Intervention de Valérie Depadt

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 8h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Valérie Depadt, maître de conférences à l'université Paris :

La loi nouvelle aurait pour objet unique d'accorder à l'enfant devenu majeur le droit d'accéder à ses origines, ce qui est une façon de marquer l'adaptation de la loi à l'évolution des esprits. Je ne reviens pas sur l'aspect socio-psychologique. Ce droit doit être limité au domaine de l'AMP. Nous sommes ici dans le cadre de la révision des lois relatives à la bioéthique ; il n'est pas question que cette révision porte une incidence quelconque sur l'accouchement sous X, qui relève d'une logique tout autre.

J'ai indiqué dans ce PowerPoint l'ensemble des textes relatifs au don d'éléments et produits du corps humain, au don de gamètes et au don d'embryons. Si vous les étudiez, vous constaterez que ces textes ne traitent que des donneurs et des receveurs.

Ainsi, l'article 16-8 du code civil, qui est le texte principal puisqu'il figure parmi les grands principes relatifs au corps humain, traite tout d'abord des éléments et produits du corps humain en général, et, dans sa deuxième phrase qui ne fait qu'expliciter la première, il est clairement indiqué que « le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur ». Cela se retrouve dans l'intégralité des textes.

Il est assez étonnant – plus intéressant qu'étonnant d'ailleurs – qu'aucun de ces textes relatifs à l'anonymat ne vise l'enfant, qui semble oublié du droit qui a encadré sa conception. Pour l'instant, le droit se préoccupe des donneurs et des receveurs, et l'ignorance de ses origines par l'enfant est une conséquence obligée d'une loi qui ignore la situation de cet enfant parce que l'on a cru, légitimement, que l'intérêt des enfants se confondait avec celui des parents. C'était il y a quelques dizaines d'années maintenant. On sait aujourd'hui que c'est faux.

Donc, le principe d'anonymat n'est contesté par personne, quel que soit le point de vue duquel on se place. Il n'est question pour personne, je pense, de permettre au donneur et au receveur de connaître leurs identités respectives au moment du don, ni de permettre aux couples receveurs d'accéder ultérieurement à l'identité du donneur, ou l'inverse. Il ne s'agit donc pas de modifier le droit existant. Le droit positif doit rester tel qu'il est. Il s'agit de créer un principe qui vienne compléter le régime de l'AMP exogène ; ce principe est le droit pour une personne majeure conçue par don anonyme d'accéder à ses origines.

Je pense que tout le monde, ici, se retrouve pour approuver le principe de l'anonymat. Néanmoins, si ce principe est légitime entre les parents et les géniteurs, notamment au regard de la conception française du droit du don d'éléments et de produits du corps humain, il doit cesser d'être prolongé vis-à-vis de l'enfant. Pour ce dernier, l'anonymat est un des éléments du protocole médical, et il doit sortir de ce protocole médical une fois conçu.

Comment insérer ce droit d'accès dans le droit positif ?

Le droit d'accès aux origines n'existe pas en droit français. Certains pays, comme la Suisse, l'ont inséré dans leur Constitution. Ce n'est pas notre cas. Il est impossible de s'appuyer sur un texte déjà écrit. Il s'agit donc d'un principe nouveau, limité à l'assistance médicale à la procréation. À mon sens, afin de marquer l'importance et l'autorité de ce principe, s'il était décidé, il serait opportun de le placer dans le code civil parmi les grands principes relatifs au corps humain, ceux-là mêmes qui traitent de l'anonymat.

En conséquence, je vous ai fait une proposition. Je ne suis pas législateur, et elle vaut ce qu'elle vaut. J'ai essayé de poser les choses simplement. L'article 16-8 pose le principe d'anonymat des dons de produits du corps humain ; l'article 16-9 nouveau du code civil disposerait qu'« une personne majeure conçue par don de gamètes ou par accueil d'embryons est en droit d'accéder à la connaissance du donneur, de la donneuse ou des membres du couple à l'origine de sa conception ». Je pense sincèrement que cela suffit.

Cela suffirait à ouvrir cette possibilité aux personnes nées d'un don, sans pour autant modifier le droit positif, d'autant plus que la première question qui se pose est « quid de la filiation ? » C'est bien pour cela d'ailleurs que l'on envisage de sortir l'AMP de la loi relative à la bioéthique, à cause des questions de filiation. En réalité, celles-ci sont déjà résolues. Nous avons, dans le code civil, deux textes qui, jusqu'à présent, sont inutiles puisque l'anonymat empêche leur application et qu'il n'y a jamais eu de cas autre : ce sont les articles 311-19 et 311-20 du code civil.

Je rappelle l'article 311-19 : « En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation. Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur. » Nous avons tout ce qu'il faut. Nul besoin de se préoccuper de la filiation, cela a déjà été fait. À cet égard, peut-être faudrait-il une psychanalyse collective ; je trouve pour ma part très intéressant de voir à quel point ce principe semble être attendu dans notre loi.

Enfin, pour terminer, j'aborderai les raisons de l'urgence d'une loi. Car il existe une urgence aujourd'hui, et ce pour des raisons très techniques.

Tout d'abord, il n'est plus possible de garantir l'anonymat aux donneurs. La prochaine action judiciaire ne sera peut-être pas celle d'un enfant devenu adulte qui demande à accéder à certains éléments, comme cela a été le cas jusqu'à présent mais celle d'un donneur à qui l'enfant devenu adulte aura accédé, et qui ne sera pas d'accord. On peut le comprendre. Il s'en prendrait alors à l'État – à raison, de mon point de vue.

Ensuite, sans jouer les cartomanciennes, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, sur laquelle nous pourrons revenir, qui considère l'identité génétique comme un élément de l'identité, la condamnation de la France par la Cour est probable. Jusqu'à présent, elle ne l'a considéré que dans des affaires d'accouchement sous X ou de contestation de paternité, mais peu importe la cause.

Enfin, l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes est un nouveau modèle familial qui ne peut s'accorder des raisons qui ont justifié de rendre impossible l'accès aux origines. Il ne sera pas possible de dire que l'on tente de faire oublier la stérilité de la conjointe ou d'éviter le « modèle familial », si je puis dire, pour protéger la famille.

Voilà l'essentiel que je tenais à vous dire sur cette question. Je vois que j'ai épuisé mon temps de parole, mais si vous m'accordez deux ou trois minutes supplémentaires, je vais passer en revue les autres points sur lesquels je voulais appeler votre attention.

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