Dans cette affaire, qui date du 31 mai 2016 et qui est donc récente, les juges ont autorisé l'exportation des gamètes d'un mari défunt pour que sa veuve puisse procéder en Espagne, pays où cela est autorisé, à une insémination post mortem. Ce monsieur avait effectué un dépôt de gamètes dans un hôpital parisien où il était soigné, n'ayant pas eu le temps – tous les faits sont importants – de procéder à ce dépôt dans son pays d'origine. Il est décédé des suites de sa maladie. Sa veuve a demandé en référé que les gamètes soient transférés en Espagne, car la procréation post mortem est autorisée en Espagne à condition que le mari y ait consenti, et uniquement dans les douze mois suivant le décès – ce qui explique le référé.
L'Agence de la biomédecine a refusé le transfert. En première instance, le juge administratif a suivi sa position. Puis, à l'étonnement général, le Conseil d'État n'a pas suivi.
Que s'est-il passé ? C'est vraiment du droit, mais je pense qu'il est important de le comprendre. Les juges se sont livrés à ce que l'on appelle une appréciation in abstracto de la validité de la loi. Dans certaines circonstances particulières, l'application de la loi peut constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il appartient au juge d'apprécier concrètement si, au regard des finalités inhérentes à la loi, l'atteinte par ladite loi aux droits et aux libertés protégés par la CEDH n'est pas excessive.
En cette affaire, ils ont décidé que l'atteinte était excessive. Que l'on soit d'accord ou non, pour l'instant, on donne aux juges le soin de décider d'appliquer ou non la loi. Cela dépend donc des juges, ce qui n'est jamais une solution. Même si nos magistrats sont tout à fait compétents, cela reste soumis à l'aléa judiciaire.
Il revient au législateur de décider s'il ferme cette brèche, qui a été ouverte dans une situation très particulière puisque cette femme, espagnole, repartait vivre en Espagne. Elle n'avait pas organisé le circuit pour échapper à la loi française : elle partait rejoindre sa famille en Espagne, elle et son mari s'étant trouvés en France en raison des soins qui devaient être prodigués à ce dernier. C'était une situation très particulière. Il y en aura d'autres, même si, heureusement, elles sont relativement exceptionnelles.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il s'agissait d'une insémination. Pour avoir travaillé sur cette question, on entend souvent dire – c'est ce qu'a dit, par exemple, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) – qu'il faut distinguer l'insémination du transfert d'embryons. Dans le cas du transfert d'embryons, l'existence de l'embryon, qui est un potentiel de vie, fait sens. En l'occurrence, ce n'était pas le cas ; il s'agissait d'une insémination. Je pense que l'on pourrait qualifier cela de mesure compassionnelle. Sinon, du moins l'a-t-on admis et a-t-on creusé une brèche.
Quelle que soit votre décision, s'agissant de l'accès à l'AMP des femmes célibataires, dont nous n'avons pas eu l'occasion de parler, il convient à mon avis de s'assurer que l'enfant ne sera pas dans une situation de précarité. Il sera déjà dans une situation de précarité juridico-affective, tout au moins juridique, n'ayant qu'une seule filiation. C'est pour cela que je considère qu'il faut assurer une certaine sécurité. À cette fin, j'ai imaginé, mais vous ferez sûrement bien mieux que moi, que la femme qui s'apprête à être mère célibataire désigne de façon officielle une personne – que l'on appellera comme on veut : tuteur, parent en second, parrain civil ou autre – qui s'engage à prendre son relais au cas où, pour une raison ou une autre, elle serait empêchée, momentanément ou définitivement. Je pense qu'une personne seule est forcément plus fragile qu'un couple.
Concernant le mode de révélation, monsieur Mbaye, si vous décidez qu'il faut que tout enfant conçu soit informé des circonstances de sa conception, la seule solution – et encore, dans la pratique, elle ne sera sans doute pas aussi efficace qu'espéré – est d'inscrire cette conception sur l'état civil de l'enfant – ou de lui envoyer un courrier à l'âge de dix-huit ans. Voyez, ce sont des solutions relativement violentes.