Intervention de Nicole Notat

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 9h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Nicole Notat, PDG de Vigéo-Eiris :

Bonjour à toutes et tous. Je voudrais d'abord excuser Jean-Dominique Senard, qui est au Canada et a donc une bonne raison de ne pas être parmi nous. Sachez qu'il est en tout cas associé à cette présentation. Et au cas où vous ne l'auriez pas déjà fait, n'hésitez pas à vous référer au discours qu'il a prononcé à Aix-en-Provence la semaine dernière. C'est un discours très percutant, qui touche précisément au sujet qui nous réunit aujourd'hui.

Comme vous le savez, notre mission était tout entière orientée vers le rôle et la responsabilité de l'entreprise dans la réalité du monde actuel et les éventuelles dispositions à prendre pour faire évoluer le code civil. Nous avons auditionné plus de 200 personnes. Je voudrais surtout insister sur ce qui nous a guidés pour élaborer les propositions finales de notre rapport. Il s'est d'abord agi du constat selon lequel les entreprises sont confrontées à de nouvelles attentes, de nouvelles réalités et de nouveaux défis, climatiques, environnementaux mais aussi sociaux, y compris de lutte contre la corruption. Toute entreprise qui se respecte et pense à son intérêt propre, son développement, son avenir et la continuité de son activité ne saurait les ignorer. Elle doit agir en conséquence et se mettre en capacité, par la même occasion, de savoir lire cet écosystème et identifier ce qui, pour elle, est source de nouveaux risques ou, au contraire, de nouvelles opportunités. Nous nous sommes placés dans ce cadre, en faisant le choix de situer l'entreprise dans sa réalité d'aujourd'hui. Notre approche n'avait ainsi rien d'idéologique.

Nous avons également été guidés par le constat selon lequel l'entreprise est à la manoeuvre pour subir les risques ou saisir les opportunités du nouvel univers dans lequel elle se trouve. Cela signifie qu'elle doit savoir lire les évolutions qui la concernent, selon son secteur d'activité et sa taille. Ces évolutions ne sont pas les mêmes suivant qu'elle est une entreprise internationale dont le monde est son village ou que son activité est cantonnée à un territoire particulier. En tout état de cause, même si le périmètre varie, aucune entreprise, qu'elle soit petite, moyenne ou grande, n'échappe à cette réalité. Ainsi, dès lors que ses dirigeants sont éclairés – il en existe ! –, l'entreprise qui a compris qu'elle était invitée, dans son propre intérêt, à étudier ces évolutions, loin de blâmer les contraintes qui s'imposent à elle, identifie ce qui lui permettra de tirer son épingle du jeu. Il s'agit alors pour elle d'innover, dans tous les domaines, pour être en capacité de prendre de l'avance sur des changements qui sont de toute façon inéluctables. Entrer dans cette dynamique, c'est suivre une logique de services en termes d'innovation et d'attractivité. Par conséquent, cela devient un élément de différenciation compétitive.

Nombre d'entreprises n'ont pas attendu notre rapport pour vivre dans cette logique, vous en êtes vous-mêmes les témoins si vous suivez la vie de certaines d'entre elles. C'est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de partir de leurs expériences, de leurs innovations, de leur engagement en matière environnementale, sociale, sociétale et éthique, pour mettre le droit en harmonie avec ce qui est déjà une certaine réalité. Le code civil ayant été institué en 1804, nous comprenons aisément qu'il soit en décalage avec la situation actuelle, notamment lorsqu'il indique que l'entreprise est tout entière au service de ses associés – nous parlerions aujourd'hui de ses actionnaires ou investisseurs. Ce n'est déjà plus le cas. Non pas qu'il faille négliger les actionnaires et les investisseurs ! Mais les débats polémiques entre intérêt social et intérêt économique ont pris fin et nous savons que la performance sociale est un élément de compétitivité et de performance globale. Les entreprises se saisissent des questions environnementales lorsque celles-ci les concernent vraiment. Aussi importe-t-il de donner le signal que l'entreprise est certes au service de ses actionnaires, mais qu'elle doit aussi prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. La dualité qui prévalait jusqu'ici n'existe plus. Cela procure au juge un cadre d'analyse qui lui permet de ne pas lire les contentieux à la lumière de l'article 1833 de 1804, mais de la manière dont vous allez le faire évoluer.

À cet égard et pour répondre à votre question, je dois dire que nous ne retrouvons pas tout à fait dans le projet de loi tel qu'il existe aujourd'hui. La modification de l'article 1833 nous convient, de même que celle de l'article 1835. En revanche, nous nous retrouvons moins dans la suite du projet. La cohérence de nos recommandations consistait à dire qu'outre la rédaction de nouvelles dispositions dans le socle du droit, il fallait confier au conseil d'administration une responsabilité allant jusqu'à la possibilité – s'il en est d'accord – de définir une raison d'être. Celle-ci n'est pas seulement utile pour les entreprises à mission, que nous n'avons volontairement pas complètement définies dans le rapport. Nous avons associé à la notion d'entreprise à mission un certain nombre de conditions à réunir, à la demande de ceux qui s'en recommandent déjà. La question de la localisation de telle ou telle responsabilité en fonction des conditions qu'elle implique mérite d'ailleurs encore d'être posée. La modification du code de commerce, qui fournit une obligation de moyens à faire valoir au conseil d'administration, lequel détermine la stratégie et en contrôle la mise en oeuvre, doit aussi conférer à cette instance la possibilité d'intégrer la prise en considération de ces enjeux sociaux et environnementaux. C'est très important. Chaque entreprise, en fonction de sa spécificité, de son développement national ou international, ou encore de ses réalités de métier, doit pouvoir formuler sa raison d'être. Cela ne concerne pas seulement les entreprises à mission, mais doit aussi être rendu possible pour toute entreprise « lambda » qui le souhaite.

Un autre point d'écart concerne les représentants des salariés au conseil d'administration. Nous avons voulu adopter le principe d'une meilleure proportion entre le nombre total d'administrateurs et le nombre d'administrateurs salariés. Nous recommandons qu'ils soient trois à partir de treize administrateurs non-salariés, mais le projet de loi conserve le nombre de deux. L'enjeu est de taille. Compter des administrateurs salariés est un « plus », dès lors qu'ils ont les mêmes droits que les administrateurs non-salariés. Ils ont, plus que tout autre administrateur autour de la table, la connaissance de leur entreprise. Ils savent les enjeux et les défis auxquels elle est confrontée. Ils ont donc une parole singulière qui, je crois, mérite d'être entendue.

Dans le contexte actuel, y compris avec le risque de tentation d'un certain nombre de nos concitoyens de s'orienter parfois dans des directions qui, malheureusement, ne sont pas véritablement conformes à leur véritable intérêt, donner des signaux de ce genre, réconcilier les citoyens avec l'entreprise, faire évoluer les perceptions mentales et donner à la France la capacité de porter cette vision aux niveaux européen et international sont des opportunités que notre pays aurait tort de ne pas saisir.

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