Intervention de Guillaume Prache

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 11h45
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Guillaume Prache, directeur général de Better Finance :

Je vous remercie de donner l'occasion à un centre d'expertise indépendant au service des usagers des services financiers de s'exprimer sur ce projet de loi. Nous sommes au service des épargnants français et européens. Nous faisons beaucoup de recherches, et nous publions chaque année la seule étude sur l'épargne longue en Europe, y compris en France. Nous venons, par ailleurs, de sortir deux études plus ciblées, l'une sur le robot advice, l'autre sur la fameuse gestion pilotée que les Anglo-Saxons appellent les life cycle funds – qui sont au coeur du projet PACTE. Nous soutenons très fortement les objectifs qui figurent dans l'exposé des motifs du texte : faciliter la croissance des entreprises, notamment des PME qui favorisent l'emploi et la croissance, surtout quand elles sont innovatrices ; répondre au besoin d'actionnaires de long terme ; développer le financement en fonds propres – donc en actions ; développer l'épargne longue.

J'exprimerai trois préalables et trois observations clés, sur lesquelles nous pourrons bien sûr revenir. Le premier préalable est qu'il ne faut jamais oublier que l'épargne des ménages est la principale source de financement de l'économie. Il importe donc d'accroître la confiance des épargnants qui, en France comme en Europe, est très basse. Tout « fléchage » – pour reprendre un mot employé dans le projet de loi – de l'épargne des Français vers les entreprises, vers l'investissement et vers l'innovation doit d'abord respecter les règles de protection des épargnants en matière de devoir d'information, étant précisé que les produits financiers sont plutôt vendus qu'achetés. Or, les « visites mystère » de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pour citer cette seule référence, montrent que les fonds indiciels à bas coût – les fonds négociés en bourse (ETF) et les actions – ne sont jamais ni expliqués, ni proposés, ni promus aux particuliers. Il ne faut donc pas reprocher à ces derniers de ne pas investir en actions ou en ETF. Et pour cause : vous ne pouvez pas acheter un produit qui n'est pas sur l'étalage !

Il se trouve néanmoins que l'intérêt des épargnants rejoint tout à fait l'orientation du projet PACTE, dont la première ligne de l'exposé des motifs pour la partie « financement » indique qu'il s'agit d'améliorer les perspectives de rendement pour les épargnants. En effet, celui des produits longs n'est pas bon. Les graphiques que je vous ai fait parvenir montrent qu'il existe un important écart entre les performances des marchés de capitaux, qu'il s'agisse des actions ou, plus encore, des obligations – mais pour ces dernières, c'est désormais du passé puisque les rendements sont désormais plutôt proches de zéro –, et celles des produits de placement proposés aux épargnants, comme les fonds de pension ou les assurances-vie. Après inflation, les premières ont représenté plus de 2,60 % par an, tandis que les produits dits « packagés » étaient parfois très en deçà. Une analyse plus précise montre aussi que, depuis vingt ans, les actions cotées des PME en France, en Europe et aux États-Unis « sur-performent » très largement les grosses capitalisations. En France comme en Europe, on a une vue biaisée du marché des actions puisqu'on ne parle que des indices CAC 40 et Euro Stoxx 50, c'est-à-dire respectivement 40 et 50 valeurs. Entre fin 1999 et fin 2017, le Stoxx 50 a fait +29 %, tandis que l'inflation européenne a été de 40 % : les épargnants ont donc perdu du pouvoir d'achat. S'ils n'avaient pas investi uniquement dans les actions de 50 grandes entreprises qui non seulement détruisent de l'emploi mais croissent moins que les PME, ils auraient fait +87 %, soit une performance près de trois fois plus élevée. L'analyse est la même pour la France. D'où l'intérêt des épargnants pour le projet PACTE, qui vise à orienter et à faciliter le déploiement de l'épargne vers les actions, notamment celles des PME.

Deuxième préalable : il ne faut pas oublier que les épargnants français, que l'on présente comme court-termistes et frileux, le sont beaucoup moins que les investisseurs institutionnels. D'abord, ils placent 61 % de leur épargne dans l'immobilier, qui est une épargne longue et à risque. Ensuite, leur épargne financière est constituée à 25 % d'actions, soit en direct, soit via des fonds en actions ou des unités de comptes en actions, tandis que le risque de placement des assureurs français n'est que de 10 %. Un groupe comme Axa détient même moins de 5 % en actions. Il faut donc certes augmenter la part en actions des épargnants, mais il faut aussi regarder, à l'intérieur du gros bloc d'épargne intermédiée par les assureurs et les intermédiaires financiers, ce qui se passe concernant les produits. Le fonds en euros d'un plan d'épargne-retraite populaire (PERP) dont je suis administrateur, avec un horizon de placement à plus de vingt ans, n'est investi qu'à 10 % en actions.

Troisième préalable : il convient de regarder au-delà du seul échelon national. De très grandes initiatives européennes vont exactement dans la même direction que le projet PACTE. Je pense notamment à l'Union des marchés de capitaux, ainsi qu'au projet de produits d'épargne-retraite individuelle paneuropéens.

Dans ce contexte, j'identifie trois priorités en ce qui concerne le projet PACTE, dont, je le répète, nous partageons pleinement les objectifs.

La première a trait aux produits d'assurance, premiers produits d'épargne financière des Français avec 1 600 milliards d'euros dans l'assurance-vie et 16 milliards d'euros dans les PERP, soit 1 % des placements en épargne retraite longue. L'assurance-vie est elle-même déjà assez longue, puisque la durée moyenne de placement est de douze ans. Ainsi, la principale priorité, qui n'aurait peut-être pas sa place dans le projet de loi en tant que tel, mais dans l'exposé des motifs, est la réforme des normes « Solvabilité 2 », que les assureurs mettent systématiquement en avant lorsqu'on leur reproche de ne placer que 10 % en actions dans un PERP et encore moins dans une assurance-vie classique. La France, puisqu'elle est particulièrement exposée du fait de l'importance de l'assurance-vie dans les placements à long-terme des ménages, doit absolument obtenir un recalibrage de « Solvabilité 2 ». Mais ce n'est pas tout ! Il faut aussi demander aux assureurs un fort engagement. En effet, même avec « Solvabilité 2 », je constate que certains fonds en euro d'assurance-vie comptent 5 % en actions, tandis que d'autres en comptent 20 %. Pourtant, ils sont tous soumis aux règles de « Solvabilité 2 ». C'est donc qu'il y a d'autres problèmes.

On évoque parfois les fonds euro-croissance – à cet égard, nous soutenons les mesures de simplification contenues dans le projet de loi – et les unités de compte. J'attire tout particulièrement votre attention sur ce dernier point. En cumulé après inflation, les marchés de capitaux ont fait +54 % sur les dix-huit dernières années, contre +24 % pour les fonds en euros et -10 % pour les unités de compte. Pourtant, on nous explique depuis des années qu'il est stupide d'investir dans les fonds en euros, qu'ils ne rapportent rien et qu'il faut choisir les unités de compte. La raison principale vient du fait que les commissions sont trois à quatre fois plus élevées sur les unités de compte que sur les fonds en euros. Ainsi, la dé-surtransposition n'aura du bon que si l'on protège bien les épargnants contre le misselling – la vente frauduleuse – et les accumulations souvent cachées de frais tous azimuts, et si l'on met sur le même pied, aux points de vente, les produits simples et à bas coût et les produits chers. Les « visites mystère » de l'AMF montrent que tel n'est pas encore le cas, et que les fonds indiciels et les actions en direct ne sont pas proposés.

Sur les produits d'épargne-retraite, nous soutenons très fortement l'objectif affiché du projet de loi qui vise à améliorer leur attractivité, mais nous identifions trois incohérences dans les mesures envisagées. Tout d'abord, alors que l'objectif gouvernemental est de passer de 200 à 300 milliards d'euros d'épargne-retraite en cinq ans, l'exposé des motifs annonce l'alourdissement global de la fiscalité de cette épargne. Or dans tous les pays, celle-ci nécessite une incitation fiscale au départ. Deuxième incohérence, à notre avis : il faut non seulement un traitement plus favorable pour l'acquisition d'une rente viagère – avec un « dénouement permettant de se prémunir contre les risques liés au grand âge » –, mais il faut aussi un avantage. Nous sommes favorables à la liberté de sortir en capital ou en rente, mais en l'état actuel tout le monde choisira le capital et cela donnera des résultats catastrophiques, notamment quand vous irez au-delà de vos versements programmés. Troisième incohérence, l'abattement forfaitaire de 10 % sur les rentes, proclamé comme le Graal, existe déjà et est en grande partie absorbé par les pensions des régimes généraux et d'AGIRC-ARRCO.

Enfin, ce projet, qui contient d'autres très bonnes mesures – je présente juste les points d'amélioration, qui sont ceux qui vous intéressent le plus –, n'indique pas clairement s'il inclut les deux plus gros produits d'épargne-retraite individuelle des Français, en l'occurrence Préfon et Corem. Je n'ai pas reçu de réponse claire du ministère de l'économie et des finances. Peut-être en obtiendrez-vous une ?

Sur la rente, nous avons des propositions plus précises à faire. J'aurais également voulu vous montrer l'importance de développer chez les Français la « culture » de l'investissement en actions, en allant au-delà des mesures envisagées dans le projet de loi, mais je crains d'avoir déjà dépassé mon temps de parole.

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