Intervention de Michel Delpuech

Réunion du lundi 23 juillet 2018 à 14h10
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Michel Delpuech, préfet de police :

Madame la présidente, monsieur le corapporteur, mesdames, messieurs les députés, je serai amené, après mon propos liminaire, à répondre à vos questions. Vous me permettrez d'abord d'adresser à la représentation nationale, à travers votre commission, les saluts républicains que lui doit tout préfet.

Je souhaite en effet exposer, dans mon propos liminaire, le déroulement des faits tels que je les ai vécus et qui composent deux séquences : la première correspond aux 1er et 2 mai ; la seconde, que j'évoquerai plus rapidement, correspond aux 18 et 19 juillet, soit la semaine passée.

Première séquence : le 2 mai au matin, au lendemain des graves débordements intervenus en marge de la manifestation traditionnelle du 1er mai. Je rappelle les faits : présence de 1 200 « black bloc », des commerces saccagés, notamment en bas du boulevard de l'Hôpital, 283 interpellations, 153 présentations à un Officier de police judiciaire (OPJ) et 109 gardes à vue.

Le 2 mai au matin, j'ai été amené à intervenir, d'abord sur France Inter, à sept heures cinquante, puis sur BFM, à huit heures vingt, pour expliquer les faits et notre action. À l'issue de ces interviews, j'ai rejoint la place Beauvau, pour prendre part à la réunion hebdomadaire dite d'état-major. Bien que me sachant en retard – l'interview sur BFM s'achevant à l'heure où débute la REM, comme nous l'appelons, soit huit heures trente –, j'ai tenu à m'y rendre, ceux de mes collaborateurs qui participent à cette réunion m'ayant fait savoir que le ministre l'avait ouverte. Lorsque je suis arrivé, peut-être un peu avant neuf heures, la réunion était présidée par son directeur de cabinet et les autres participants habituels s'y trouvaient.

Après cette réunion – vers neuf heures quarante-cinq, dix heures peut-être –, je suis rentré à la préfecture de police. Pendant le trajet, comme je le fais systématiquement, j'ai appelé mon directeur de cabinet – présent derrière moi – pour faire le point sur les informations du matin. Il m'a indiqué que circulerait sur les réseaux sociaux une vidéo relatant des violences policières commises à l'occasion des manifestations du 1er mai. J'ai naturellement demandé à en savoir plus. Alors que j'avais regagné mon bureau de préfet de police, autour de dix heures quinze, j'ai reçu un appel de M. Laurent Hottiaux, collaborateur du directeur du cabinet du Président de la République. Il venait aux nouvelles auprès de moi sur, je le cite, « l'affaire Benalla » – mais je ne me souviens évidemment pas des termes exacts qu'il a employés : peut-être a-t-il évoqué la « vidéo Benalla ». Toujours est-il que je ne comprends pas de quoi il parle, et ma réponse est toute de surprise. Je n'ai jamais, à cette heure-là, entendu parler d'une affaire Benalla. J'en découvre donc l'existence, et j'indique à mon interlocuteur, M. Laurent Hottiaux, de l'Élysée, que je vais me renseigner.

Dans le même trait de temps, mon service de communication a trouvé cette vidéo sur les réseaux sociaux et, avec mes proches collaborateurs, notamment ceux qui sont ici à mes côtés, nous l'avons visionnée ensemble, sur un grand écran, dans le bureau de mon directeur de cabinet, grand écran sans lequel il était, à mes yeux, impossible d'identifier les protagonistes. Me revient à l'esprit à ce moment-là – c'est-à-dire le 2 mai vers dix heures et quart, dix heures et demie – un épisode de la soirée du 1er mai. En fin de journée, vers vingt heures, M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, était venu à la préfecture de police pour que nous lui fassions le point sur la manifestation du 1er mai et sur ses suites, ainsi que pour saluer et remercier l'ensemble des responsables des services en salle d'information et de commandement de la Direction de l'ordre public et de la circulation.

En cette salle de commandement, alors que nous faisions le tour des pupitres pour serrer la main des fonctionnaires de police, des militaires des escadrons de gendarmerie mobile et de Sentinelle, bref de tous les agents présents, j'ai découvert avec surprise, étonnement, la présence dans la salle de M. Benalla. Au moment de lui serrer la main : « Vous êtes là ? ». Réponse : « J'étais sur le terrain, je suis venu ». Voilà quelle fut la conversation rapide que nous avons eue à ce moment-là, tout en poursuivant le tour des pupitres avec le ministre. Je précise qu'à cette heure-là – il est peut-être vingt heures trente ou un peu plus –, les opérations de maintien de l'ordre se poursuivaient dans la capitale, notamment dans le quartier de la Contrescarpe, puisque nous avons assisté en direct – j'étais aux côtés du ministre – à certaines manoeuvres destinées à traiter jusqu'au bout le rassemblement de la Contrescarpe. Je rappelle également que c'est à vingt-trois heures que sont intervenues les dernières interpellations auxquelles ont procédé mes services.

Après le départ du ministre, j'ai regagné mon bureau et j'ai été appelé par le directeur de cabinet du Premier ministre, qui souhaitait organiser un déplacement de ce dernier afin qu'il puisse rencontrer et saluer les forces de l'ordre. Le Premier ministre est venu à l'hôtel de police du 13e arrondissement vers vingt-trois heures et j'ai pris le soin, bien sûr, d'informer le cabinet du ministre de l'intérieur pour qu'il soit à ses côtés.

Après cette digression – dont il faut retenir la surprise qui fut la mienne en découvrant la présence de qui vous savez –, je reviens à la matinée du 2 mai, après l'appel que j'ai reçu de la présidence de la République, plus précisément de M. Laurent Hottiaux, qui m'a appris l'existence de la « vidéo Benalla », pour l'appeler simplement. À la réception de cette alerte – venue de l'Élysée, je le répète –, j'ai pris deux séries d'initiatives.

En premier lieu, j'ai joint le directeur du cabinet du ministre de l'intérieur, qui m'a répondu que le cabinet du ministre était déjà informé et en liaison avec l'Élysée sur le sujet. Au terme de cet échange et d'autres qui ont suivi dans la journée, notamment avec le cabinet de l'Élysée, il était établi pour moi que le sujet Benalla était traité par l'autorité hiérarchique dont il dépendait. Au demeurant, c'est bien ce qui s'est passé, puisque M. Benalla a été convoqué par le directeur du cabinet du Président et qu'une sanction a été prise à son encontre.

Je parlais de deux initiatives : voilà la première et ses suites. J'ajoute que je me suis un peu étonné auprès du cabinet du ministre de n'avoir pas été alerté par ses soins.

En second lieu – mais j'y reviendrai un peu plus en détail, bien sûr, parce que c'est important –, j'ai lancé des investigations internes pour savoir comment M. Benalla s'était retrouvé sur l'opération de la place de la Contrescarpe alors que je n'en étais pas informé.

Pour terminer cette séquence matinale du 2 mai, le ministre m'a demandé de le rejoindre pour avoir un point d'ensemble sur les suites de la manifestation et aller saluer les commerçants les plus touchés, notamment au bas du boulevard de l'Hôpital, en refaisant l'itinéraire de la manifestation. Nous sommes donc partis ensemble de la place Beauvau, nous avons rejoint la Bastille, où nous avons fait un arrêt, puis le pont d'Austerlitz, à l'entrée duquel nous avons cheminé ensemble à pied et rejoint le boulevard de l'Hôpital, pour aller saluer et soutenir les victimes du McDonald's, des deux restaurants situés à côté et, évidemment, de la concession automobile Renault. Toutes les conversations que j'ai eues avec le ministre pendant ce temps ont porté sur la manifestation elle-même – où étaient les forces, où se trouvaient les manifestants, comment je l'avais gérée – ainsi que sur les dégâts, leur indemnisation et les suites judiciaires.

Je veux évoquer la question des investigations internes. Immédiatement après avoir reçu l'alerte, j'ai interrogé le directeur de l'ordre public et de la circulation, le DOPC, M. Alain Gibelin, pour savoir comment M. Benalla s'était retrouvé place de la Contrescarpe.

Il m'a dit, et je n'ai aucune raison de mettre sa parole en doute, ne pas avoir été informé et que c'est le contrôleur général, chef d'état-major adjoint, qui avait, sans en rendre compte à son directeur, organisé l'accueil de M. Benalla, lequel se serait prévalu d'un accord du cabinet. Nous savons, puisque le directeur du cabinet de l'Élysée l'a indiqué, qu'il avait en effet eu l'accord de ce côté-là, mais je n'ai jamais – je dis bien : jamais – été sollicité par qui que ce soit en ce sens. J'ai demandé en conséquence au Directeur de l'ordre public de faire les représentations nécessaires à son collaborateur pour ce défaut d'information – il s'agit d'un des fonctionnaires qui est mis en examen, j'y reviendrai.

Par ailleurs, toujours sur mes sollicitations, car j'avais besoin de savoir, le directeur de l'ordre public m'a indiqué que sa direction avait mis à la disposition de M. Benalla un casque pour sa protection – on pourra éventuellement y revenir ultérieurement – et avait placé auprès de lui – comme c'est le cas dans ce genre de circonstances, lorsqu'il y a un observateur étranger au service – un gradé de la police nationale, en fait un major de la police nationale, pour l'accompagner tout le temps de sa présence à côté de nos hommes.

D'autres moyens ont-ils été fournis à mon insu par mes services ? La scène de la Contrescarpe faisant l'objet d'une enquête judiciaire, cette dernière précisera les choses. Je vous fais état des informations telles qu'elles m'ont été communiquées.

Seconde séquence, plus récente : les 18 et 19 juillet.

Mercredi 18 juillet, à l'issue de la réunion habituelle du mercredi à dix-neuf heures que préside le directeur du cabinet du ministre, celui-ci m'informe qu'il a appris de l'Élysée que la vidéo du 1er mai dans laquelle apparaît M. Benalla allait faire l'objet d'un article du Monde. Un peu plus tard, à mon bureau, sans doute vers vingt heures trente, le directeur adjoint de mon cabinet m'indique que l'article vient en effet de paraître sur le site de ce journal. J'en prends connaissance et j'en informe le directeur de l'ordre public et de la circulation, M. Alain Gibelin, en lui indiquant que j'ai besoin de faire le point, dès que possible, le lendemain matin, avec lui.

C'est ce que nous faisons le jeudi matin. Je réunis le directeur de l'ordre public et le commissaire qui dirigeait les opérations de maintien de l'ordre sur la place de la Contrescarpe. Celui-ci était auparavant au bas du boulevard de l'Hôpital et place Valhubert, à la tête d'une unité. Il fallait se projeter place de la Contrescarpe ; c'est lui qui dirigeait l'opération en ce lieu. Je les ai donc réunis pour qu'ils me rappellent le déroulé des événements de la Contrescarpe, ce qu'ils font, à la suite de quoi le commissaire a rédigé, à ma demande, une note rappelant la séquence des événements. Nous sommes dans la matinée du 19 juillet.

Un peu avant quatorze heures, alors que j'achevais un déjeuner de travail avec un collègue, préfet de la région, le directeur de l'ordre public demande à me voir sans délai. Il vient donc à la résidence et, dans la stupeur, me fait part de ce que vient de lui révéler le commissaire, à savoir le fait que, dans la soirée de mercredi, ce dernier a participé avec deux autres fonctionnaires à une opération qui a permis de remettre à M. Benalla le double des enregistrements de vidéo-protection de l'opération de la place de la Contrescarpe.

Au vu des éléments ainsi recueillis, nous décidons ensemble, le directeur et moi-même, de formaliser ces informations en recueillant un rapport écrit de chacun des fonctionnaires afin de saisir le procureur de la République de ces éléments et de demander au ministre la suspension des trois fonctionnaires. Le rapport au procureur de la République est parti vers dix-sept heures ; j'ai personnellement appelé M. François Molins pour le lui signaler. J'ai également été en contact avec le ministre, qui, évidemment, n'a pas hésité à prononcer la suspension que j'avais demandée. J'ajoute que, le lendemain, en lien avec la Direction générale de la police nationale (DGPN), j'ai saisi l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur le plan administratif des faits pour lesquels le procureur de la République a ouvert une enquête.

Voilà donc comment ont été révélés les faits. Comme il était de ma responsabilité en ma qualité d'autorité hiérarchique de ces trois fonctionnaires, j'ai transmis ces éléments au procureur de la République, afin de lui permettre d'ouvrir l'enquête préliminaire, qui est à présent engagée ; une instruction a été ouverte à l'encontre des trois fonctionnaires concernés. C'est à cette enquête d'établir à présent la réalité des faits et les responsabilités des uns et des autres.

Si vous me le permettez, madame la présidente, j'ajouterai deux ou trois mots en conclusion de mon propos.

Cette affaire, comme le dit la presse, n'est évidemment pas sans conséquence sur la préfecture de police. Fondamentalement, ces événements résultent de dérives individuelles inacceptables, condamnables, sur fond de copinage malsain. Mais je ne me contenterai pas de ce seul constat, si juste soit-il. Car toute organisation est toujours perfectible et il faut avoir la sagesse et la lucidité de tirer les enseignements qui s'imposent. J'en citerai deux.

En premier lieu, la question de l'accueil d'observateurs au sein des services de police. Le souci de transparence et d'ouverture vers l'extérieur – journalistes, chercheurs, magistrats, stagiaires – invite à développer cette pratique ; c'est ce que nous faisons. Il faut cependant lui donner un cadre plus précis. Au niveau de mon cabinet, nous avons déjà mené un travail en ce sens avec les journalistes, dont la présence aux côtés des services de police est encadrée par une convention. Sans doute est-ce un modèle qu'il faudra étendre. Il faut poursuivre cette réflexion et, à cet égard, je me réjouis que le ministre d'État ait saisi l'IGPN de cet aspect. La préfecture de police prendra toute sa part à ce travail de l'inspection et ne manquera pas de formuler des propositions concrètes et constructives – je pense à la question des chasubles, voire à la couleur des casques de protection lorsqu'ils sont nécessaires, pour identifier de manière claire les personnes concernées.

En ce qui concerne, ensuite, la vidéo-protection et la conservation des images, depuis ma prise de fonctions, j'ai rappelé à plusieurs reprises les règles strictes s'appliquant à cette matière. Ma dernière circulaire sur le sujet, adressée à tous les directeurs, qui l'ont relayée, date du 4 juin – je la tiens bien évidemment à votre disposition. Je vous précise avoir également fait établir un dispositif technique resserré pour que l'accès aux images de notre plan zonal de vidéo-protection soit limité, service par service : tel commissariat pour ce qui le concerne, tel autre pour ce qui le concerne, et non pas tel commissariat pour la plaque parisienne, car c'est la situation que j'ai connue en arrivant et elle a créé trois ou quatre soucis pour lesquels j'avais saisi l'IGPN.

Dans le cadre de l'enquête administrative aux fins disciplinaires que j'évoquais tout à l'heure, je pense que l'IGPN formulera des prescriptions et recommandations sur ce point ; je veillerai, bien sûr, à les prendre en compte.

Au-delà de ces deux points que j'ai voulu mettre en exergue et sur lesquels vous souhaiterez peut-être revenir, cet épisode, difficile pour la Préfecture de police (PP) et qui porte atteinte à son image, ne doit pas, selon moi, faire perdre de vue la qualité de son travail, la qualité de son savoir-faire, reconnu, dans le domaine si délicat et complexe de l'ordre public.

Avec les fonctionnaires placés sous mon autorité, j'ai le souci permanent de concilier le droit de manifester, qui est une liberté publique, et, souvent, le droit de faire la fête avec les exigences de sécurité et de bon ordre. Au cours des derniers mois et des dernières semaines, nous avons assuré la gestion, toujours délicate, des nombreux mouvements sociaux du printemps, des interventions, également toujours délicates et difficiles, en milieu universitaire et qui se sont passées sans difficulté ou encore, plus récemment, la sécurisation des festivités du 14-juillet et celles liées à la demi-finale et à la finale de la Coupe du monde de football. La préfecture de police avait rarement connu une telle séquence. Elle a, chaque fois, été au rendez-vous. Les trois fonctionnaires désormais mis en examen ont aussi, ne l'oublions pas, contribué à ces réussites. Ce serait lâcheté de ma part de le passer sous silence.

Tout en rappelant l'exigence de la rigueur et le respect des règles de droit et de la déontologie, je veux donc à nouveau dire tout mon soutien aux agents de la préfecture de police, saluer leur engagement, leur professionnalisme, leur courage et les assurer, comme j'en assure les élus de la nation que vous êtes, de mon dévouement au service de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République et le Gouvernement.

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