Intervention de Nicolas Véron

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 11h45
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Nicolas Véron, économiste, co-fondateur du think tank Bruegel :

Je vous remercie de m'offrir la possibilité de participer à cet échange et au travail que vous accomplissez dans le cadre de l'examen du projet de loi PACTE. Ainsi que vous l'avez rappelé, je suis chercheur au centre Bruegel, qui est un centre de réflexion sur les politiques en Europe. Ce think tank européen est partiellement financé par le gouvernement français et la Banque de France. Je suis également chercheur dans un autre think tank indépendant à Washington, le Peterson Institute for International Economics. Par ailleurs, dans le contexte de cette audition, il est probablement important de mentionner que j'ai un intérêt particulier puisque je suis investisseur dans le fonds de capital-risque Newfund, qui a été créé par mon frère François Véron et dans lequel je mets à peu près toutes mes économies – mais ce n'est pas, je crois, un conflit d'intérêts.

Je présenterai très brièvement l'environnement du financement des entreprises en France, tel que je le vois depuis la perspective qui est la mienne, celle d'un observateur des systèmes financiers en Europe et ailleurs dans le monde et, pour une grande part de mon travail, des politiques des services financiers, notamment en Europe. J'ai beaucoup travaillé sur l'Union bancaire et l'Union des marchés de capitaux. Je travaille maintenant sur le Brexit et toute une série de sujets paneuropéens qui y sont liés. À cet égard, je suis d'une certaine manière plus au clair sur les enjeux européens que sur les enjeux français. Il existe nombre d'aspects « franco-français », si vous me permettez de le dire ainsi, avec lesquels ma familiarité n'est pas suffisante pour apporter un véritable avis d'expert.

Comme je l'ai dit, je serai très bref – donc très schématique. Le système français est dominé par l'intermédiation bancaire, dans la moyenne européenne. Les financements de marché, bancaires ou non, sont plutôt bien développés par rapport à certains États membres de l'Union. Ils sont peut-être un peu en retard par rapport à la frange nord-ouest du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de la Scandinavie, mais certainement bien développés par rapport à nos voisins continentaux.

Cette dominance de l'intermédiation bancaire, liée à notre histoire, peut constituer un handicap, par certains aspects, vis-à-vis des besoins de financement des entreprises de croissance. Pour des entreprises très risquées, notamment, qui n'ont pas d'actif physique, le financement en capital est indispensable. Le secteur du capital-risque français n'est peut-être pas l'objet principal de la loi PACTE, même si des éléments y ont trait. C'est toutefois, de mon point de vue, un élément essentiel de la discussion sur ce que les autorités publiques doivent faire pour aider le secteur du capital-risque, mais aussi sur ce qu'elles ne devraient pas faire en termes d'interférences – ce qui, à mon avis, a dans l'ensemble un effet plutôt négatif sur l'écosystème. Nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler.

Il existe aussi des aspects de réglementation, voire de sur-réglementation. Pour quelqu'un qui travaille à Bruxelles, je ne vous étonnerai sans doute pas en déclarant que je vois beaucoup de vertu dans la démarche de « dé-surtransposition » – j'ai appris ce mot en préparant cette audition –, c'est-à-dire d'élimination, dans le droit français, des couches supplémentaires portant sur les mêmes sujets que les textes de droit européen. Dans nombre de réglementations des services financiers, le sens de l'histoire est quand même plutôt celui d'un alignement sur les textes européens, sans en retrancher bien sûr, car ce ne serait pas conforme, mais sans en ajouter trop non plus. De ce point de vue, j'ai lu avec intérêt et même une certaine satisfaction, par exemple dans le règlement « Prospectus », que la dé-surtransposition était un mot d'ordre. Cela me paraît sain. Même en matière de protection du consommateur, je pense qu'il y a une logique de long terme à l'harmonisation. J'emploie à dessein « long terme » car je pense que le droit européen tel qu'il est aujourd'hui n'est pas suffisant en tant que tel pour protéger le consommateur dans tous les aspects de la consommation de services financiers. Il y a donc une nécessité d'initiative nationale.

Par ailleurs, un enjeu très français est celui des distorsions. Nous aimons bien, en France, avoir des distorsions de marché ! Je pense que, dans le domaine des services financiers comme ailleurs, nous en avons beaucoup trop. Nous avons trop de niches fiscales, trop de produits d'épargne réglementée, trop d'interventions des fonds publics dans des segments de marché qui devraient être laissés à l'initiative de l'offre et la demande des acteurs privés. Là encore, je ne veux pas sur-généraliser. Je ne dis pas que tous ces dispositifs soient illégitimes. Naturellement, certains peuvent être légitimes. Mais je crois que, dans l'ensemble, la logique qui consiste à limiter et à démanteler certaines des distorsions est saine. Je ne suis pas favorable à l'introduction de nouveaux produits d'épargne réglementés. Je pense que les Français ne comprennent pas leur épargne à cause de sa réglementation. Ils ne comprennent pas la logique de l'arbitrage simple entre risque et rendement qui devrait guider leur épargne, ni les échéances de maturité de leur épargne, parce que seuls les produits réglementés sont visibles – le livret A, le plan épargne-logement (PEL), etc. Tout ce qui peut conduire les Français à mieux comprendre leur épargne, sur le plan très simple de l'équilibre de l'offre et de la demande, du risque et du rendement, des échéances de maturité, contribue à une meilleure éducation financière. Bien plus, même, que les initiatives spécifiques d'éducation financière. De ce point de vue, l'élimination des distorsions est très importante.

Par ailleurs, même si beaucoup a été fait dans ce domaine au cours des vingt ou trente dernières années, je pense qu'il y a encore à faire sur l'élimination des barrières aux frontières. Le dispositif de contrôle des investissements tel qu'il est rénové par le projet de loi me paraît très légitime. Je souhaiterais, pour ma part, que ce type de dispositif soit mieux encadré par le droit européen – mais c'est une critique que j'adresse à la Commission de Bruxelles et non au Gouvernement français. J'ai écrit un article sur ce sujet il y a dix ans, en commun avec Lars-Hendrik Röller qui est maintenant le conseiller économique de Mme Merkel. Malheureusement, rien n'a changé entre-temps. La manière dont les autorités publiques conçoivent l'encadrement du capital-risque ressemble un peu à du protectionnisme, ou à l'idée qu'il faut garder le contrôle sur l'investissement en fonds propres au niveau national. Cela ne me paraît pas la bonne logique dans un environnement européen.

En dépit des progrès enregistrés au cours des dix à vingt dernières années, nous avons encore des traces de malthusianisme dans notre approche du financement de l'économie. Nous avons tendance, vous le savez en tant qu'élus des territoires, à favoriser les PME. C'est une bonne chose, d'autant que les PME sont le terroir de l'économie et le lieu des créations d'emplois et du dynamisme. Cela dit, on est souvent enclin, en France comme ailleurs – peut-être moins qu'en Italie, mais plus que dans le nord de l'Europe – à tellement aimer les PME qu'on veut les empêcher de grandir. On ne veut pas explicitement les empêcher de grandir, mais on assortit d'avantages le fait de rester petit, avantages qui créent des désincitations à la croissance. Ce phénomène, qui en Italie est bien connu sous le vocable de nanismo, a toujours existé dans la politique économique française. Des textes de Raymond Aron des années 1950 le décrivent de la même manière. Je crois qu'il faut absolument réussir à sortir de cette impasse analytique. Il existe maintenant une littérature économique très bien fournie, qui montre que la vraie création d'emplois ne se trouve pas dans les PME en tant que telles, mais dans les entreprises de croissance, qui sont souvent des entreprises jeunes. L'on assiste donc à une sorte de distorsion de perspective, puisque les entreprises de croissance ne sont pas vraiment une statistique, contrairement aux PME. Ainsi, la création d'emplois que l'on observe dans les PME concerne en fait les PME de croissance. La vraie création d'emplois vient des entreprises qui croissent, le plus souvent rapidement, et qui deviennent grandes. Il ne faut donc pas qu'elles y perdent trop de privilèges. L'équilibre est difficile à trouver. Le problème n'est donc pas facile à régler, mais il est extrêmement important de le prendre en compte dans notre approche du financement des entreprises.

Le projet de loi lui-même comporte de nombreuses dispositions assez ponctuelles, comme c'est souvent le cas dans ce type de lois. Comme j'arrive à la fin de mon temps de parole, je ne vais pas les mentionner. En tout état de cause, je serai très heureux de réagir et de répondre à vos questions les concernant. Dans l'ensemble, et de manière très synthétique, le projet me paraît aller dans le bon sens, même s'il constitue une évolution plus qu'une révolution.

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