Il ressort de vos propos une interrogation sur le rôle et la place de l'État et des élus dans ces sujets. Indéniablement, il vous appartient de fixer le cadre de l'accompagnement des entreprises. Soyez toutefois conscients de l'immense contrainte que représente pour un entrepreneur l'imposition d'une chape de bonnes intentions, occasionnant une multitude de réunions avec le préfet, l'URSSAF, la commission des chefs de services financiers, l'élu local, etc. – destinées à parler du « problème » de l'entreprise. Imaginez un conciliabule dans lequel des médecins se réuniraient pour parler d'un « cas » – et surtout pour le faire parler – sans qu'aucun de ces professionnels ait de solution à proposer ! Pardonnez mon propos quelque peu abrupt, mais telle est la perception des chefs d'entreprise. La question de l'implication de l'État dans ces sujets est délicate, car elle renvoie à la honte de l'échec et à la stigmatisation. Pour peu qu'il soit une figure locale, un employeur notable de sa ville moyenne, un dirigeant n'a pas envie d'ébruiter que sa maison est près d'être saisie parce qu'il a donné une caution pour financer son entreprise.
Vous devez donc avant tout communiquer sur les outils, faire savoir aux chefs d'entreprise que vous êtes disponibles et que des solutions peuvent être recherchées avec divers représentants de l'État, à commencer par le Trésor public et l'URSSAF. Un dirigeant n'aura aucune difficulté à contacter ces derniers pour obtenir un délai de répit.
Le dispositif des commissaires au redressement productif, désormais appelés « commissaires au redressement et à la prévention des difficultés des entreprises », a plutôt bien fonctionné et est apprécié des entreprises. Les professionnels que nous sommes apprécient également que ce faisant, un acteur se spécialise et gagne en expérience sur ces sujets. Il a surtout le mérite d'être un interlocuteur unique. Il serait inenvisageable que, pour chaque dossier, je doive tenir informés quinze acteurs. Mesdames et messieurs les députés, je vous invite à rester vigilants quant à ce travers.
L'État peut donc apporter une aide, notamment en informant les acteurs économiques des dispositifs qui existent. En revanche, ne laissez pas croire à des chefs d'entreprise que vous pouvez apporter des solutions alors que vous n'êtes pas en mesure de le faire. Cela créerait de la frustration. Pire encore, des conseils mal avisés risqueraient de repousser et aggraver les problèmes. On ne rend pas service à un chef d'entreprise en le dissuadant de déposer le bilan au motif qu'il a 95 % de chances de finir en liquidation. Encore faut-il lui préciser qu'il conservera 60 % de l'emploi et que, s'il prépare suffisamment son dépôt de bilan, il accédera à une vraie solution. Pour prodiguer de bons conseils, encore faut-il connaître le système.
J'en viens à la question des seuils, qui touche y compris les entreprises en difficulté. En effet, elles se voient imposer un administrateur lorsqu'elles dépassent 20 salariés, tandis qu'il est facultatif en deçà. Le recours à un administrateur est en effet coûteux. Or, plus les entreprises sont petites, moins elles possèdent de compétences spécialisées, et plus elles ont besoin de ce service. Je préférerais que ces entreprises aient accès à un administrateur dont les honoraires seraient réduits de moitié. Cette solution est parfaitement envisageable. En effet, ce n'est pas sur ces dossiers que les administrateurs gagnent de l'argent, mais c'est grâce à eux qu'ils gagnent en expérience et en confiance, et qu'ils peuvent inciter les entreprises à anticiper les difficultés.
Une entreprise est un écosystème dans lequel gravitent salariés, créanciers, actionnaires, dirigeants, banques, repreneurs, investisseurs, collectivités locales, commerçants proches des sites... Quand l'entreprise se porte bien, les intérêts de toutes ces parties convergent, et de la richesse est créée pour toutes. Quand l'entreprise se porte mal, il faut répartir la pénurie. En France, les orientations légales considèrent que l'intérêt du salarié est le plus fragile, et qu'il doit être protégé en priorité. Dans la phase très amont en revanche, l'on prendra en compte l'intérêt de l'actionnaire, qui a investi. C'est important, car il faut se garder de ruiner l'envie d'investir dans des entreprises. Surtout, personne ne doit pouvoir empêcher un redressement quand il est possible. Un juste équilibre doit être trouvé. Pour y parvenir, il convient de se départir de toute vision caricaturale du sujet, et tenir compte des effets de bord d'un système. Il faut ainsi des sûretés efficaces, qui encouragent le crédit. Mais il importe aussi de laisser à chacun une chance de présenter un plan d'aménagement, avec une période d'observation, sans faire perdre ses droits au créancier. Si le plan ne fonctionne pas et que l'on procède à une cession ou à une liquidation, le créancier doit pouvoir mobiliser la sûreté qu'il a prise en contrepartie de son crédit.
Je connais peu les dirigeants « récidivistes » du dépôt de bilan, car ils se dirigent souvent, d'emblée, vers la liquidation. Au-delà, j'en appelle à primer ceux qui cherchent à s'en sortir, à commencer par tous ceux qui passent par le redressement. Sur les 60 000 entreprises en faillite chaque année en France, seules 12 000 se livrent à un redressement, dont 7 000 avec intervention de l'AGS au motif qu'elles ont plus d'un salarié. Je le répète, sur 60 000 faillites, seulement 7 000 passent par le dispositif de l'AGS. Ne stigmatisons en aucun cas ces structures qui recherchent activement une solution. Prévoyons par exemple que leur caution ne soit pas appelée. C'est déjà le cas en sauvegarde ; étendons ce principe au redressement. Plus le système sera attractif pour les chefs d'entreprise, plus ils anticiperont la résolution de leurs difficultés.