J'en viens à votre politique économique. Pendant l'examen de la loi de finances pour 2018, vous n'avez eu qu'un seul mot d'ordre : « libérer les énergies créatrices de notre pays ». Pour atteindre cet objectif, vous avez rendu invisible – je dis bien invisible – la contribution des plus aisés aux finances de l'État. Vous avez ainsi supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, institué la flat tax, supprimé la quatrième tranche de la taxe sur les salaires – c'est-à-dire pour les salaires supérieurs à 150 000 euros – , ce qui a représenté un chèque de 100 millions d'euros pour les entreprises, et enfin abaissé les cotisations sociales sur les stocks-options.
En procédant ainsi, vous espériez que la main invisible du capital serait créatrice de richesse. Vous espériez peut-être vous dispenser de toute action offensive pour permettre à notre pays de consolider la reprise économique et de mieux créer les conditions de réussite pour la décennie à venir. Il est d'ailleurs révélateur de constater que le fonds de 10 milliards d'euros censé financer l'innovation de rupture est devenu, au fil des mois, un fonds de désendettement de l'État, puisqu'il sera constitué d'obligations. Cet exemple illustre à quel point vous vous êtes converti à la main invisible comme action stratégique au service de l'État.
Malheureusement, les premiers résultats ne sont pas à la hauteur de vos espérances et les Français peinent à en discerner les conséquences positives. La croissance économique en 2018 sera semble-t-il bien en deçà de vos projections ; elle n'atteindra sans doute pas les 2 % qui ont servi à construire votre budget. Le grand quotidien allemand Die Welt titrait hier soir : « L'effet Macron sur la conjoncture s'évanouit ».
Concernant les outre-mer, votre politique est tellement invisible que vous les avez oubliés dans de nombreux projets de loi, à commencer par ceux relatifs au logement et à la formation professionnelle.
Je ne parlerai que très rapidement du pouvoir d'achat des Français, qui, du fait des taxes sur les carburants, est amputé de 145 euros en moyenne en 2018 et de 576 euros de plus en 2022, pour ceux qui habitent à la campagne.
Enfin, s'agissant de la cohésion de notre pays, nous estimons indispensable, monsieur le Premier ministre, que la laïcité soit notre boussole. Or, là aussi, vous avez joué la main invisible, pour détricoter les dispositions prévues par la loi Sapin 2, qui visaient à encadrer les associations cultuelles. En supprimant pour elles l'obligation de s'inscrire sur le registre des lobbies, vous courez le risque de laisser s'installer certaines associations radicales au coeur de notre République, et ce, parce que vous avez fait le choix de rendre notre État invisible et de ne pas encadrer les logiques d'influence de la sphère privée sur la sphère publique.
En conclusion, monsieur le Premier ministre, avec cette motion de censure, nous voulons vous retirer la confiance qui vous a été accordée l'an dernier. Nous le faisons, parce que nous estimons que la cohésion de notre pays requiert un État républicain fort, pas un État invisible ou un État vendu à la découpe. En préférant la main invisible à l'action publique offensive, vous faites courir un risque fort à notre État, à son intégrité, à son efficacité et à sa performance économique.
Cette main invisible à l'oeuvre se voit dans de nombreux domaines. Elle s'est vue, bien entendu, au coeur de l'affaire Benalla. Ce risque est pour nous inacceptable. C'est pour cela que j'invite chacune et chacun de nos collègues à voter notre motion de censure.