Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Madame Gregoire, le fait que la médiation soit peu utilisée n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. Objectivement, l'accès au crédit des PME et TPE s'est amélioré ; il est vrai, en revanche, que la médiation doit être plus largement connue. Je vais d'ailleurs inviter, si vous le voulez bien, chacun des directeurs de la Banque de France, à la suite de cette audition, à prendre contact avec les parlementaires. Parallèlement à la médiation qui intervient en aval, nous avons créé un poste de correspondant TPE qui peut intervenir en amont, c'est-à-dire avant le contact avec la banque pour délivrer des informations et orienter les contacts avec le correspondant. Il s'agit de prévention intelligente.

Vous êtes également revenue, ainsi que M. Laqhila, sur la cotation des dirigeants d'entreprise en cas d'échec, laquelle cotation est susceptible de compliquer l'accès à un crédit bancaire. Le problème est objectivement subtil. Nous avons allégé la cotation des dirigeants par le passé. Si nous ne procédions à aucune cotation, il est probable que le sujet reviendrait par la fenêtre, si vous me permettez cette expression, à partir de recherches d'informations privées, tant il est vrai qu'il est difficile pour un prêteur de ne pas rechercher d'informations sur le bilan historique d'un dirigeant. Il convient que cette information soit considérée comme telle, que son analyse soit proportionnée et ne tombe pas comme un couperet. Nous allons étudier la possibilité d'alléger encore la cotation, mais je crois que nous l'avons plutôt déjà bien allégée ; ensuite, nous expliquerons qu'elle n'emporte aucune obligation juridique d'exclusion. Il s'agit d'un critère d'évaluation parmi d'autres. Mais à supprimer ce critère, je crains que la recherche des informations par recours à des officines privées et de façon probablement soit plus excluante.

Mme Dalloz et plusieurs membres de votre commission, dont M. Alauzet, m'ont interrogé sur les frais. Nous sommes d'accord. Je voudrais insister encore une fois sur le fait qu'un plafonnement n'a de sens que s'il est global. Dans la loi bancaire de 2013, nous avons plafonné les commissions d'intervention. On s'est aperçu alors que des frais réapparaissaient à côté, non plafonnés. Il faut donc instaurer un plafonnement global de tous les frais d'incidents et probablement un plafond mensuel et un plafond annuel. Je n'avancerai aucun chiffre encore, mais je crois qu'il faut développer l'offre spécifique qui est la bonne réponse pour ces clients fragiles et pour cette offre spécifique, avoir un plafond mensuel, un plafond annuel suffisamment bas et global. Je ne peux pas être plus clair ; nous oeuvrons activement en ce sens. Nous suivrons les pratiques des établissements individuellement au sein de l'Observatoire de l'inclusion bancaire.

Monsieur Laqhila, le développement des fonds propres des entreprises est une priorité. Pour développer les fonds propres, il faut être deux : un investisseur et un chef d'entreprise qui accepte d'ouvrir son tour de table, une décision assez stratégique et assez intime. Afin que les Français, comme les Européens d'ailleurs, soient incités plus fortement à libérer des fonds propres, il faut des produits de long terme : d'un côté, les produits d'assurance vie – à cet égard, l'orientation de « PACTE » est bonne –, très développés en France mais très peu vers les fonds propres. De l'autre côté, les produits d'épargne retraite, encore très peu développés en France. Il s'agit là de deux bonnes réponses.

Le mouvement se fera progressivement, mais dans le cas d'eurocroissance et de l'épargne retraite, on peut concilier un placement en fonds propres dont les rendements sont supérieurs et une forme de garantie du capital à dix ou douze ans. Tel est l'un des changements fondamentaux que nous pouvons opérer.

Monsieur Paluszkiewicz, vous avez évoqué le « pays haut » de cette magnifique région qu'est la Lorraine. Je suis très sensible à la pratique que vous décrivez. Si vous recevez des offres de montages internationaux promettant des rendements mirifiques grâce à un rachat de crédits, signalez-le nous tout de suite, nous interviendrons très rapidement via l'ACPR. Je ne suis pas en train de prononcer une condamnation générale du rachat de crédit, car le regroupement de crédits peut être, dans certains cas, une solution adaptée, notamment pour profiter des taux bas et rembourser des prêts qui avaient été consentis antérieurement à des taux plus élevés, mais cela requiert la plus grande prudence, et il me paraît exclu d'avoir des montages tels ceux que vous décrivez. À vous entendre, mon sang de superviseur n'a fait qu'un tour. Si vous le voulez bien, transmettez-nous l'offre proposée par ces sociétés et nous nous en occuperons très sérieusement.

M. Cazeneuve a parlé de la situation financière des entreprises, qui continue de s'améliorer. Nous n'avons pas d'indicateurs équivalents au nombre de dossiers de surendettement. Nous constatons cependant un moindre nombre de saisines, des actions de médiation, un redressement du taux de marge, etc. Il est d'ailleurs très logique, étant donné la conjoncture robuste que nous connaissons, que la situation financière des entreprises s'améliore. Raison de plus pour être attentifs à l'évolution de leur endettement. C'est ce qui justifie les mesures que nous avons prises dans le cadre du HCSF. Il faut que leur situation financière reste suffisamment robuste, sans excès d'endettement, pour affronter un retournement de cycle.

J'ignore si le droit des sûretés présente des spécificités en France ; en tout cas, notre droit a ceci de spécifique que le patrimoine immobilier des entreprises est souvent partie intégrante du patrimoine personnel du dirigeant. Le sujet des sûretés et celui des garanties sont difficiles. Les banques demandent parfois des garanties personnelles aux dirigeants parce que l'immobilier d'entreprise passe moins des schémas de sociétés civiles immobilières. Il s'agit d'une spécificité française par rapport aux autres pays. Elle n'est pas condamnable en soi, mais elle rend le débat sur les sûretés des prêts accordés aux entreprises plus compliqué.

À la question de principe de M. Coquerel, je répondrai que je ne suis surtout pas un ministre des finances bis, et évidemment pas compétent à cet égard. Depuis la loi de 1945 qui crée ce rapport et cette lettre introductive, tous mes prédécesseurs ont essayé d'apporter ce même éclairage économique global. J'emploie à dessein le terme « éclairage », car il est donné en toute indépendance et ne vaut évidemment pas décision. La politique monétaire et la supervision bancaire sont le coeur de la compétence où s'attache notre indépendance. Nous sommes responsables des résultats. Par l'expertise indépendante qui est la nôtre, nous éclairons un débat qui est un débat démocratique, la décision ne nous appartenant pas. J'admets parfaitement que nous soyons contestés ; en revanche, nous sommes légitimes à apporter cette voix dans l'ordre que je viens de préciser.

Quant aux différentes missions qui ont été citées, je n'y reviens pas dans le détail, je me limiterai à redire l'engagement de la Banque de France d'assurer ses services ainsi que de nouveaux correspondant aux TPE-éducation financière, avec moins d'effectifs et tout en maintenant sa présence territoriale. C'est un mieux pour la Nation. Grâce à la baisse des dépenses que nous avons programmée entre 2015 et 2020, nous allons rendre chaque année à la collectivité nationale plus de 100 millions d'euros. Il est de notre devoir de le faire, car cela procède d'un meilleur service public. Je pense, en outre, que cela représente un travail plus intéressant et plus qualifié pour les hommes et les femmes de la Banque de France, car nous investissons en faveur de la formation et de la promotion interne.

Pour répondre à M. Savatier, je me focaliserai sur le conseil aux entreprises. Vous avez raison, je crois qu'il faut intervenir le plus tôt possible. Il n'en reste pas moins que la responsabilité est en premier lieu celle des patrons de très petites entreprises. Il convient, par conséquent, que nos dispositifs soient connus. Je crois que nous pouvons travailler ensemble sur ce sujet.

Le ministre des finances a souhaité que nous ajoutions au titre de l'éducation financière un pilier « éducation financière des entrepreneurs » pour donner à ces derniers davantage de compétences techniques ou financières. Mais l'obsession, probablement partagée, c'est que les divers dispositifs publics à l'oeuvre aujourd'hui atteignent 20 % ou un tiers des entrepreneurs, alors que les autres ne seraient touchés par aucun dispositif public. Il faut que nous nous tournions vers ceux qui sont isolés et en difficulté.

Le droit au compte vaut pour les candidats ; la mesure a été appliquée en 2017. Il vaut aussi pour les partis politiques. Je ne trahis pas un grand secret, puisque le fait a été médiatisé, en disant qu'elle a été exercée pour le Front national fin 2017. Un progrès supplémentaire est accompli dans le cadre de la loi de 2017, consistant en la nomination – à venir – d'un médiateur pour les candidats et les campagnes politiques. Dans le cadre des comptes de campagne, cela favorisera l'accès des candidats aux comptes et aux prêts bancaires.

Target 2 est une question relativement pointue. Nous ne commentons pas Target 2, mais nous ne le cachons pas ; comme vous l'avez relevé vous-même, les chiffres français sont publiés comme les autres. Nous ne les commentons pas, parce que nous considérons qu'il ne s'agit pas d'un indicateur de bonne ou de mauvaise santé de l'économie française. Je n'ai pas lu les rapports néerlandais ni allemand sur ce point. S'ils se vantent d'un solde Target 2 positif, je dirai, avec tout le respect que je leur dois, que c'est une erreur, parce que les soldes Target 2 sont influencés par une série de facteurs. Target 2 ne reflète pas l'état de santé d'une économie. Je citerai un facteur un peu technique ; il se trouve dans les achats de titres que nous faisons, le fameux « qualified intermediary ». Il se trouve qu'un certain nombre de contreparties sont des banques non résidentes. Les opérations d'achat sur Target 2 interviennent en Allemagne ou aux Pays-Bas, améliorant visuellement les soldes allemand ou néerlandais du simple fait de la localisation des contreparties. Cela ne signifie rien sur le fond. Il s'agit d'un instrument technique de compensation des paiements entre banques centrales, non un indicateur de santé des économies, à la différence, par exemple, des comptes extérieurs évoqués précédemment.

Merci, monsieur Jolivet, de vos propos sur « Mes questions d'argent ». Un hasard heureux fait que j'étais à Châteauroux au mois de janvier pour inaugurer la nouvelle succursale, lieu magnifique, dans la manufacture des tabacs. Je suis passé devant l'ancienne succursale, à l'architecture des années 1970, que j'apprécie comme vous. Moins adaptée à notre nouvelle implantation, elle sera donc cédée. Si vous souhaitez, nous en évoquerons les contreparties. Le fait est que nous échangeons un lieu contre un autre. Dernièrement, j'ai fait état de la présence de la succursale de la Banque de France à Châteauroux depuis 147 ans, précisant que nous y resterons pour une durée au moins égale ! C'est un engagement fort. Je souhaiterais que nous le prenions collectivement, car j'ai dû affronter des sceptiques rationalisateurs, qui expliquent que la Banque de France ne doit implanter ses succursales que dans les chefs-lieux des nouvelles régions. Cela n'a pas de sens à mes yeux : à nous de nous organiser avec des services de proximité et des centres de regroupement. C'est vital pour l'avenir du service public, qui doit être performant et présent.

M. Alauzet s'est inquiété de la baisse progressive de la croissance de long terme. Le caractère n'est pas mécanique. Au-delà des cycles conjoncturels, les pays avancés assistent depuis l'année 2000 à une baisse de cette croissance potentielle, en raison de gains de productivité moindres. L'innovation, notamment à travers internet, ne semble pas accélérer ni amplifier cette croissance potentielle. La question reste ouverte pour la décennie à venir. Le débat entre économistes fait rage. Certains pensent que ces innovations technologiques finiront par se traduire par une accélération de la croissance potentielle. Le mouvement ne me paraît pas fatal, mais c'est une question complémentaire qui s'ajoute à celle posée par M. Bourlanges à propos du cycle conjoncturel. L'idée que le cycle conjoncturel s'engage vers un ralentissement autour de 2020 pour les raisons diverses évoquées me paraît la plus probable. J'essaie de faire la part des choses entre le potentiel de moyen terme, qui dépend des innovations, et le cycle.

Je termine sur les contrats d'assurance emprunteur. Grâce à l'action du législateur et de la commission des chefs de services financiers (CCSF), nous assistons à un vrai progrès. Vous appelez légitimement notre attention, vous nous demandez si des ambiguïtés subsistent et si des réglages restent à opérer. Nous étudierons la question avec la Construction Products Regulation (CPR) et la CCSF. Il me semble qu'il s'agit d'une réforme qui a marqué déjà un progrès sensible et si des réglages supplémentaires s'avéraient nécessaires pour qu'elle prenne donne tout son potentiel, nous les ferions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.