Intervention de Valérie Depadt

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 8h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Valérie Depadt, maître de conférences à l'université Paris :

Concernant l'aspect obligatoire, à mon avis, il faut poser un principe sans option. On sait très bien que ce qui est difficile, ce sont les phases de transition. Si l'on ouvre l'option, des parents iront vers des donneurs qui refusent de lever leur identité au moment de la majorité de l'enfant, et nous retomberons sur le même problème même si c'est pour un nombre réduit de personnes. Si vous estimez, car c'est vous qui le déciderez, qu'il n'est pas juste pour ces personnes ne pas pouvoir accéder à la totalité de leur histoire, cela vaudra pour tous. Il ne s'agit pas de les obliger à demander d'accéder à l'identité de leurs donneurs, mais de leur offrir le droit de le faire si elles le décident. Évidemment, cela s'arrêtera là.

Quoi que vous décidiez, de toute façon, tout dépendra de ce que les parents diront à l'enfant. Il y eut un temps, lorsque je codirigeais la mission de Terra Nova avec Geneviève Delaisi de Parseval, nous avions écrit – c'était un peu à mon initiative de juriste – qu'il fallait un jugement et que ce jugement soit annexé à l'état civil. Aujourd'hui, j'ai mûri. Je pense que ce serait violent, dans un premier temps.

Les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) conseillent vivement aux parents d'informer l'enfant des circonstances de sa conception. C'est ce qui pose tant problème, d'ailleurs, car lorsqu'ils le font, la première question de l'enfant est de savoir qui est le donneur, et la seule réponse que les parents peuvent apporter est qu'ils ne peuvent pas le dire.

Je pense donc que, dans un premier temps, on peut voir comment cela se passe sans obliger les parents. Ce serait faire montre de violence et de radicalité envers des parents dont la situation n'est pas facile, car le recours au don n'est pas facile, surtout dans les premiers temps. Par la suite, les choses se mettent en place. Il faut leur faire confiance, c'est tout de même leur histoire. Certes, il faut légiférer en matière d'AMP parce que, dès lors que l'État met en place des moyens qui permettent d'avoir des enfants, il est responsable de ces enfants – ou du moins des maux liés aux circonstances de la conception –, mais je pense vraiment qu'il faut faire confiance aux parents. Donc, dans un premier temps, on laisse faire les parents.

Ensuite, tout enfant informé des circonstances sa conception par ses parents doit être en droit d'accéder à l'identité. Et pas davantage ! Il n'est pas question que l'enfant s'immisce dans la famille du donneur ou le donneur dans la famille de l'enfant. On entre là dans le domaine de la vie privée. En la matière, nous disposons de tout un arsenal juridique pour protéger les uns et les autres. Mais l'enfant doit pouvoir accéder à l'identité du donneur. Lever l'anonymat, c'est lui permettre de faire passer son histoire d'un langage qui, pour l'instant, est scientifique, dans le registre humain. Pour l'instant, il reste un enfant de la médecine alors qu'il doit être une personne conçue grâce aux procédés médicaux.

Votre seconde question portait sur le mode d'établissement de la filiation.

Concernant la suppression de la condition d'indication thérapeutique, certes, on ne guérit pas l'infertilité par l'AMP. Toutefois, les techniques d'AMP ne sont pour l'instant utilisées que sur une infertilité médicalement constatée, dont l'infertilité idiopathique – je pense que c'est le terme, je n'en suis pas sûre n'étant pas médecin – ou du moins l'infertilité dont on ne connaît pas la cause mais dont le symptôme, à savoir l'absence de grossesse, révèle l'existence. Ces infertilités sont d'ailleurs les cas les plus difficiles pour le corps médical. En l'occurrence, seul le temps passé sans grossesse révèle le symptôme de l'infertilité.

Vous parliez de l'établissement de la filiation. C'est un très long débat ; toutefois, certains éléments du débat me semblent évidents.

Tout d'abord, on ne saurait établir de présomption de maternité qui se fonderait sur la présomption de paternité. Comme vous le disiez, nous, juristes, sommes attachés au passé, mais nous sommes surtout attachés à la cohérence du droit. On ne peut pas bouger une pierre sans prêter attention à l'équilibre de l'ensemble de l'édifice. C'est la raison pour laquelle nous sommes si attachés à l'existant. Pour autant, il est toujours possible d'ajouter de nouvelles pierres et d'accroître l'édifice.

Il n'est donc pas envisageable de créer une présomption de maternité qui serait copiée sur la présomption de paternité, car cette dernière se fonde sur une vraisemblance de lien charnel. La preuve en est que si le père, ou un tiers, démontre que ce lien charnel n'existe pas, il peut, dans certaines conditions, faire tomber la paternité. Ce modèle n'est, à l'évidence, pas imitable. À situation nouvelle, modèle nouveau d'établissement de la filiation.

La fonder sur le mariage relève d'une autre philosophie et signifie que l'on réserverait l'AMP aux couples de femmes mariées. Mais dans la mesure où cette condition a été supprimée pour les couples hétérosexuels, ce serait créer une discrimination, une différence non justifiée. Si cela était possible pour les couples mariés, ce ne serait pas suffisant car, justement, il n'existe pas de lien charnel.

Il faut un acte de volonté, un acte qui définisse la volonté de la coparente d'élever cet enfant. Cet acte peut prendre plusieurs formes. Cela peut être une décision judiciaire, une déclaration anticipée, comme le préconise le Conseil d'État. Peu importe la forme, il faut un engagement précis. Celui-ci sera, de toute façon, nécessaire pour les couples de femmes non mariées.

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