Je vais prendre le temps de m'exprimer, car il est très important que je vous explique bien clairement le dispositif que je vous propose par le biais de l'amendement CF186.
Le « verrou de Bercy » est une exception au libre exercice de l'action publique par le parquet. Il subordonne la poursuite pénale de la fraude fiscale à une plainte préalable de l'administration fiscale, après avis favorable de la commission des infractions fiscales (CIF).
Je rappelle que les manquements fiscaux ont vocation à être sanctionnés dans le cadre des contrôles fiscaux programmés chaque année par l'administration fiscale. Des pénalités administratives sont appliquées lorsque le manquement commis est intentionnel – l'administration fiscale redresse l'impôt, applique des intérêts de retard et applique, quand le manquement est intentionnel, des pénalités qui vont de 40 % à 100 %.
Les sanctions pénales viennent en plus. Elles n'ont d'ailleurs vocation à s'appliquer, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, qu'aux fraudes les plus graves, celles pour lesquelles la sanction pénale présente une plus-value par rapport aux sanctions administratives. De ce point de vue, le « verrou de Bercy » se justifiait par le fait qu'on considérait que l'administration était la mieux placée pour apprécier l'atteinte aux intérêts financiers du Trésor.
Reste que la perception de la société a changé à l'égard des manquements fiscaux. La fraude fiscale, auparavant considérée comme une simple atteinte aux intérêts financiers de l'État, est aujourd'hui perçue comme un trouble à l'ordre public et une atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi. C'est pourquoi nous avons souhaité la création d'une mission d'information commune afin de trouver des solutions pour améliorer les procédures.
Le présent amendement reprend en grande partie les propositions du rapport de la mission d'information.
En premier lieu, l'amendement institue une obligation à la charge de l'administration d'informer le parquet – au-delà d'un certain seuil de droits rappelés – de tous les manquements fiscaux ayant donné lieu à des pénalités administratives importantes révélant une intentionnalité d'éluder l'impôt : soit les pénalités de 100 % et de 80 % et les pénalités de 40 % en cas de réitération du manquement. Pour ces dossiers, l'amendement prévoit un seuil déterminé par décret en Conseil d'État – nous allons sans doute discuter du fait de savoir si ce seuil devrait plutôt figurer dans le texte même. J'envisage un seuil de 100 000 euros ; le ministre pourra nous dire ce qu'il en pense.
Pour les personnes soumises à des exigences de transparence en application des lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 – à savoir les personnes qui déposent une déclaration aujourd'hui auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – les affaires sont transmises sans seuil dès lors qu'elles sont assorties de pénalités d'au moins 40 %.
La constitution de ce vivier de dossiers répond à trois préoccupations : elle permet tout d'abord au législateur de se réapproprier les critères de sélection des dossiers présentant un profil pénal à l'issue du contrôle fiscal ; elle met fin ensuite à la suspicion infondée selon laquelle certains dossiers importants échapperaient aux parquets ; enfin, elle accroît le périmètre des dossiers sur lesquels les parquets pourront librement exercer leurs prérogatives de juge de l'opportunité de poursuites pénales.
En deuxième lieu, la possibilité est prévue pour l'administration d'être à l'initiative du déclenchement des poursuites pénales pour les dossiers qui ne répondraient pas aux critères précités. L'avis de la CIF est maintenu pour les plaintes spontanées de l'administration. Pourquoi ? Parce que le principe d'automaticité de transmission de dossiers répondant à certains critères ne nécessite pas l'avis de la CIF. Dans les autres cas, on en revient au rôle originel de la CIF visant à garantir les droits du contribuable et donc veiller à ce que l'administration juge en toute objectivité la transmission des dossiers au pénal.
En troisième lieu, l'amendement concerne les cas de présomption caractérisée de fraude fiscale ; il s'agit des dossiers transmis à la BNRDF pour qu'elle enquête avant même la vérification fiscale. Jusqu'à présent cette transmission passait par la CIF et l'amendement propose que ce ne soit plus le cas, l'administration pouvant dès lors déposer plainte directement. Les investigations et les dépôts de plainte s'en trouveront accélérés.
Quatrièmement, il s'agit de permettre au parquet de poursuivre directement les fraudes connexes à celles dont il est déjà saisi – ce que nous avions appelé la « petite connexité », à savoir les fraudes qui vont porter sur d'autres périodes et d'autres impôts que la fraude initialement visée. C'était, ici aussi, une proposition du rapport.
Cinquième et dernier point, je propose de délier les agents de l'administration fiscale du secret professionnel à l'égard du procureur de la République – je vous demande de mesurer cette avancée substantielle – avec lequel ils pourront échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l'existence d'une plainte. On permet ainsi au juge un dialogue avec l'administration.
Je vous propose d'ouvrir la discussion sur le fondement de cette présentation.