M. Saint-Martin est intervenu sur l'accompagnement des produits bancaires. Il revient d'abord au législateur de tracer le cadre de nouveaux produits, quand cela s'avère nécessaire. Je citerai l'exemple de l'adaptation du contrat eurocroissance qu'il revient aux banques ou aux compagnies d'assurances de développer ensuite. Je conçois le rôle de la Banque de France en accompagnement de ce mouvement au moins à deux titres. Tout d'abord, nous jouons le rôle de garants ; en outre, l'APCR assure un devoir de conseil. Il ne s'agit pas de proposer n'importe quel produit à n'importe quel client. En particulier, les produits de long terme doivent être réservés à des épargnants qui ont un horizon de temps suffisamment long devant eux. Nous avons eu l'occasion de rappeler, par exemple, que les unités de compte qui, à la différence d'eurocroissance, ne comportent aucune garantie en capital, doivent faire l'objet d'une information très précise de leurs souscripteurs.
Nous développons une deuxième mission dont l'évolution renvoie à une question de M. Bricout, à savoir l'éducation économique et financière du public. Il est important que les Français reçoivent des informations sur les différents produits d'épargne : nous le faisons à travers le portail « Mes questions d'argent » que nous avons lancé l'an dernier, qui a été salué et qui devrait recevoir plus d'un million de visiteurs cette année. Par ailleurs, nous proposons la plateforme téléphonique ABE-IS. Le devoir d'information ou de connaissance des produits relève chaque jour davantage du rôle normal de banques centrales. Il répond d'ailleurs à une initiative internationale poussée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Mme Louwagie est intervenue à propos de la balance commerciale et plusieurs d'entre vous y sont revenus ensuite ; nous constatons, en effet, des résultats qui restent structurellement mauvais depuis plusieurs années, nous en connaissons les raisons. Au cours de la première décennie de l'euro, nous avons connu un problème de compétitivité-coût et d'évolution de nos coûts de revient qui, notamment dans le sud de l'Europe, a été défavorable. Sur la période plus récente, nous avons amélioré la compétitivité-coût, y compris grâce au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, et, pourtant, les résultats tardent à venir en matière de redressement extérieur. Je crois que cela renvoie à des sujets de compétitivité plus globaux, comme la capacité d'innovation des entreprises, leur positionnement de gamme, les compétences de notre main-d'oeuvre, les questions de formation professionnelle et d'apprentissage et la compétitivité positive de notre sphère publique. Je reviendrai sur ce dernier point tout à l'heure à propos des questions portant sur la Banque de France.
Je suis un passionné du service public, j'y ai fait l'essentiel de ma carrière et j'ai choisi d'y revenir. Je n'invoquerai pas ici les mânes gaulliens mais, dans notre génie national, il y a quand même l'idée que le service public est l'un de nos atouts. Or, nous avons laissé se brouiller cette image, et peut-être un peu cette réalité, en raison de la dérive de nos dépenses. Je crois que nous pouvons regagner la maîtrise de nos dépenses sans rien perdre de la qualité de production du service public, parfois même au contraire : c'est un des éléments de notre compétitivité qualité.
S'agissant du prélèvement à la source, la Banque de France n'est en rien en charge de ce dossier. Je ne me prononcerai donc pas sur le plan technique. J'ai été directeur général des impôts, comme certains d'entre vous le savent, mais c'était il y a très longtemps. Je note simplement que nous sommes aujourd'hui le seul des grands pays de l'OCDE à n'avoir pas adopté le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu Il n'est pas inutile de procéder à de ce type de comparaison internationale et de se demander s'il ne conviendrait pas de corriger des anomalies. Je ne dis pas que la réforme sera simple, mais je crois que son inspiration correspond à une nécessité.
Vous avez raison de souligner l'importance de la médiation du crédit, qui a connu un changement. C'est un progrès : la Banque de France a repris la médiation nationale depuis le début du mois de juillet. Il existe un médiateur départemental du crédit dans chaque département. Nous le maintiendrons, n'hésitez pas à le solliciter ! Je le dis très directement, nous ne croulons pas aujourd'hui sous les dossiers, ce qui est probablement un bon signe de l'évolution du crédit au regard de ce qu'indiquait M. le rapporteur général. Cela étant, si vous étiez informés de la moindre difficulté d'accès au crédit, y compris d'une TPE, saisissez le médiateur qui est là pour étudier le dossier. Dans plus de la moitié des cas, une solution est trouvée. La médiation nationale aura le mérite de reprendre les dossiers les plus lourds. Dans le cadre de l'Observatoire du financement des entreprises, nous étudions des sujets particuliers qui se posent de façon transversale. Le dispositif est beaucoup moins souvent utilisé qu'il y a quelques années ; le phénomène correspond probablement à une évolution favorable de l'accès au crédit des entreprises mais ce dispositif me paraît toujours très nécessaire. Je m'engage devant la commission des finances à ce qu'il soit maintenu, dans chaque département, en accès facile, évidemment gratuit, pour les entreprises qui y auront recours.
M. Bourlanges m'a interrogé sur la croissance à long terme ; naturellement, plus l'horizon de prévision s'éloigne, plus l'aléa grandit, mais les prévisions de la Banque de France comme celles de la BCE prévoient un ralentissement progressif jusqu'à 1,6 % en 2020 pour la France, à 1,7 % pour la zone euro. Cela correspond aussi au fait que nous avons fini de rattraper notre retard de croissance par rapport à la croissance potentielle, notre vitesse de moyen terme, C'est ce qu'on appelle « clore l'output gap » dans le jargon inimitable des économistes ! Nous n'avons plus de potentiel de rattrapage par rapport à la vitesse de croisière de l'économie française ; progressivement, nous décélérons, d'où l'importance de relever cette vitesse de croisière – ce que je disais sur la croissance potentielle – mais, incontestablement, la prévision aujourd'hui est celle d'une décélération, un peu plus marquée sans doute à partir de 2020. Cette prévision tient compte de la montée des protectionnismes et de la fin du stimulus américain. Actuellement, le stimulus américain est très fort mais agit à court terme, si vous me permettez l'expression, comme une drogue car il n'augmentera pas durablement la vitesse de l'économie américaine.
La bonne conséquence à tirer des excédents commerciaux allemands est de considérer qu'ils constituent un supplément d'épargne disponible. J'ai cité le chiffre de 400 milliards d'excédent d'épargne privée en Europe. Cette épargne doit mieux circuler en Europe pour l'ensemble des besoins d'investissements de l'Europe, y compris dans les pays du Sud. Tel est l'un des objectifs du plan Juncker, qui s'avère être un succès, et de l'Union des marchés de capitaux, qui nous appelle à lever les éléments faisant obstacle à la bonne circulation de l'épargne en Europe, largement du Nord vers le Sud. Il n'y a aucune raison pour qu'un épargnant allemand ou un institutionnel allemand se sente davantage rassuré d'investir son épargne dans les pays émergents plutôt qu'en Espagne ou dans un autre pays de la zone euro, voire en Allemagne. C'est la raison pour laquelle l'Union des marchés de capitaux correspond à un vocabulaire technique un peu autodestructeur. J'avais proposé l'expression d'« union de financement pour l'investissement et l'innovation ». Nous mettons en commun nos ressources de financement, y compris privés, parce que nous avons de grands besoins d'investissement dans l'innovation. Je crois que c'est la bonne réponse au défi des excédents allemands.
Sur la question iranienne et l'unilatéralisme judiciaire, il faut savoir reconnaître ses limites, y compris de compétences. Si je partage très largement la question, la réponse ne nous appartient pas au sein de l'Eurosystème. L'Union européenne a dessiné des débuts de réponse à partir du mois de mai. Sommes-nous toutefois capables de mettre en place un dispositif juridique équivalent est aussi crédible que le dispositif juridique américain ? Le sujet relève très largement de la politique de souveraineté européenne.
À M. de Courson, je réponds : oui, l'augmentation de l'endettement public et privé est un risque. Je me permets d'appeler votre attention sur le graphique numéro 2 de la lettre au Président de la République, où figure l'évolution des dettes privées et publiques à l'échelle mondiale. On y voit, malheureusement, que la crise financière n'a pas stoppé la croissance de l'endettement. Pour le dire d'une façon très résumée, l'addition des dettes publiques et privées en proportion du PIB mondial évolue de la façon suivante : 190 % en 2001 avant la crise, 210 % en 2007 au moment de la crise, 240 % fin 2017. Si, malheureusement, nous n'avons pas assisté à un arrêt de la croissance des dettes, nous constatons néanmoins un changement de sa répartition qui se traduit par un petit ralentissement des économies avancées et d'une croissance forte de l'endettement privé, notamment des entreprises des pays émergents, dont la Chine. Il est toujours aléatoire de prévoir d'où pourrait partir une crise financière ; en l'occurrence, je crois qu'il existe un facteur de risque fort. Je note simplement que les autorités chinoises ont marqué, depuis un an, une sensibilité accrue à ce risque et qu'elles ont d'ores et déjà pris des mesures pour limiter la croissance d'endettement des entreprises. Il s'agit là, incontestablement, d'un facteur d'alerte.
S'agissant des crypto-actifs, l'article 26 du projet de loi « PACTE » prévoit une disposition qui ne nous pose pas de problème, au contraire, s'agissant de la capacité à lever des fonds à Paris avec un visa optionnel de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Je souhaite que nous complétions ce dispositif positif par un dispositif préventif de l'usage spéculatif des bitcoins et autres crypto-actifs. Je redis le consensus international tel qu'il résulte de la réunion du G20, au mois de mars, à Buenos Aires : ces crypto-actifs ne revêtent pas la caractéristique d'une monnaie, ce sont des actifs hautement spéculatifs. Ils ne présentent pas aujourd'hui de risques pour la stabilité financière globale parce que leurs volumes restent limités. Mais ils posent la question de la lutte anti-blanchiment et de la protection des investisseurs et des consommateurs. Ces deux sujets appellent des réponses internationales.
Des réponses européennes existent en partie. Il nous semble souhaitable de transposer des dispositions à ce titre en droit français, notamment à travers l'encadrement, ce que l'on peut appeler les « plateformes d'échanges », c'est-à-dire les interfaces entre le monde des crypto-actifs et les monnaies réelles. La Banque de France propose un statut de prestataires de services en crypto-actifs, sur lequel nous avons eu l'occasion d'échanger, monsieur le président. D'ici à la discussion du projet de loi « PACTE » en séance, sans doute pourrons-nous avancer et peut-être partager des amendements. Cela ne remet nullement en cause le contenu de l'article 26, mais un second volet correspondant à l'usage purement spéculatif est nécessaire. Le bitcoin – ou les produits comparables – n'est pas une monnaie, mais un actif spéculatif et ceux qui investissent le font à leurs risques et périls.