Intervention de Hélène Bourbouloux

Réunion du mercredi 11 juillet 2018 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire, fondatrice du cabinet FHB :

En tant qu'élus, vous êtes en première ligne des difficultés des entreprises. C'est en effet vers vous que se tournent leurs dirigeants ou leurs salariés lorsqu'ils recherchent des solutions à leurs problèmes. Sans doute vous êtes-vous souvent demandé quels dispositifs vous pouviez leur proposer, et sans doute avez-vous rechigné à leur recommander un administrateur ou un mandataire judiciaire. Malheureusement, l'image de ces professions est davantage liée aux éventuels échecs qu'aux réussites auxquelles elles parviennent. Les entrepreneurs qui bénéficient de cet accompagnement préfèrent le taire. Même lorsque l'issue est favorable, la honte d'avoir eu à traverser des difficultés est telle qu'ils s'abstiennent d'en faire état. En revanche, les échecs trouvent toujours un écho.

C'est là un problème majeur que je tiens à souligner : en stigmatisant l'échec, on l'aggrave. Le projet de loi apporte quelques ouvertures à cet égard, dans le prolongement d'un mouvement engagé ces dernières années. Une prise de conscience se fait jour, reconnaissant que pour réussir, il faut d'abord se tromper. Pour réussir en effet, il faut accumuler de l'expérience, laquelle passe notamment par l'erreur.

J'exerce la fonction d'administrateur judiciaire depuis 2002. J'ai rejoint ce métier après des études en école de commerce et en droit. J'ai créé une première entreprise en 1998, puis une seconde, FHB, en 2007. Je me sens donc tout autant entrepreneur qu'administrateur judiciaire.

Aujourd'hui, FHB emploie soixante collaborateurs et compte dix bureaux. Elle entend démontrer qu'il est possible d'apporter un service de proximité dans les territoires en mutualisant des compétences disponibles dans les places de plus importante circulation économique que sont les grandes villes. Cette approche nous confère une vision assez large du paysage économique, depuis la Corrèze – mon bureau secondaire est situé à Brive-la-Gaillarde – jusqu'à La Défense, où se trouve mon bureau principal.

Vous savez certainement que 95 % des entreprises qui déposent le bilan finissent en liquidation judiciaire. Les chefs d'entreprise le savent aussi. Aussi s'efforcent-ils de reporter cette échéance au moment ultime. Malheureusement, ils ignorent que 60 % de l'emploi est conservé en procédure collective. Je ne fais pas de l'emploi le critère absolu, qui devrait l'emporter sur les créanciers ou sur le maintien de l'activité. Cette appréciation ne me revient pas. En revanche, nous disposons là d'un véritable indicateur de performance. Si 60 % de l'emploi est conservé, on peut estimer que le sont aussi 60 % de l'activité, 60 % des investissements et 60 % du passif. Il est regrettable que les chefs d'entreprise et les politiques n'en soient pas informés.

J'ajoute que cet indicateur ne saurait être mis en doute, étant issu du Bulletin statistique trimestriel de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS). Créée au début des années 1970, cette association vient au secours des entreprises lorsque l'employeur ne peut plus honorer les salaires ou les soldes de tout compte. Nous disposons grâce à elle de statistiques sur le nombre de bénéficiaires qu'elle prend en charge au titre d'un salaire et d'un licenciement. Il en ressort que 200 000 salariés sont concernés tous les ans par une procédure collective – comprenant sauvegarde, redressement et liquidation –, pour 80 000 licenciements. Le taux de préservation de l'emploi qui en découle est probablement sous-estimé, car sont notamment exclus des bénéficiaires tous ceux dont les salaires sont à jour.

Si les chefs d'entreprise connaissaient cette simple réalité – 60 % de l'emploi est conservé en procédure collective – ils seraient certainement incités à anticiper la procédure plutôt qu'à la reporter le plus tard possible. Il est donc essentiel de communiquer sur ce sujet.

La comparaison des nombres bruts de faillites annuelles entre la France et l'Allemagne fait apparaître une grande disproportion : elles sont de l'ordre de 20 000 ou 30 000 outre-Rhin, contre 55 000 ou 60 000 dans notre pays. Toutefois, cela ne traduit aucunement une moindre performance de la France. En effet, pour être éligible à la faillite en Allemagne, il faut démontrer que l'on dispose d'un minimum d'actifs. Or, parmi les 55 000 ou 60 000 entreprises mises en faillite chaque année en France, plus de 40 000 n'ont aucun salarié et sont pratiquement impécunieuses. Les entrepreneurs concernés n'en sont pas moins méritants : ils ont déjà eu le mérite de créer leur propre emploi. Il faut leur permettre de sortir très vite du système de liquidation judiciaire dans lequel ils sont quelque peu enlisés, afin qu'ils puissent, le cas échéant, créer une nouvelle entreprise.

Une liquidation peut être vécue comme un grand malheur, mais aussi comme une grande chance. Elle entraîne en effet un effacement des dettes. Le plus pénible est de vivre avec une épée de Damoclès durant les trois ans qui suivent la liquidation judiciaire, pouvant conduire à une procédure possiblement assortie de sanctions. Notez que ces dernières sont assez rares : les taux de sanctions et de fautes reconnues par les tribunaux, aux termes desquelles les chefs d'entreprise sont condamnés, restent relativement faibles. Cependant, cet aléa existe. De fait, l'entrepreneur concerné ne peut pas accéder au crédit ni créer une nouvelle société.

L'insécurité et l'aléa sont donc hautement préjudiciables. La plupart des entreprises sont prêtes à payer le prix, pour autant qu'elles en connaissent la règle à l'origine. En revanche, l'incertitude et l'aléa sont peu compatibles avec le commerce et le développement économique.

Je brosserai maintenant un rapide tableau des grands mouvements survenus ces dernières années dans ce domaine.

Longtemps, on a considéré que le défaillant devait être sanctionné pour ne pas avoir respecté ses engagements. Si les primitifs avaient pour habitude de débiter en menus morceaux la personne du débiteur, il est apparu que cette pratique n'était guère rentable pour le créancier ! Le droit romain a ensuite autorisé le créancier à prendre pour esclave la femme du débiteur... À un troisième stade de cette évolution, on a considéré que le débiteur devait être privé de tous ses biens et empêché à tout prix de rebondir.

Le premier infléchissement n'est survenu qu'en 1967. Un tournant plus radical – et excessif – a été opéré en 1985, donnant la primauté à l'entreprise au détriment du créancier. Ce déséquilibre entre les deux parties était une aberration. En effet, aucun créancier n'a intérêt à la suppression et à la liquidation de l'entreprise. Le créancier a besoin d'être remboursé. En revanche, il ne souhaite pas se voir imposer une solution, mais veut participer à son élaboration.

Depuis 1994, un mouvement s'attache à restaurer les droits des créanciers. De l'efficacité des sûretés dépend en effet l'efficacité du financement de l'économie et des crédits aux entreprises. Pour faciliter le financement de ces dernières, il convient donc de renforcer l'efficacité des sûretés – mais ceci, de manière organisée et coordonnée. Tel est l'enjeu des procédures collectives qui viennent, dans le livre VI du code de commerce, mettre de l'ordre dans les centaines de sûretés et privilèges. Le projet de loi PACTE aborde également ce sujet extrêmement technique.

Dans un contexte de financiarisation et de mondialisation accrues de l'économie, notre pays prend conscience qu'il doit se doter d'outils qui lui permettent de garder ses fleurons. J'ai eu à traiter de procédures touchant des champions nationaux, comme Technicolor il y a dix ans ou la Compagnie générale de géophysique (CGG) l'année dernière. Société cotée, la CGG affichant 3 milliards d'euros de dettes, a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à Paris et de quatorze procédures dites de « chapitre 11 » aux États-Unis.

Les réformes se sont multipliées depuis 1994 : en 2006, 2008, 2010, 2012, 2014, 2016 et 2017. Autant dire que l'exercice d'anticipation est difficile pour les entreprises. L'ambition majeure de ces dernières années fut de rendre le système plus attractif, plus compétitif et plus prédictible. Ce faisant, la quasi-totalité des problématiques propres aux grandes entreprises a été résolue. Seuls manquent quelques outils. Il importerait ainsi d'ordonner les créanciers par classe homogène plutôt que par comité. De même, la place des actionnaires soulève un débat de fond : dans certaines circonstances, faut-il imposer à un actionnaire de passer la main s'il ne propose pas une solution ?

En revanche, les PME furent les grandes oubliées de ces réformes. L'Allemagne a mis en place un système assez radical à leur égard, mais il faut préciser que les PME allemandes correspondent peu ou prou aux ETI françaises. La France comptabilise 55 000 faillites chaque année mais aussi quelque 600 000 créations d'entreprises. La moitié de ces nouvelles entreprises disparaîtront dans les cinq ans, phénomène normal, surtout dans une époque où fleurissent les jeunes pousses et où les modèles ne cessent de se transformer. Certaines entreprises fermeront sans faire l'objet d'une procédure collective, d'autres se développeront, d'autres encore se rapprocheront. Aujourd'hui, des dispositions s'imposent pour améliorer le traitement et le sort des PME.

Les réformes de ces dernières années ont privilégié les solutions contractuelles entre les créanciers, le débiteur et les actionnaires. À cette fin sont prévues des procédures de mandats ad hoc et de conciliation, amiables et confidentielles, relativement peu coercitives. Quant aux procédures collectives – redressement judiciaire, sauvegarde, liquidation judiciaire –, elles sont publiques et fortement organisées par la loi.

La procédure collective est souvent présentée comme l'échec de la prévention. Je m'inscris en faux contre ce jugement. En réalité, des réponses différentes sont apportées à des situations différentes. Schématiquement, les solutions amiables et contractuelles traitent les problèmes de bilan : endettement trop important, insuffisance de fonds propres, etc. En revanche, une société qui voit son chiffre d'affaires s'effondrer après avoir perdu un client et qui doit fermer un site a tout intérêt à engager une procédure collective, comme un redressement judiciaire ou une sauvegarde. Il existe en effet des outils efficaces de restructuration. Entre autres exemples, l'AGS peut venir au secours des entreprises pour financer leur plan de restructuration sociale, et leurs dettes peuvent être étalées sur dix ans sans intérêt. Ces dossiers peuvent assez facilement trouver des solutions par le haut.

L'une des problématiques majeures des PME tient à la transmission. D'innombrables entreprises rencontrent des difficultés parce que leur dirigeant n'a pas anticipé cette transmission. Ceci se comprend aisément. Le dirigeant sait qu'il cédera sa société dans les trois ou quatre ans à venir, et a souvent une appréciation trop positive de sa valeur. Aussi manque-t-il quelques opportunités commerciales. Il se garde d'investir, pour préserver sa trésorerie. En conséquence, l'entreprise perd de sa valeur. Mesdames et messieurs les députés, je vous invite à garder le sujet de la transmission des PME à l'esprit. Celui-ci n'étant pas mon domaine de compétence, je n'en dirai pas davantage.

Les PME rencontrent par ailleurs des problèmes de croissance. Qui finance les petites entreprises en France ? J'entends par là les entreprises de moins de quarante salariés, qui constituent l'essentiel des entreprises en difficulté. Soulignons incidemment que les entreprises de vingt, trente ou quarante personnes ont de la valeur et possèdent une capacité d'innovation. Elles sont susceptibles de se rapprocher, pour créer des entités de cent ou cent cinquante personnes.

Il faut être conscient que ces petites sociétés sont financées par le crédit-bail. Ce n'est qu'à partir de 20 ou 25 salariés qu'une PME peut prétendre à de l'affacturage. Prenons, très concrètement, un vendeur de pizzas installé sur le parking d'un centre commercial. Le seul crédit auquel il ait accès est un crédit-bail pour son camion de pizzas. Or le crédit-bail est le seul crédit qui ne soit pas opposable à la procédure collective.

Admettons qu'une banque finance classiquement – et non pas en crédit-bail – l'achat de ce camion de pizzas, avec un crédit sur sept ans et un nantissement sur la machine. Ce nantissement est justifié : en cas de non-remboursement, il est normal que la machine soit vendue au profit du créancier. Si toutefois il existe une solution pour payer le créancier, il serait dommage de ne pas la saisir. Pendant une période d'observation pouvant atteindre douze mois, les échéances mensuelles de la banque seront ainsi gelées. Le crédit sera rééchelonné sur la durée du plan. Peut-être le créancier acceptera-t-il des abandons de créances. Si tel n'est pas le cas, une période maximale de dix ans pourra lui être imposée, sans lui faire perdre le bénéfice de sa sûreté et du sous-jacent.

Si la filiale de crédit-bail de la même banque finance le même camion de pizzas sur un crédit-bail à sept ans, la logique est tout autre. Le débiteur doit en effet payer ses loyers en période d'observation. Il ne profite donc pas du bénéfice qu'a voulu instaurer le législateur depuis cinquante ans, à savoir un gel temporaire des dettes durant une période d'observation, qui permet au débiteur de se remettre à flot. Dans ce cas, il n'est possible ni de rééchelonner le crédit sur la durée du plan, ni même de le renégocier. Même si un repreneur se présentait, il devrait s'acquitter des échéances impayées du débiteur. Rien, dans tout cela, n'incite à la négociation à l'amiable. Les PME en font majoritairement les frais.

Il y a deux ans, j'ai suggéré à la profession de travailler sur le sujet du crédit-bail. Les banques ont poussé des hauts cris : ce serait supprimer le crédit aux PME, ont-elles affirmé. Pour ma part, je fais le pari que si les banques sont remboursées par leur débiteur, y compris dans le cadre d'un crédit-bail, elles y gagneront davantage qu'en revendant aux enchères le bien concerné. Il ne s'agirait pas de renoncer à la sûreté, mais de la traiter comme le nantissement.

J'en viens à une autre difficulté propre aux PME, l'accès à des compétences juridiques adaptées. Le principal intérêt pour une petite entreprise de recourir à un administrateur judiciaire est d'effectuer des licenciements – procédure difficile à accepter pour le dirigeant d'un point de vue moral et humain, techniquement complexe, juridiquement risquée et coûteuse.

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