Absolument, madame la présidente. Du reste, je n'en ai pas fait mystère.
Je me permets de vous relire le compte rendu très précis de ce que j'ai déclaré devant cette commission : « Au cours d'une réunion de travail à l'Élysée portant sur les relations entre la compagnie des gardes de l'Élysée, que j'avais sous mon autorité, et l'intérieur de l'Élysée, c'est-à-dire les gendarmes, M. Benalla avait posé la question de savoir s'il était envisageable d'être associé en tant qu'observateur à une opération de maintien de l'ordre, dans les jours futurs. »
Je poursuis la lecture de mes propos, prononcés sous serment, et auxquels je n'ôterai pas un mot : « Évidemment, à aucun moment, il n'a affiché son souhait sur la manifestation du 1er mai. Je rappelle que ces manifestations, il y en avait beaucoup à l'époque, dans le cadre des conflits en cours. À aucun moment il n'a émis l'idée que ce soit le 1er mai spécifiquement, à aucun comment il n'a demandé l'autorisation d'y être parce que, de toute façon, je n'ai pas vocation à donner une telle autorisation. Je lui ai clairement rappelé la règle qui est simple : seul le préfet de police est autorisé à donner une telle autorisation, que si nous devions à un titre ou à un autre accueillir M. Benalla sur une manifestation ou tout autre événement, cela ne pourrait se faire qu'avec une autorisation formelle du préfet de police, et de nulle autre personne. »
Le général Bio-Farina a très exactement défini les contours de ce déjeuner de travail. Je vous confirme la tenue de cette réunion de travail – je n'en ai jamais fait mystère – sa nature et les propos qui y ont été échangés. Permettez-moi de reprendre le compte rendu des propos du général Bio-Farina, car les mots ont leur importance : « Au cours de ce déjeuner, il y a eu un aparté entre Alain Gibelin et Alexandre Benalla, qui avait trait à la manifestation qui devait venir. Au cours de cette discussion, Alain Gibelin et Alexandre Benalla ont échangé sur les équipements qui seraient fournis à Alexandra Benalla pour qu'il puisse participer à ladite manifestation. C'est tout ce dont je me souviens. » Il a ajouté : « Je vais vous dire ce dont je suis certain, car ce déjeuner s'est tenu il y a trois mois et ma mémoire n'est nécessairement pas imprimée du verbatim de ce qui s'est dit ». À une question qui lui a été ultérieurement posée concernant la problématique des équipements, il a répondu : « c'est tout ce dont je me souviens ».
Si le général Bio-Farina a la mémoire qui flanche, je me souviens pour ma part très précisément de ce qui s'est dit ce jour-là et de la nature des questions qui m'ont été posées. Nous étions trois, il s'agissait d'un déjeuner de travail, et nous parlions, outre de l'objet de la réunion, de l'actualité du moment – les manifestations en cours.
Je rappelle que nous traversions alors une période sociale très difficile ; de nombreuses manifestations débouchaient sur des violences significatives, non de la part des manifestants, qui exprimaient une opinion, mais des « black blocs » qui venaient s'y incruster dans le but de les faire dégénérer. Nous avions eu à faire face à pas mal de manifestations difficiles ; un certain nombre de manifestations promettaient de l'être.
Nous avons évoqué bien évidemment la journée du 1er mai, mais également la manifestation du 5 mai, déclarée par M. Ruffin, de La France insoumise, dont des éléments nous laissaient penser qu'elle pourrait être perturbée par des « black blocs ». Nous avions dans notre paysage d'autres manifestations organisées par les syndicats de cheminots, dont les services de renseignement nous avaient dit qu'elles pouvaient être pénétrées, ou exploitées par des « black blocs » pour les faire dégénérer. À très brève échéance se profilaient des manifestations sur lesquelles des « black blocs » étaient susceptibles de commettre des violences.
M. Benalla m'a fait part de manière très claire de son intérêt pour observer ce type de manifestation, et m'a demandé s'il lui était possible de le faire.
Contrairement à certains propos qu'on peut lire dans la presse, ceux que je tiens devant votre commission d'enquête sont tenus sous serment : j'en ai parfaitement conscience et je pèse chacun de mes mots lorsque j'affirme que M. Benalla m'a demandé s'il lui était possible d'assister à une manifestation sans évoquer spécifiquement celle du 1er mai. Je lui ai alors indiqué très précisément la règle à suivre pour obtenir une autorisation ou pour que cela se fasse. Je rappelle qu'il est possible à n'importe quelle personne d'assister à une opération de police, pour autant qu'elle justifie d'un intérêt particulier à le faire et qu'elle respecte un minimum de règles, consistant essentiellement à obtenir une autorisation de la part de l'autorité de bon niveau.
J'ai donc dit à M. Benalla qu'il serait évidemment le bienvenu – qui suis-je pour empêcher un collaborateur élyséen de venir observer une manifestation ? –, tout en lui rappelant très clairement que la règle voulait qu'il obtienne l'autorisation de sa hiérarchie et surtout, j'y insiste, l'autorisation du préfet de police lui-même ou d'un membre de son cabinet, qui me relaierait l'information. Je lui ai précisé que lorsqu'il viendrait, s'il y était autorisé, il serait accompagné – on pourrait également dire parrainé ou piloté – par un fonctionnaire de police. Comme je l'ai dit lors de ma première audition, selon moi le bon niveau pour servir d'accompagnateur à M. Benalla, membre du cabinet de la Présidence de la République, aurait été un commissaire de police, et non un major. Et si on m'avait demandé mon avis, je n'aurais jamais désigné le malheureux major Mizerski, qui s'est retrouvé entraîné malgré lui dans une bien sale affaire, pour tenir ce rôle.
J'ai ajouté que s'il était autorisé à venir, on le doterait d'équipements de protection, comme on le fait à chaque fois que des observateurs participent à une opération de police – si certains d'entre vous se sont déjà livrés à cette expérience, ils savent de quoi je parle. En l'occurrence, pour une opération de maintien de l'ordre, il lui fallait un casque de protection – les pavés, ça vole bas et ça fait mal – ainsi qu'un gilet pare-coups. En aucun cas il n'a été évoqué la possibilité de le doter d'un brassard de police ou d'un poste Acropol. Comme vous tous, j'ai lu dans la presse que M. Benalla aurait été équipé d'une cote de protection avec un grade de capitaine, ainsi que d'un poste Acropol. Il est bien évident que, même si j'avais été détenteur d'une autorisation formelle du préfet de police, je n'aurais jamais toléré que M. Benalla soit doté de tels équipements, qui ne sont pas consubstantiellement nécessaires à la mission d'observation – j'aurais encore moins demandé à quelqu'un de lui procurer ces équipements.
À titre d'exemple, lors du très gros service que j'ai à monter dimanche prochain, pour l'arrivée du Tour de France, je dois accueillir quatre observateurs – trois policiers anglais et un chef d'entreprise –, qui me sont adressés de manière très formalisée par le cabinet du préfet de police. Je ne vois pas en quoi ces personnes seraient habilités à détenir un brassard de police – ils sont accompagnés par quelqu'un qui en est muni – ou un poste radio – qui n'est pas un élément de commandement, comme je l'ai entendu dire, mais un élément de relais d'ordres ou d'instructions qu'ils n'ont pas vocation à connaître.
Le matériel que M. Benalla reconnaît avoir reçu – et qu'on le voit porter sur les vidéos – ne lui a pas été attribué sur une instruction reçue de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et encore moins de son directeur. Pour ce qui est de l'invitation, M. Benalla dit dans l'article du journal Le Monde qu'il a reçu une invitation formelle de M. Laurent Simonin. Il dit également avoir reçu de M. Simonin un appel afin de lui demander ses mensurations ; je n'insisterai pas sur ce point, puisqu'il y a une enquête en cours et que ce n'est donc pas à moi, mais à la justice, de faire la vérité, mais permettez-moi tout de même de vous dire que cela m'étonne beaucoup.
Enfin, quelqu'un se serait présenté à lui quelques jours avant le 1er mai pour lui remettre un sac contenant divers équipements. Je n'en dirai pas plus sur ces faits, qui font l'objet d'une enquête judiciaire, et je ne doute pas une seconde que la justice établira très clairement la vérité sur ce point. En tout état de cause, il est inacceptable que M. Benalla ait été rendu destinataire de ces équipements et qu'il les ait utilisés. Seuls le casque et le gilet pare-coups étaient justifiés : on n'expose pas un observateur au risque de le retrouver blessé par un pavé ou une bouteille. La justice enquêtera, elle demandera très certainement à M. Benalla qui lui a fourni ces équipements et cette personne devra s'en expliquer : en aucun cas cela ne s'est fait sous mes ordres ni sous mon autorité.