux proposés par l'État – en particulier la garantie jeunes –, afin que le dispositif le mieux adapté leur soit proposé. C'est ce que prévoit l'article 6.
L'article 7 permet à d'autres acteurs que les missions locales de mettre en oeuvre la garantie jeunes et le parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie, en particulier les établissements pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE) et les écoles de la deuxième chance.
En outre, la proposition de loi se devait de réduire les difficultés d'accès au logement que rencontrent les jeunes sortant du dispositif de l'ASE et d'éviter qu'ils ne se retrouvent à la rue. À cet effet, l'article 8 permet aux jeunes majeurs sortant du dispositif de protection de l'enfance de bénéficier prioritairement d'un logement social. Cet article permet également à ces jeunes de se voir attribuer prioritairement une place en résidence universitaire lorsqu'ils poursuivent des études supérieures. Il s'agit de leur permettre de bénéficier des conditions les plus favorables à la réussite de leur cursus.
Enfin, l'article 9 de la proposition de loi prévoit une obligation alimentaire pour l'État lorsque les pupilles de l'État deviennent majeurs – ce dont tous les enfants disposant de parents, biologiques ou adoptifs, bénéficient déjà, qu'ils soient mineurs ou majeurs.
Vous le voyez, la proposition de loi agit à plusieurs niveaux afin d'améliorer l'accompagnement des jeunes les plus vulnérables.
Cet accompagnement renforcé répond à une logique d'investissement social dans la mesure où il permet d'éviter à la société des coûts importants à long terme. Dans son avis de juin 2018 consacré à la protection de l'enfance, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont nous avons auditionné le rapporteur, M. Antoine Dulin, la semaine dernière, qualifie à juste titre l'absence de soutien renforcé aux jeunes majeurs de « gaspillage socio-économique » et de « non-sens éducatif ».
En effet, de nombreuses études montrent que les jeunes qui bénéficient d'un contrat jeune majeur sortent mieux armés pour aborder les différentes étapes du passage à l'autonomie : leur niveau d'études est meilleur et rejoint celui des jeunes du même âge issus des catégories les plus modestes ; leur situation sur le marché du travail est également bien meilleure, puisqu'un contrat jeune majeur long réduit de moitié le nombre de jeunes sans emploi ni formation à la sortie du dispositif ; leurs conditions de logement sont également plus favorables puisque trois fois plus de jeunes ont accès à un logement indépendant après un contrat jeune majeur de longue durée.
Longtemps délaissée, la politique en faveur des jeunes en difficulté constitue désormais une priorité, comme en témoignent les propositions formulées le 15 mars dernier par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. En attestent également les ambitions fortes portées par la garde des Sceaux et la ministre des solidarités et de la santé à l'occasion des assises de la protection de l'enfance, qui se sont tenues à Nantes il y a quelques jours, le 29 juin.
En témoignent enfin l'attachement du Président de la République à l'amélioration des dispositifs de protection de l'enfance, sa volonté de s'attaquer aux inégalités de destin et son ambition pour le renouveau de notre modèle social, qu'il a rappelée lors de son discours au Parlement réuni en Congrès.
Au moment où je m'adresse à vous, mes chers collègues, je me rappelle la phrase de Léo Lagrange : « Aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin ; il faut ouvrir toutes les routes ». Les difficultés rencontrées par ces jeunes majeurs vulnérables, parfois invisibles, les condamnent malheureusement à un seul chemin, celui de la rue et de la précarité, sans perspectives d'avenir. Rendez-vous compte : un quart des sans-abri sont d'anciens enfants placés ! Cette situation ne peut pas, ne doit pas, nous laisser insensibles. Il est de notre devoir moral et politique d'agir pour ouvrir de nouvelles routes à ces jeunes.
Le texte que je vous présente permettra, je l'espère, de poser la première pierre d'une réforme d'ensemble prévue dans les prochains mois. Parce qu'il y a urgence à agir, je vous invite à adopter cette proposition de loi.