Je vous remercie d'avoir accepté de mettre cette présentation en début de l'ordre du jour puisque je vais ensuite devoir quitter cette réunion. En effet, je suis membre du Conseil national de la transition écologique (CNTE) qui délibère ce matin. J'ai prévenu que j'y serai au plus tard à dix heures, afin de de pouvoir participer aux votes.
Tout d'abord, je tiens à transmettre les excuses de mon co-rapporteur, le député Loïc Prud'homme, qui préside ce matin une réunion de la commission d'enquête sur l'alimentation industrielle, dont je suis moi-même membre, et à laquelle il ne pouvait naturellement, en tant que président, se soustraire. Je le représente donc, avec son accord, pour présenter notre note sur la rénovation énergétique des bâtiments.
Je le dis en toute clarté, nous avons eu quelques différences d'appréciation à la marge sur la manière de procéder puisque, comme vient de le rappeler notre président, cette note scientifique se démarque de celles publiées précédemment, en ce qu'elle ne concerne pas un sujet scientifique ou technologique particulier mais plutôt un domaine d'application très large, faisant appel à de nombreuses disciplines scientifiques, allant de la physique des matériaux à la sociologie. La rénovation énergétique recouvre, en effet, l'ensemble des travaux visant à diminuer la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre du bâtiment, ainsi que de ses habitants, ou utilisateurs dans le cas du tertiaire.
C'est un sujet que nos prédécesseurs au sein de l'Office ont déjà eu l'occasion d'aborder dans le cadre d'au moins deux rapports : l'un de 2009, conduit par les députés Christian Bataille et Claude Birraux, dans le contexte de la loi Grenelle, à l'occasion duquel ils avaient regardé comment mieux identifier les leviers réglementaires permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, l'autre de 2014, du député Jean-Yves Le Déaut et du sénateur Marcel Deneux, qui ont analysé les mécanismes régissant l'accès au marché des produits destinés à la construction.
L'idée de cette note est venue à notre président Cédric Villani à la suite de la toute première audition du nouvel Office, voici un an, à l'occasion de laquelle nous avions entendu le président du Centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB, ainsi que trois scientifiques de renom. Après un premier document plutôt orienté vers les questions réglementaires, nous avons décidé, avec Loïc Prud'homme, de nous recentrer sur des aspects scientifiques, pour mieux respecter le principe de ces notes et, surtout, parce que cette approche a été jusque-là insuffisamment prise en compte en matière de rénovation énergétique.
À cette fin, en complément de l'audition du 27 juillet 2017, nous avons entendu plusieurs autres chercheurs travaillant sur divers aspects de la rénovation énergétique, ce qui a induit quelques délais supplémentaires, pour renforcer les aspects scientifiques, comme je viens de l'indiquer, d'autant qu'avec Loïc Prud'homme nous étions également engagés dans la commission parlementaire précédemment mentionnée. Nous avons aussi sollicité l'Académie des technologies, qui nous a remis une note synthétisant les points de vue de ses membres.
Pour entrer maintenant dans le vif du sujet, comme vous le savez, notre pays s'est fixé des objectifs très ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de consommation d'énergie. Le secteur du bâtiment représente entre un peu moins d'un cinquième et plus d'un tiers de ces émissions, suivant ce qui est pris en compte dans celles-ci, et pratiquement la moitié de la consommation d'énergie totale. De ce fait, l'atteinte des objectifs sectoriels est nécessaire à l'atteinte des objectifs globaux fixés pour et par notre pays.
Paradoxalement, depuis maintenant une dizaine d'années, les politiques publiques ont surtout mis l'accent sur le perfectionnement de la construction neuve, notamment par des réglementations thermiques de plus en plus contraignantes, bien connues, qui vont de la RT 1974 (réglementation thermique), en passant par tous les intermédiaires, jusqu'à la RT 2012. L'accent a donc été mis sur la construction neuve plutôt que sur la rénovation énergétique des bâtiments existants. Pourtant, du fait d'un rythme de renouvellement du parc de bâtiments de l'ordre de 1 % par an depuis trente ans, les progrès réalisés sur la performance des bâtiments neufs ne peuvent, de toute évidence, avoir un effet sur les performances globales du parc qu'à très long terme, sans même évoquer ici les inconvénients de la construction neuve en termes de consommation de matières premières, d'émissions initiales de gaz à effet de serre et d'utilisation de terres agricoles. Elle contribue significativement à l'artificialisation des sols, dont je rappelle au passage qu'elle représente aujourd'hui la perte d'une surface agricole utile équivalente à un département tous les sept ans environ sur notre sol.
L'idée était sans doute que les progrès réalisés dans le neuf allaient permettre de tirer la rénovation vers le haut. Mais, en réalité, il n'en a rien été car ces deux domaines sont très distincts, même si certains des produits utilisés peuvent être parfois identiques. La séparation entre ces deux domaines est l'un des points qui nous a frappés durant les auditions.
Alors que les progrès dans la construction neuve sont bien réels en matière de rénovation énergétique, malgré l'effort très conséquent réalisé depuis 2009 sous forme d'incitations financières, notamment fiscales, comme le taux de TVA réduit à 5,5 % et le crédit d'impôt pour la transition énergétique, plus communément appelé CITE, la consommation des bâtiments a baissé de seulement 1 % entre 2009 et 2016, en passant de 498 TWh à 493 TWh.
En juillet dernier, le CSTB avait été interrogé sur les causes de cet échec, sans pouvoir donner de réponse vraiment satisfaisante. C'est pourquoi nous pensons, avec Loïc Prud'homme, que l'atteinte des objectifs climatiques et énergétiques fixés implique une véritable rupture dans la démarche de rénovation énergétique, une rupture basée sur une approche plus scientifique et technologique du sujet.
De fait, quand on veut atteindre un objectif, il faut être capable de mesurer les résultats unitaires obtenus, de suivre en permanence l'évolution globale, de concentrer les efforts là où leur efficacité est avérée, d'identifier les obstacles de tous ordres et de les lever.
La mesure de performance de l'enveloppe et de la consommation réelle des bâtiments constitue un préalable indispensable au pilotage de la rénovation énergétique. C'est un peu le niveau T0 incontournable. De nouvelles techniques de mesure sont aujourd'hui développées, comme l'avait d'ailleurs mentionné le CSTB devant l'Office en juillet dernier. Il faut donc préparer la généralisation de la mesure de performance réelle, qui est un préalable à la mise en place d'un diagnostic de performance énergétique opposable, à l'introduction d'une garantie de performance énergétique, ainsi qu'à la simplification et à la lisibilité des aides à la rénovation, en remplaçant les aides ciblées, fonctions des caractéristiques des produits, par des aides fondées sur la performance globale d'une opération de rénovation. Cette démarche permettra, selon nous, de redonner confiance aux donneurs d'ordre et de généraliser la corrélation entre la valorisation d'un bien immobilier et sa performance énergétique. C'est l'un des points importants qui est ressorti des auditions.
Par ailleurs, nous appelons à la création d'un véritable observatoire du bâtiment, qui permettrait aux décideurs politiques et aux scientifiques de suivre en permanence la situation réelle du parc, au niveau national et local, ainsi que son évolution. Cet observatoire doit aussi permettre de cibler les bâtiments à rénover en priorité, pour envisager des opérations groupées et permettre aussi d'évaluer l'adéquation des actions engagées. Une mesure est prévue en ce sens dans le projet de loi d'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), issue d'un amendement parlementaire soutenu par notre premier vice-président.
Ensuite, pour des raisons d'efficacité, il faut donner la priorité aux 7,4 millions de « passoires » énergétiques, qui consomment plus de 330 kWh par mètre carré et par an. Naturellement, c'est sur ces passoires que les gains les plus rapides pourront être obtenus. 2,6 millions de celles-ci sont aujourd'hui habitées par des ménages à revenus modestes. Il s'agit donc à la fois d'un enjeu climatique et social, mais aussi de santé, car des logements vétustes représentent un risque pour la santé des habitants. Une étude reprise par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) indique ainsi qu'un euro investi dans la rénovation permet d'économiser 0,42 euro dans le domaine de la santé.
Même s'il faut la pondérer selon les pays, il faut aussi inverser la désaffection croissante des ménages vis-à-vis de la rénovation énergétique, en la rendant plus attractive, ce qui implique de développer de nouvelles offres de produits, proposant plus de fonctionnalités à un coût attractif.
Il faut également s'interroger sur les obstacles réglementaires à l'innovation dans la rénovation énergétique, comme l'avait fait le rapport de l'Office de 2014. La certification des produits reste trop chère et trop longue. Ce n'est pas la faute du CSTB, en charge de celle-ci, qui a déjà fait des efforts, mais de la complexité du dispositif réglementaire actuel, pour lequel il faudra sûrement envisager des pistes de simplification.
Enfin, il faut bien entendu trouver de nouvelles solutions en matière d'ingénierie financière. Il est possible d'en créer de nouvelles, comme le mécanisme hypothécaire inspiré du viager, proposé par l'Office dans le rapport de 2014.
Toutes ces évolutions nécessitent de développer les recherches suivant plusieurs axes. Nous avons essayé d'identifier et d'illustrer, par quelques exemples, les principaux : naturellement les technologies numériques, les nouveaux matériaux adaptés à la rénovation, notamment bio-sourcés, évidemment aussi la qualité de l'air et le confort intérieur, la production de chaleur ou la récupération de la chaleur fatale, sans oublier les sciences sociales.
Comme cela avait été dit en en juillet 2017, en regard des enjeux, nous pensons que l'effort de recherche publique et privée n'est pas, aujourd'hui, à la hauteur des défis scientifiques et technologiques à relever en matière de rénovation. La part du chiffre d'affaires consacrée à la recherche est très inférieure à ce qui se pratique dans d'autres secteurs, d'un facteur dix à vingt. Les causes en sont principalement structurelles. Même si ce manque est en partie compensé par la recherche issue d'entreprises extérieures au secteur, c'est une réalité qui devrait être compensée par la recherche publique.
Au contraire, dans les organismes de recherche publique, on constate, depuis quelques années, une désaffection croissante à l'égard du domaine de la performance énergétique des bâtiments. Ce domaine de recherche est probablement considéré comme trop concret, pas assez théorique pour être porteur.
Cela avait déjà été dit l'année dernière par M. Francis Allard, chercheur et professeur émérite au Laboratoire des sciences de l'environnement de l'université de La Rochelle, qui avait expliqué que les effectifs de la communauté de recherche française en matière de rénovation énergétique étaient en décroissance et que les budgets connaissaient, malheureusement, la même tendance à la baisse. Il faudrait inverser cette tendance et aussi pallier l'absence, en France, d'un grand pôle de recherche dédié à ce domaine, même s'il existe des équipes très compétentes au sein du CSTB, du CEA et dans certains centres universitaires. Pour conclure, nous pensons qu'il faut poursuivre l'effort de mise en réseau, voire de regroupement de ces équipes scientifiques avec, en ligne de mire, la création d'un institut de recherche dédié, qui permettrait à la fois de sécuriser ce domaine de recherche, de disposer d'infrastructures partagées, d'engager une montée en compétence et d'attirer de jeunes talents français et étrangers.